De Jan Amos Komensky, dit Comenius (1592-1670), l’historien de la philosophie français ne sait, bien souvent, pas trop quoi faire. On le trouve çà et là parfois associé à Descartes dont il serait l’exact contraire. Mais, souvent mentionné en passant à l’occasion de telle ou telle étude de la pensée cartésienne, il ne saurait être retenu comme un interlocuteur substantiel de cette dernière en dépit de la rencontre documentée de juillet 1642 avec Descartes au château d’Endegeest ; stérile, celle-ci semble n’avoir débouché sur aucune correspondance entre les deux hommes. Quant à la supposée lettre de Descartes adressée à Mersenne en 1639, reproduite en AT II, 651, et évoquant la « pansophie » de Comenius, elle n’a guère été reprise dans les éditions plus récentes, et est fort logiquement absente de l’édition des Œuvres complètes dirigée par D. Kambouchner et J.-M. Beyssade chez Gallimard, faute d’authenticité établie. On peut certes, à la faveur d’études étude consacrées à Clauberg ou à Neufville, croiser le nom de Comenius comme inspirateur de la pensée de ces derniers, mais tout cela reste fort allusif.
Dans le domaine de la pédagogie, en revanche, son nom rencontre un écho bien plus considérable, ne serait-ce qu’en vertu du traité La grande didactique, paru en latin en 1637[1] ; Eugenio Garin lui consacre d’ailleurs de longues et belles pages dans L’éducation de l’homme moderne, et la littérature secondaire s’attarde volontiers sur la place de la transmission des savoirs et de la pédagogie au sein de son œuvre. Etienne Krotky a ainsi pu publier un Former l’homme. L’éducation selon Comenius en 1996, deux ans après que Marcelle Denis eut consacré un livre à sa pédagogie. Plus récemment, sous le titre de Comenius, critique de Descartes[2], Nicolas Dittmar a cherché à combler une absence dans l’approche foucaldienne en réévaluant le poids de la pédagogie universaliste de Comenius au sein de l’épistémè classique. De la même manière, les analyses de l’utilitarisme sur le temps long prennent souvent le soin de rappeler que Comenius fut l’un des premiers à défendre l’utilité du savoir et à penser un projet pédagogique qui fût pratique mais aussi ouvert à tous, c’est-à-dire aussi à toutes.
Or, c’est bien de pédagogie qu’il est question dans l’édition et la traduction de ce curieux ouvrage de 1658 intitulé Image du monde sensible[3] et sous titré « c’est-à-dire toutes les figures et les noms de toutes les choses fondamentales du monde et des actions de la vie ». Fortement programmatique, le titre engage une série de présupposés théoriques qui font tout le sel de la démarche générale de l’ouvrage et l’inscrivent dans ce que beaucoup considèrent comme une préfiguration de l’idéal universaliste de la franc-maçonnerie, certains voyant d’ailleurs en Comenius l’un des héritiers spirituels de Johann Valentin Andreae, célèbre rosicrucien. Que la publication de l’ouvrage ait retenu l’attention de la Grande Loge de France ne saurait, sous cet angle, être anodin.
A : Principes fondamentaux de la pédagogie de Comenius : support visuel et apprentissage ludique
1°) « il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été auparavant dans les sens »
Si l’ouvrage est susceptible d’une approche philosophique, c’est d’abord en vertu de sa préface qui expose les principes fondamentaux de sa pédagogie, lesquels se révèlent être enracinés dans une analyse que l’on pourrait dire empiriste, voire sensualiste, du savoir. Reprenant le célèbre adage selon lequel « il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été auparavant dans les sens[4] », Comenius engage une critique sévère de l’enseignement abstrait, peu soucieux de comprendre comment fonctionne l’apprentissage des jeunes gens. De là cette sentence programmatique :
« Or, comme on néglige communément cela dans les écoles, et que les choses à apprendre sont proposées aux élèves sans être comprises ni présentées correctement aux sens, il arrive que l’enseignement et l’apprentissage se poursuivent péniblement et ne donnent que peu de bénéfices[5]. »
Par ce biais se comprend peut-être le point majeur de la pédagogie de Comenius : apprendre, c’est d’abord donner à voir aux sens, lesquels constituent la porte d’entrée du monde vers l’enfant.
