Simone Weil : Les Besoins de l’âme, extrait de l’Enracinement

Ce n’est pas seulement le contenu de sa pensée qui fait de Simone Weil est un auteur difficile à appréhender, c’est aussi et peut-être avant tout les modes de son expression. Articles multiples, notes de cours, cahiers foisonnants et intimes, lettres et deux « grands œuvres » comme elle se plaisait à le dire : le leg est à la fois d’une cohérence frappante et d’une hétérogénéité qui complexifie à la fois la première accroche et la possibilité d’une photo globale d’une pensée très dynamique.

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L’introduction à la philosophie de celle qui souffre déjà auprès du public de la célébrité de son homonyme politique a en outre été biaisée par la partialité des ouvrages, pas toujours – pour être poli – de très haute tenue, qui se sont attachés dès les années 40 à la faire connaître, se distinguant par leur totale absence de contenu philosophique ; jusqu’à celui – fondateur pour la recherche weilienne – de Miklos Vetö, La Métaphysique religieuse de Simone Weil.1 Publié, tout de même, en 1971 ; soit quasiment trente ans après la mort de la philosophe ! Sur le plan de l’œuvre elle-même, outre l’important travail éditorial réalisé sous l’impulsion d’Albert Camus, en collaboration avec la famille de Simone Weil dans l’après-guerre, bien vite repris en Folio, mais dont les rééditions commençaient à dater 2, le grand public n’a longtemps trouvé en rayonnage la seule référence de La Pesanteur et la Grâce. Recueil honorable mais avant tout marqué par les options de son éditeur, Gustave Thibon, à l’iniative du choix et du regroupement par thème des différents extraits recueillis. Donc, forcément, aussi thibonnien que weilien ; si ce n’est plus…

Ce n’est finalement que très récemment que de fondamentaux travaux de recherche universitaire ont été publiés ; les deux plus considérables, ceux d’Emmanuel Gabellieri 3 et de Robert Chenavier 4 étant malheureusement édités dans d’aussi prestigieuses qu’inabordables collections, et s’adressant à un public déjà un peu initié aux charmes mystérieux de la pensée de celle que Bataille appellait « la vierge rouge ». Dans la foulée, les éditions Gallimard ont réédité de nombreux textes dans la collection Folio, rendant plus visibles et accessibles en particulier les deux grands œuvres : Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale et L’enracinement, qui sont essentiels pour la bonne compréhension du projet philosophique de Simone Weil. Et, pour parfaire ce paysage éditorial qui revient de loin, apparaissent aussi de petits livres de bonne « vulgarisation » qui devraient enfin contribuer à ce que l’autre grande philosophe politique du XXème – non, il n’y a pas qu’hannah Arendt ! – siècle soit non seulement mieux comprise mais aussi plus facilement étudiée en classe de philosophie (si tant est que les professeurs daignent s’y pencher).

L’indispensable et le plus synthétique : Simone Weil, publié en 2001 par Emmanuel Gabellieri dans la collection scolaire Philo-philosophes de l’éditeur Ellipses. Les PUF ne sont pas restées sur la touche : elles publient en 2002 dans leur collection Philosophies – moins abordable au néophyte – Simone Weil, l’attention et l’action, excellent travail de Joël Janiaud. Le dernier né – février 2007, proposé par Gallimard dans la nouvelle et encourageante collection Folio Plus 5, devrait compléter cette offre par un format très accessible aux lycéens. Reprenant intégralement le chapitre inaugurant L’enracinement, « Les besoins de l’âme », le petit ouvrage – par ailleurs très maniable au travail – offre un dossier foisonnant et remarquablement incisif dans son analyse de l’œuvre et de la pensée. La philosophie de Simone Weil y est présentée avec justesse et beaucoup de clarté. L’analyse procède par cercles concentriques de plus en plus vastes, d’abord centrée sur les concepts fondamentaux, puis sur le positionnement de l’œuvre dans le cadre plus général de l’histoire « des idées », enfin sur la personnalité et le parcours de Simone Weil. La lecture se détache ensuite du littéral pour « trois questions posées aux textes », des groupements judicieux et des prolongements stimulants. La mise en rapport du texte avec une lecture d’image d’une œuvre de Kandinsky semble plus contestable, mais elle éveille une curiosité bienvenue. On ne peut en résumé que se réjouir de la publication d’un tel ouvrage, très abordable (autour de 5 €), qui donne à la fois une juste introduction de la pensée d’une philosophe méconnue, mais aussi de bons outils d’analyse pour les néophytes et les étudiants – ainsi que, plus accessoirement, un cadre culturel plus vaste et riche qu’il est toujours bon de présenter aux élèves. Pourvu que les professeurs de lycée aient seulement la curiosité de s’y intéresser !

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  1. Vrin, 1971; réédition L’Harmattan, 1997
  2. Albert Camus, enthousiasmé par la découverte des textes de Simone Weil contacta lui-même Mme Weil pour lui proposer de travailler à faire connaître l’oeuvre de sa fille, dont il édita de nombreux textes et choix de textes dans la collection l’Espoir qu’il dirigeait chez Gallimard.
  3. Emmanuel Gabellieri, Etre et don, éd. de l’Institut supérieur de philosophie de Louvain la neuve – Peeters, Louvain – Paris, 2003
  4. Robert Chenavier, Simone Weil. Une philosophie du travail, éd. du Cerf coll. La nuit surveillée, 2001
  5. Simone Weil, Les Besoins de l’âme, extrait de l’Enracinement, dossier et notes par Martin Steffens, lecture d’image par Bertrand Leclair, éd. Gallimard coll. Folio Plus, février 2007.
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