Karl Leonhard Reinhold : Korrespondenzausgabe. Band 3

Une manière originale d’aborder la formation historique de l’idéalisme transcendantal est de se mettre à l’écoute des premiers protagonistes de son histoire, ces philosophes et intellectuels contemporains de Kant et aînés des grands idéalistes, qui expriment les premiers balbutiements d’une réception et qui formulent déjà les objections et les incompréhensions qui marqueront les générations suivantes. A cette école d’un genre particulier, K.L. Reinhold est un maître incontesté et le troisième volume de l’édition de sa correspondance éditée avec le soutien de l’Académie autrichienne des Sciences1 est un manuel de référence. A travers plus de quatre-vingt lettres, le volume richement annoté plonge le lecteur dans une série d’échanges cruciaux entre les protagonistes de la réception de la philosophie transcendantale et révèle le rôle particulier joué dans ces débats par des figures encore mal connues et pourtant capitales pour les développements ultérieurs de ce nouveau courant de pensée.

Les spécialistes se réjouiront évidemment des échanges avec le maître Kant et Salomon Maïmon. Mais l’intérêt philosophique d’une telle correspondance réside aussi dans la grande liberté de parole qui traverse tous les échanges avec Jens Baggesen ou avec Christian Martin Wieland. Plusieurs lettres invitent à ne pas traiter l’œuvre du poète et celle du philosophe selon des Specie diversa, mais bien selon l’acte créateur de nouveaux concepts résultant du travail harmonique de leurs forces spirituelles (Lettre à Baggesen de fin juin 1791, p. 169). De ce point de vue, « une certaine identité du génie poétique et du génie philosophique est irréfutable » (ibid.), écrit Reinhold. Des doutes apparaissent ainsi à la lecture de la Critique de la faculté de juger de même que des points de résistance et c’est Schiller qui est appelé à la rescousse2 par rapport à une doctrine somme toute encore récente. Avec Maïmon, la pensée philosophique s’exacerbe et se précise autour de thèmes fondamentaux abordés par le Philosophischen Wörterbuch : conscience, synthèse, perception, transcendantal3. Une lecture prospective des thèses débattues dans ces correspondances est évidemment du plus grand intérêt. Les spécialistes de l’idéalisme allemand en particulier y trouveront matière à réflexion et cerneront mieux le rôle qu’ont pu jouer des personnages comme Lavater ou Adam Weishaupt. Mais, au bout du compte, c’est moins le Reinhold commentateur de lui-même qui se révèle que le lecteur critique, l’enseignant attentif et l’auteur passionné qui se livrent dans des relations empreintes le plus généralement de confiance et d’amitié. N’est-ce une manière bien reinholdienne de rappeler que cette manière d’éveiller à la vérité est bien « das Eine was der Menschheit noth ist » ?4.

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Sur le plan technique de l’édition scientifique, les auteurs offrent un ouvrage parfait, appuyé par des index onomastiques et thématiques, qui permettent à chaque lecteur, spécialiste ou étudiant, amateur ou expert de se frayer divers chemins de traverse. Les notes infrapaginales sont d’un apport indéniable et elles n’hésitent pas si besoin à restituer la vérité des faits pour préparer le travail d’interprétation. On soulignera ainsi, parmi beaucoup d’autres, la précision des notes sur la Franc-maçonnerie et sur les ordres illuminés accompagnant la lettre du 15 août 17915.

Située à un carrefour de la pensée moderne et, en particulier, de l’idéalisme transcendantal allemand, cette correspondance rigoureusement présentée et renforcée par un excellent appareil critique constitue un outil de travail idéal non seulement pour les chercheurs spécialisés sur cette période, mais aussi pour tous les lecteurs désireux d’une porte d’entrée originale en vue d’en découvrir la genèse.

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Regards croisés

  1. Karl Leonhard Reinhold, Korrespondenzausgabe. Band 3, Korrespondenz 1791, Edited by Faustino Fabbianelli, Eberhard Heller, Kurt Hiller, Reinhard Lauth †, Ives Radrizzani und Wolfgang H. Schrader †, 2011, XXIV, 406 p.
  2. cf. la lettre du 16 juin 1791 de Friedrich Karl Forberg
  3. Lettre du 22 août 1791
  4. p. 75, note 25 ; lettre du 15 avril 1791
  5. p. 236
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