Thomas Dutoit, Philippe Romanski, (dir.) : Derrida d’ici, Derrida de là

« Commençons par une ellipse – celle qui, finalement, scelle à bien des égards cet ouvrage. Il s’agit en effet de reconnaître (en un simulacre de début que nous rédigeons à la fin) ce qui (et celui qui) déjà nous manque. En dépit du performatif qu’ils impliquent si lourdement, les actes (actum, de agere « faire ») d’un colloque ne peuvent jamais re-dire ou re-présenter le vivant, la vivacité ou le vécu des paroles livrées et échangées après (ou pendant) chaque intervention (ou presque). Malgré tous nos vœux, le passage au scripturaire ne peut restituer le parler-ensemble de la parole, son parler-en-même-temps, son parler-à-contretemps, sans parler des non-dits, des oublis, ou des paroles perdues. Publier un tel volume consacré à l’écriture et à l’enseignement de Jacques Derrida après la mort de celui-ci nous rappelle (si cela était nécessaire) non seulement combien sa participation en tant que répondant aux conférenciers fut généreuse et riche (sa capacité si singulière de rendre la parole) mais aussi combien l’absence de cette voix nous accompagne maintenant. Ces actes tentent de dire notre désir de mettre à notre portée, à portée de main, cette parole qui fut la sienne. Malgré le manque, et en raison du manque, il nous faut la rapporter, pour demain.
Que ce colloque en 2003, le premier colloque consacré à Jacques Derrida en France dans une université française, ait eu « lieu » dans un département d’anglais (chose a priori surprenante) n’avait pourtant rien de fortuit, ce dont témoigne le volume en plusieurs endroits ; il suffit, pour s’en convaincre, de lire le programme du colloque (reproduit à la fin du présent texte) et les interventions, par exemple, de Derek Attridge et Jean-Michel Rabaté, en forme de dialogue, sur les multiples lieux et non-lieux de la déconstruction, ou celle de Philippe Romanski sur la nécessaire déconstruction, précisément, de toute notion de lieu privilégié, de « rassemblement » et de « communauté ». Il est édifiant de lire, à cet égard, le propos d’Evelyne Grossman sur le tenir à part et l’appartenance ou celui de Thomas Dutoit sur l’angularité de l’anglais. L’on consultera, de même, avec attention, l’intervention de Daniel Katz sur l’enseignement de la langue étrangère comme lieu idéal de l’étude de la traductibilité au sens derridien de ce terme. Comme par métonymie, la conférence de Catherine Bernard en dit long sur la manière dont l’anglais, en tant que discipline, s’est avéré être, en France et ailleurs, institutionnellement et structurellement, un lieu particulièrement ouvert à la transversalité, à l’expérience du trans- et à la multiplication de ces intervalles dans lesquels s’est toujours mû le travail de Derrida. Ce dernier fut non seulement le premier à remarquer ces phénomènes, mais il fut aussi celui qui, très tôt, souligna le rôle stratégique de l’anglais et donc des anglicistes, en raison de l’importance relative de cette discipline (nombre de postes notamment par rapport à d’autres disciplines, voire d’autres langues) dans l’Université (française, européenne, etc.), mais également eu égard à l’hégémonie de modèles anglo-américains. Il était déjà question de responsabilité vis-à-vis du pouvoir dont est investi l’anglais, et, notamment ou surtout, de cette responsabilité, incombant aux anglicistes, à savoir de déconstruire l’idée, si répandue, de la langue et de l’anglais comme outil de communication relevant de la simple compétence « technique ».
Lorsque nous lui avons présenté l’idée du colloque, Jacques Derrida nous a surpris en disant « je viendrais bien ». Nous n’avions même pas osé, dans un premier temps, lui demander de venir. C’est dire, son envie spontanée, et spontanément formulée, d’être partie prenante de ces multiples projets collectifs qui prenaient le pari de travailler avec (et à partir de) son écriture et de son enseignement. Dans ce même esprit, il accepta, afin de clôturer le colloque, l’idée d’une table ronde avec Hélène Cixous sur les questions que nous proposions de débattre (l’Université, l’enseignement, la lecture, la langue, l’enfance, la différence sexuelle). Nous publions ici la transcription autorisée et non remaniée de cet échange. Avec l’accord de Jacques Derrida, nous publions ici aussi deux textes de lui, qui paraissent ici pour la première fois en français : l’essai « Some Statements and Truisms about Neologisms, Newisms, Postisms, Parasitisms, and Other Small Seisms » (dont Jacques Derrida souhaitait maintenir le titre anglais) et l’entretien « Cette étrange institution qu’on appelle la littérature. Un entretien avec Jacques Derrida ». Ces deux textes furent rédigés et publiés naguère en anglais en vue d’un contexte nord-américain. »

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