Félix Guattari : De Leros et la Borde

De Leros, île grecque abritant un établissement asilaire d’un autre âge qu’il est invité à visiter en 1989, à La Borde, clinique expérimentale où il a rejoint Jean Oury en 1955 et où il tra­vail­lera jusqu’à sa mort (en 1992), Félix Guattari établit ici le bilan de ses années d’activité clinique et théorique.

Dans ce recueil inédit, dont il avait lui-même défini le contenu peu de temps avant sa disparition, il en appelle à une pratique de la cure psychiatrique dans des institutions qui sauraient renouveler leurs instruments et faire preuve, vis-à-vis de leurs patients, d’une créativité comparable à celle de l’artiste. Renou­vellement qu’il souhaiterait voir étendu à d’autres secteurs de la société.

Ouvrage publié en partenariat éditorial avec l’IMEC.

Repères La psychiatrie a connu de très importantes évolutions dans la seconde moitié du XXe siècle. L’un des principaux jalons de cette nouvelle conception de la folie et de son traitement, dont Michel Foucault a décrit les évolutions longues dans son Histoire de la folie, est l’expérience menée pendant la Seconde guerre mondiale à l’hôpital psychiatrique de Saint Alban (Lozère). Rompant avec le traitement essentiellement carcéral réservés aux « fous » jusque-là – et dont l’hôpital psychiatrique de Leros (situé sur une île grecque) constitua jusque dans les années 1980 une sorte de survivance intolérable ici décrite par Guattari –, le professeur Tosquelles inaugure alors une pratique de soins qu’il nomme « ergothérapie ». Celle-ci consiste notamment à considérer que les patients peuvent exercer des activités et s’insérer dans le tissu social environnant ; que ces activités et cette insertion sont elles-mêmes le moyen par lequel des degrés de guérison sont possibles. C’est à Saint Alban que Jean Oury débutera sa carrière de praticien.

En 1953, Jean Oury crée la clinique privée de La Borde, où il mettra en pratique et développera l’expérience de Saint Alban, ouvrant la voie à une forme de « psychothérapie institutionnelle » depuis considérée comme exemplaire. La structure conserve une taille modeste (moins de 100 malades) ; les patients sont associés à toutes les tâches relatives au fonctionnement du lieu. En 1955, Félix Guattari interrompt ses études de philosophie et vient le rejoindre pour participer à l’organisation de cette institution particulière : « En quelques mois, je contribuais ainsi à la mise en place de multiples instances collectives… ».

Guattari clinicien C’est à travers cette pratique, à laquelle Guattari restera toujours fidèle, qu’il entreprend de penser l’institution, ou « les équipements collectifs », comme des instances de production de subjectivités : « Ce que nous visions à travers nos multiples systèmes d’activité et surtout de prise de responsabilité à l’égard de soi-même et des autres, c’était de se dégager de la sérialité et de faire que les individus et les groupes se réapproprient le sens de leur existence dans une perspective ethique et non plus technocratique. […] La machinerie institutionnelle que nous mettions en place ne se contentait pas d’opérer un simple remodelage des subjectivités existantes mais se proposait, en fait, de produire un nouveau type de subjectivité. » Pour Guattari en effet, le monde et l’altérité avec lesquels la psychose entre en dialogue ne sont pas uniquement d’ordre délirant, « ils s’incarnent également dans l’environnement social et matériel quotidien ». Par conséquent, la forme qu’emprunte cet environnement n’est pas sans effet en retour sur l’état subjectif des patients.

Portée générale de l’expérience clinique Dans un sens élargi qui n’est pas sans rappeler Les Hétérotopies de Michel Foucault, Guattari en vient à affirmer que cette invention institutionnelle permanente puisse s’appliquer à la société toute entière : « […] l’on se prend à rêver de ce que pourrait devenir la vie dans les ensembles urbains, les écoles, les hôpitaux, les prisons, etc., si, au lieu de les concevoir sur le mode de la répétition vide, l’on s’efforçait de réorienter leur finalité dans le sens d’un re-création permanente interne. »

De Leros a Laborde est accompagné des photographies prises par Joséphine Guattari lors de son séjour à l’ïle de Leros et à l’hôpital Daphni d’Athènes, avec Félix Guattari, en 1989.

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