« Les Sens, qui sont les principaux guides de l’enfance, parce que l’esprit ne s’élève pas encore à une contemplation abstraite des choses, cherchent toujours leurs propres objets, et s’ils sont absents, ils s’engourdissent et se tortillent de-ci de-là par lassitude d’eux-mêmes[6]. »
Il y a là un projet on ne peut plus anti-cartésien ; si l’éducation consiste, chez Descartes, à justement apprendre à se défaire des croyances nées des sens, à se déprendre des croyances contractées durant l’enfance, elle ne peut au contraire, chez Comenius, qu’accompagner le fonctionnement naturel de la cognition enfantine. Là se joue déjà peut-être un débat crucial, consistant à déterminer si apprendre consiste à lutter contre soi et contre les facilités auxquelles mènent les tendances de l’enfance ou, au contraire, à modeler l’apprentissage sur ce que l’on sait du développement de la cognition. A cet égard, l’éducation de Comenius vise à se mouler dans les tendances spontanées de l’individu, et à épouser ce qui plaît, et non à rompre avec les croyances illusoires ou précaires nées d’une confiance (excessive ?) accordée à ce qui a été senti et rencontré.
2°) L’image et le jeu
De là se tirent deux conséquences. La première consiste à prendre acte de l’importance des sens dans l’apprentissage et à offrir un support visuel à ce dernier. C’est pourquoi, chaque notion et / ou chaque mot se voient assistés d’une image assez dépouillée afin qu’en émerge l’essentiel. Toute chose à apprendre peut ainsi s’appuyer sur une représentation visuelle par laquelle passera l’information avant d’être intellectuellement comprise : « Les Images, écrit toujours Comenius, sont la représentation de toutes les choses visibles (auxquelles sont aussi réduites les choses invisibles à leur manière) du monde entier[7]. »
Bien sûr pourrait émerger une objection portant sur les notions abstraites : comment produire l’image sensible d’une notion soustraite à toute matérialité ? Comment apprendre lorsque l’objet de l’apprentissage ne concerne pas une chose matérielle ? On se rappelle que, dans La Logique et l’art de penser, l’un des arguments d’Arnauld et Nicole leur permettant de dissocier l’idée de l’image consistait à prouver que l’on pouvait avoir l’idée de choses auxquelles ne correspondait aucune image, en particulier lorsqu’il s’agissait de choses non matérielles ; que l’idée de Dieu ou de la pensée fût possible malgré l’absence d’image, prouvait pour ces Messieurs de Port Royal qu’elle était tout autre qu’une image et que la conception pouvait aller bien au-delà de la connaissance des réalités sensibles. Mais chez Comenius tout semble passer par l’image : comment alors transmettre les notions abstraites si celles-ci doivent être imagées ?
En précisant qu’il est possible de réduire les choses invisibles à la représentation sensible, Comenius ouvre toute la gamme de la représentation symbolique par laquelle débute d’ailleurs l’imagier puisque la première notion à apprendre n’est autre que celle de Dieu, représenté par un triangle inscrit au sein d’un cercle. De même, la fin de l’ouvrage ne recule pas devant la représentation de la Providence ou du Paganisme, et en propose une approche visuelle convaincante, là encore symbolique. Parce que le jeune enfant ne commence pas par réfléchir de manière abstraite mais se laisse d’abord guider par ses sens, il convient d’offrir à ces derniers ce qu’ils cherchent afin de permettre en un second temps un traitement plus intellectuel des données sensibles. En revanche, résiste à l’apprentissage de ce type tout ce qui, quoique sensible, ne saurait s’offrir à la vue ; ainsi le sont les saveurs qui ne pourront être découvertes qu’in situ, dans « chaque grande école » où l’on tiendra prêtes ces dernières pour les faire goûter.
La seconde conséquence concerne l’importance du jeu ; parce qu’il est essentiel de rendre l’apprentissage plaisant et d’éviter l’ennui, le jeu devient un adjuvant décisif de la pédagogie afin « que les enfants, entraînés à cette manière d’écouter, puissent être pourvus de la connaissance des choses principales qui sont dans le monde, par le jeu et le divertissement[8]. » Un peu plus loin, Comenius évoque même « l’usage joyeux de ce livre[9] », conçu pour que les enfants « s’amusent à leur guise à la vue des images (…)[10]. » Sous cet angle, apparaît peut-être le moyen de conjurer l’un des affects les plus destructeurs de l’enseignement, le terrible ennui ; luttant contre ce fléau, l’exigence du ludique n’est jamais que la conséquence logique de suivre la complexion cognitive de l’enfant et d’en épouser les exigences.
