Christian Ferrié : Le mouvement inconscient du politique. Essai à partir de Pierre Clastres

Cet ouvrage est le premier à être exclusivement consacré à Pierre Clastres en français. Il s’inscrit dans le mouvement de redécouverte de cette œuvre marginale mais essentielle. Il s’emploie à mettre en avant un aspect méconnu de l’anthropologie politique de l’auteur de La Société contre l’État : ses suggestions psychanalytiques, dont la force d’éclairage autorise à présenter ses analyses ethnologiques sous un nouveau jour.
Le Mouvement inconscient du politique contient de multiples dimensions : une analyse de l’ethnologie clastrienne, une psychanalyse du champ politique et, donc, une réflexion sur le phénomène politique. L’hypothèse de base de cet ouvrage, c’est qu’il existe une dynamique inconsciente qui préside au mouvement d’institution du politique : c’est le sens du titre. Il s’agirait de réfléchir ce mouvement à partir de Clastres : c’est le sens du sous-titre.

C’est un fait. Clastres bouleverse la vision ethnocentrique du politique. Sa description de la dynamique politique des Tupi-Guarani montre deux choses d’intérêt pour nous : la politique est en mouvement, et ce dès les sociétés sauvages. Bien avant les Grecs et les Modernes, les Sauvages ont fait l’expérience du politique. La dimension inconsciente de leur activité politique n’y change rien, car tout mouvement politique est habité par des pulsions inconscientes. L’illusion moderne d’une pratique politique qui serait complètement consciente de soi rend aveugle à ce mouvement inconscient. C’est l’objet de cette investigation.

Clastres risque en effet quelques suggestions analytiques qui autorisent d’éclairer son ethnologie à la lumière de la psychanalyse freudienne. Il observe ainsi qu’une société sauvage en passe de cesser d’être primitive réagit à ce processus mortifère par une migration mystico-religieuse qu’on peut interpréter comme un mouvement inconsciemment politique. De même qu’il parle, ailleurs, à propos des Chulupi du Chaco d’un instinct de mort qui aurait contaminé toute une tribu au point que les femmes refusaient d’engendrer. Ces deux phénomènes ne seraient-ils pas l’effet d’une pulsion de mort collective ?

À travers cette mention furtive de l’instinct de mort, Clastres montre une intuition fulgurante de l’énergétique pulsionnelle qui régirait le champ sociopolitique. À partir de cette géniale suggestion, il s’agit ainsi d’analyser les ressorts inconscients des mouvements politiques et polémiques des sociétés sauvages, mouvements qui tournent autour du pivot central du refus de l’État.

C’est l’hypothèse de lecture de ce livre. Le refus inconscient de l’État pourrait bien avoir une signification psychanalytique : le refoulement du Pouvoir coercitif sous la figure du chef despotique de la tribu primitive – ce chef qu’il faut, comme le père de la horde originaire, mettre à mort s’il ne respecte pas la Loi d’égalité de la société sauvage –, ce refoulement donc participerait d’une pulsion de vie politique de la société primitive qui s’opposerait à une pulsion de mort polémique. En se fondant sur le paradigme clastrien de la société primitive, il s’agirait de montrer que l’institution du politique obéit, en vérité de tout temps, à une dynamique inconsciente qui relève de la pulsion de vie. Cette hypothèse amène à bouleverser l’axiomatique pulsionnelle mise en place par Freud : la pulsion d’union érotique qui préside à la naissance des États n’agirait pas dans le sens de la vie politique, mais ferait bien plutôt le jeu de la pulsion de mort. Ce serait l’éclairage en retour de la psychanalyse freudienne par l’ethnologie clastrienne.

Cet essai s’aventure à penser des passages entre ethnologie et psychanalyse qui permettent d’envisager une sorte d’ethno-psychanalyse du champ politique. On pourrait ainsi partir de Clastres pour éclairer des phénomènes politiques de notre époque qui montrent la pulsion de mort à l’œuvre dans des processus de mobilisation polémique et, au contraire, la pulsion de vie dans des mouvements sociopolitiques. C’est la perspective qu’ouvre à la fin cet essai.

Christian Ferrié a publié récemment : Présentation, annotation et postface de la traduction de Kant, Le Conflit des Facultés et autres textes sur la révolution, Payot, « Critique de la politique », 2015, et La politique de Kant – un réformisme révolutionnaire, Payot « Critique de la politique », mai 2016.

Pierre Clastres, né le 17 mai 1934 à Paris et mort accidentellement le 29 juillet 1977 est un anthropologue et ethnologue français. Il est notamment connu pour ses travaux d’anthropologie politique, ses convictions et son engagement libertaires et sa monographie des indiens Guayaki du Paraguay. Sa principale thèse : les sociétés primitives ne sont pas des sociétés qui n’auraient pas encore découvert le pouvoir et l’État, mais au contraire des sociétés construites pour éviter que l’État n’apparaisse. Son œuvre la plus connue est La Société contre l’État (Minuit, 1974).

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