Parution de la revue Philosophie autour du problème suivant : Hegel pragmatiste ?

Ce numéro est consacré à la question du lien entre hégélianisme et pragmatisme, qui n’a encore fait l’objet d’aucune publication en langue française, alors qu’elle a été examinée presque partout ailleurs de façon approfondie. Les études ici publiées abordent les trois sens dans lesquels peut être entendue cette question.

Tout d’abord, du point de vue de l’historiographie du pragmatisme. L’histoire de la philosophie retient généralement trois figures fondatrices du pragmatisme (Pierce, James et Dewey), auxquelles s’ajoute désormais celle de Mead. Or, si Hegel n’est presque pour rien dans la formation des pensées des deux premiers, il joua en revanche un rôle déterminant pour celles de Dewey et de Mead. La restitution de ce contexte méconnu du pragmatisme historique comporte divers enjeux : elle permet de souligner l’irréductibilité à l’empirisme et au criticisme kantien de l’un des courants les plus féconds de la philosophie américaine du XXe siècle, mais aussi de définir une position hégélienne à la hauteur des défis de l’épistémologie, de la philosophie de l’esprit, de la théorie de l’action, de la théorie esthétique et de la philosophie politique contemporaines.

Ensuite, du point de vue de l’historiographie de l’hégélianisme. En effet, les années 1990 ont vu se développer des interprétations de la philosophie hégélienne susceptibles d’être dites « pragmatistes », même s’il s’agit d’un pragmatisme nuancé. Pippin et Pinkard, principaux représentants de cette interprétation, ont d’abord développé une interprétation non métaphysique de Hegel, soulignant l’importance de l’influence kantienne, avant de privilégier les thèmes du primat de l’agir historique sur la connaissance et de la socialité de la raison. Plus que chez Peirce, James, Dewey ou Mead, c’est chez le second Wittgenstein et Sellars que se définissent les cadres conceptuels de leur néo-pragmatisme.

Enfin, relativement au développement des principales formes du néo-pragmatisme contemporain. On peut dater de la publication de L’Homme spéculaire de Rorty (1979) et de Raison, vérité et histoire de Putnam (1982) le regain d’intérêt pour le pragmatisme américain. Dans la foulée, différents auteurs ont développé une forme de néo-pragmatisme où le primat de l’expérience fait place à celui de « l’espace des raisons » où se définissent les autorisations et les engagements structurant la communication sociale, l’action et la connaissance. On verra ainsi comment McDowell et Brandom ont trouvé matière à se revendiquer de Hegel.

Hégélianisme des pragmatistes, interprétations pragmatistes de Hegel et Hegel des néo-pragmatistes : ces trois orientations interagissent les unes avec les autres. Les interprétations proposées par Pippin et Pinkard ont influencé celles de McDowell et Brandom, avant que ces dernières ne soient commentées et critiquées par les premiers – les unes et les autres contribuant à relancer le débat sur le sens du pragmatisme, tout en semblant confirmer la prophétie rortienne selon laquelle Hegel pourrait constituer l’avenir de l’empirisme et du criticisme contemporains.

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