Une telle pédagogie se conjugue avec une réflexion de grande ampleur sur l’organisation scolaire développée dans d’autres ouvrages ; Comenius imagine quatre blocs de six années chacun, avec un premier cycle maternel, un second « national » et obligatoire, proche de l’école primaire, un troisième promouvant l’apprentissage du latin et permettant d’apprendre les arts libéraux en vue de développer le raisonnement, et un quatrième permettant de se spécialiser dans une discipline précise, de nature académique. Loin de nos standards actuels, une telle école ne proposerait que quatre heures de cours quotidiens, deux le matin et deux l’après-midi, le reste du temps étant consacré au travail effectif de la terre.
3°) Les mots et les choses
Image du monde sensible ne contient pas que des images ; il contient également une série de mots latins, que Comenius appelle « nomenclatures » et qui permettent d’identifier le sens de l’image, le sens du « tout » comme il le précise dans la préface. Si l’un des enjeux de l’imagier consiste à justement apprendre le latin par son lexique, le fait est que l’ensemble repose sur un présupposé anti-nominaliste : les mots renvoient bien à des choses et, plus encore, chaque chose prise en elle-même peut être exprimée par un mot ; la maîtrise des choses se fait donc par les mots qui sont ce par quoi nous avons une prise sur le monde.
Par là se montre une forme d’organicité de l’approche de Comenius ; contrairement à ce qu’une première lecture pourrait laisser croire, l’entreprise de ce dernier se situe aux antipodes d’une sorte d’énumération encyclopédique des choses. Très éloigné d’un Diderot, il ne considère de toute évidence pas que le savoir s’ordonne par ordre alphabétique, ce qui reviendrait à détruire toute organicité de ce dernier. Du reste, Comenius sera boudé par l’Encyclopédie qui ne lui consacrera pas d’entrée. A rebours du projet encyclopédiste – pris au sens des Lumières – Comenius établit au contraire des correspondances : le monde se fait image qui elle-même se donne à l’œil et appelle un nom pour être nommée. Ce qui frappe à la lecture de l’Image du monde sensible, c’est donc la circulation entre la représentation du monde, sa saisie lexicale, et l’aptitude de la langue à décrire adéquatement ce qui se montre. Les mots semblent tellement bien adaptés aux choses que les descriptions se passent souvent de verbe, adoptant parfois le style de simples titres.
Une telle démarche se retrouve d’ailleurs dans le plan de l’ouvrage qui, partant de Dieu et du monde, mime l’ordre même des choses depuis la création. Remarquablement pensé, il organise une progression de l’apprentissage depuis les constituants élémentaires – le feu, l’eau, etc. – jusqu’aux choses les plus complexes, dans une dynamique qui n’est pas sans rappeler celle de la Genèse et des étapes de la production du monde. Les transitions du monde agricole vers les artefacts humains et vers le monde de l’artisanat sont parfaitement conçues, et opèrent un passage tout en nuances de la nature créée vers la nature transformée puis vers le monde de la technique qui, lui-même glissera vers celui de l’esprit. On se situe aux antipodes de la juxtaposition gratuite et alphabétique de L’Encyclopédie, chacune des images semblant déployer le monde lui-même selon un processus de développement organique.
La nomenclature dont il est fait état n’est donc pas un relevé empirique d’éléments juxtaposés ; la nomenclature est bien plus que cela : elle est démonstration de l’aptitude des noms à saisir les choses, non pas en leur essence, certes, mais dans leur référence, et sans doute y a-t-il là l’écho du caractère utilitariste de la démarche. La préface s’ouvre en effet par la volonté de ne présenter que des savoirs jugés « utiles à la vie[11] », c’est-à-dire capables de produire des effets pratiques, donc de prise sur le monde. Cette inscription que l’on pourrait presque dire pragmatique – au sens non conceptuel du terme – du langage conduit mécaniquement à présupposer d’une part le primat du substantif sur le verbe car c’est le l’exigence de se rapporter au monde et non de signifier la pensée. Cela se fait sentir à chaque page de ce manuel pédagogique, et l’on comprend pourquoi Nicolas Dittmar a jugé bon de réévaluer la place de Comenius dans l’épistémè classique en partant de la réflexion développée dans Les mots et les choses.
B : Réflexions sur l’universalisme de Comenius
Plusieurs éléments concernant l’approche universaliste de Comenius méritent d’être soulignés. Le premier tient au fait qu’en se voulant indexé à la complexion cognitive des jeunes enfants, il présuppose l’universalité de cette dernière et uniformise donc l’enseignement – et le contenu des savoirs – en préjugeant de la parfaite identité en chacun de la structure cognitive. A cet effet, l’instruction est dès les premières lignes présentée comme « le moyen d’expulser la grossièreté[12] » car, si une émancipation de l’homme est possible à l’échelle universelle sans que rien de naturel n’y fasse obstacle, c’est justement parce qu’il existe une forme universelle de l’apprentissage conforme au développement cognitif des hommes.
Mais est-ce alors un projet humaniste ? Au sens renaissant, sans doute pas ; on ne voit pas bien, dans un tel projet, en quel sens l’enseignement ici promu aiderait l’homme à devenir plus humain ou à accomplir son humanité ; à cet égard, l’enjeu de l’enseignement tel que le conçoit Comenius est bien moins pensé à partir d’un contenu spécifique aidant l’homme à devenir pleinement humain, qu’à partir de la manière dont tout homme se développe afin de ne pas aller à l’encontre des normes du développement. Une telle démarche ne saurait être humaniste. Du reste, un détail des gravures frappe l’œil : bien des images qui auraient pu contenir des représentations humaines en font pourtant l’économie. L’homme est très souvent absent de choses où il devrait pourtant se trouver. Par exemple, le camp militaire ne contient aucun militaire ; de même, lorsqu’est représenté « le livre », il n’y a aucun lecteur ; idem, la librairie est vide. Certes, on peut rétorquer que l’enjeu est de connaître les choses et qu’il convient de purifier l’image de tous les éléments inutiles afin de ne pas parasiter l’apprentissage ; mais le fait est que l’homme est très souvent le grand absent de la représentation, et qu’au-delà de l’intention pédagogique s’y joue sans aucun doute un symptôme du caractère non principiel de l’homme : ce sont les choses qui, la plupart du temps, importent, choses qui, nous le comprenons par l’ordre retenu de l’ouvrage, proviennent de Dieu, élément premier d’où procède le monde.
Par ailleurs, quant à la démarche indexée sur la complexion cognitive de l’homme, il y a là quelque chose qui nécessiterait d’être doublement interrogé ; on pourrait d’abord considérer qu’accomplir la pleine et entière humanité de l’homme supposerait de contrarier les tendances spontanées de l’individu et non de s’y soumettre. C’est au fond ce que Descartes avait conçu, en élaborant les conditions d’une rupture avec l’enfance. Mais à cela s’ajoute ensuite la pratique de l’humanisme renaissant qui, pour élever l’homme, le forçait à se confronter à de grands textes imposant des efforts considérables et contraires aux tendances spontanées. Comenius a au fond refusé l’une et l’autre ; il a joué contre la rupture cartésienne la continuité de l’apprentissage, et contre l’humanisme renaissant la promotion de savoirs pratiques et utiles, réduisant l’apprentissage magistral à très peu de choses. Nous savons ainsi qu’il avait défendu des journées à quatre heures de cours, avec un quart d’heure de cours magistral par heure. Cela se situe aux antipodes d’une formation humaniste prise au sens traditionnel du terme.
Une deuxième remarque doit être mentionnée au sujet des motivations de Comenius. Le fait est connu, il fut proche de l’Unité des Frères, eux-mêmes héritiers des prêches de Jan Hus, et fut lui-même pasteur calviniste à partir de 1616. Installé à Fulnek, dont il était pasteur, il eut néanmoins à subir les affres de la Guerre de Trente ans, fut poursuivi en tant que pasteur par l’armée espagnole et dut s’enfuir, perdant tout, qu’il s’agisse de sa famille ou de sa paroisse. De telles épreuves ne purent pas être sans effets sur son rapport au catholicisme – incarné par la violence des armées espagnoles dont les conséquences furent pour lui terribles, et le conduisirent à l’exil.
Dans ces conditions, une hypothèse raisonnable peut être formulée : il est probable que son universalisme soit intéressé. Proposer une éducation universelle sur le modèle qu’il dessine, c’est de fait soustraire les enfants à un modèle d’éducation catholique ou, plus concrètement encore, soustraire les enfants à l’influence du clergé catholique. En miroir, l’on pourrait penser à ce qu’avait fait Louis XIV à la fin du XVIIè siècle, à la lumière d’un projet formellement similaire ; en effet, le premier décret d’instruction obligatoire en France, celui du 13 décembre 1698, avait pour motivation d’envoyer les enfants se faire instruire dans chaque paroisse afin d’éviter que des protestants n’assurent le rôle de l’instruction ; en somme, être universaliste au XVIIè siècle, c’est souvent moins être favorable à l’universel comme tel qu’à une réflexion permettant d’élaborer les conditions sous lesquelles les enfants ne seraient pas formés par la religion adverse. Il est évident que, chez Comenius, l’universalisme promu n’est pas naïf ni irénique : il s’agit d’éviter la mainmise du clergé catholique sur l’instruction des enfants en leur retirant tous les enfants, filles comprises.
Que l’universalisme de Comenius soit en trompe-l’œil, nous en trouvons une confirmation dans la manière dont se trouve abordée la question musulmane ; loin de chercher une conciliation universelle d’inspiration syncrétique, Comenius maintient le primat chrétien – et singulièrement calviniste car seul le dogme de la Trinité se trouve explicitement exposé – et décrit l’islam comme un syncrétisme bancal construit par un Juif et un Moine arien. Loin de reconnaître à Mahomet la qualité de prophète, il le décrit comme un « guerrier qui s’est inventé une nouvelle religion[13] », guerrier que les « crises d’épilepsie[14] » ont conduit à croire – à tort – qu’il avait eu affaire durant ses crises à l’ange Gabriel. Il ne fait aucun doute, donc, que Comenius ne défend aucunement un concordisme, que sa vision n’est ni irénique ni naïve, et qu’il est à bien des égards à mille lieux d’un traité comme celui de la Paix de la foi de Nicolas de Cues, pourtant antérieur de deux cents ans.
Conclusion
La publication de ce traité pédagogique ne peut être que saluée ; trop peu connu en France, Comenius constitue pourtant un auteur essentiel du XVIIè siècle, et un maillon fondamental au sein de la longue et complexe réflexion pédagogique entreprise à la Renaissance. Outre la beauté et l’efficacité de l’ouvrage que l’on plait à consulter et à admirer, le charme tient au fait que Comenius offre un développement organique du monde, sous le double aspect de l’image et du mot. Tout se passe comme si le monde se déroulait selon un processus déterminé, et se donnait à voir autant qu’à dire. Il y a là non seulement la dynamique d’une monstration mais aussi la générosité d’un esprit qui, au-delà des motivations sans doute circonstancielles et intéressées, a à cœur d’apprendre à ses semblables à regarder et à lire un monde splendide et harmonieux.
On peut regretter, toutefois, le caractère excessivement parcimonieux des notes qui, de temps à autre auraient été utiles – notamment pour identifier les fondateurs de l’Islam auquel pense Comenius, ou préciser ce que sont les cacodémons évoqués à la faveur de la Providence divine, ou encore donner un effet de profondeur à « l’invitation » qui ouvre l’imagier et dont il serait pertinent de préciser s’il s’agit ou non d’une forme initiatique d’éducation. Mais à part cette réserve, nous ne pouvons que redire l’immense plaisir que nous avons pris à lire et contempler cet imagier admirablement édité.
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[1] La grande didactique ou l’art universel de tout enseigner à tous a connu une traduction française collective, publiée chez Klincksieck en 1992.
[2] Nicolas Dittmar, Comenius, Critique de Descartes. Le problème de l’expression, Editions universitaires européennes, 2019.
[3] Iohannes Amos Comenius, Image du monde sensible, traduction et présentation de Lucien X. Polastron, Paris, les Belles Lettres, 2025.
[4] Préface, p. XX.
[5] Ibid.
[6] Ibid., p. XXI.
[7] Ibid., p. XX.
[8] Ibid., p. XXI.
[9] Ibid., p. XXIII.
[10] Ibid.
[11] Ibid., p. XIX.
[12] Ibid., p. XIX.
[13] « Le mahométisme », p. 304.
[14] « Le mahométisme », p. 305.