Martin Heidegger : Apports à la philosophie (partie II)

Cette recension constitue la deuxième partie d’une chronique consacrée à la traduction des Beiträge par François Fédier dont le premier moment se trouve à cette adresse

D : Les notes de traduction.

Le volume est parcouru de notes en bas de pages visant à donner le terme allemand ainsi traduit et à en justifier la traduction. Il nous semble qu’il eût été plus simple d’établir un glossaire allemand-français et de justifier les choix de traduction à cette occasion. Mais, comme nous le soulignions déjà lors des recensions de Ontologie. Herméneutique de la facticité[cf. cet [article [/efn_note] et d’Introduction à la recherche phénoménologique[cf. la recension à cette [adresse et à celle-ci [/efn_note] pour nous en désoler, l’ouvrage ne contient pas de glossaire, alors que ce serait la moindre des choses pour une édition qui prétend être l’édition de référence, et qui prétend s’adresser aux chercheurs, aux universitaires, aux étudiants. Il était pourtant possible d’en établir un puisque Jean Greisch l’a fait dans son excellente traduction de Phénoménologie de la vie religieuse[cf. aussi notre [recension [/efn_note].

Par ailleurs, avant d’examiner ces notes, il nous faut d’abord dénoncer l’absence d’une note, à savoir une note expliquant au lecteur la traduction du terme essentiel « Wesen ». Wesen, c’est l’essence, la nature d’une chose, ce qu’elle est. Or, François Fédier traduit Wesen par « pleine essence ». Que signifie une telle traduction ? Que signifie cette notion de plénitude qui ne correspond à rien dans le texte allemand ? Comment une essence pourrait-elle être pleine ? Est-ce à dire qu’une essence peut être vide et peut se remplir ? C’est ce que le lecteur pourrait être amené à croire, ce qui ne correspond évidemment à rien dans la pensée de Heidegger. Ce que le lecteur ne sait pas, c’est qu’après avoir déboursé 45 euros pour acquérir la traduction des Beiträge, il devra aussi acheter La logique comme question en quête de la pleine essence du langage[Cf. la recension à cette [adresse [/efn_note], traduction de Frédéric Bernard publiée en 2008. Ce dernier écrit dans l’« avertissement du traducteur » : « De même qu’une expression comme « en plein jour » fait signe vers ce qui dans le jour est comme un déploiement d’activité, de même cette adjonction à essence que nous introduisons parfois pour traduire Wesen doit nous rappeler que ce mot chez Heidegger est à entendre dans un sens éminemment verbal » 1. Si nous croyons aussi que c’est en ce sens qu’il faut l’entendre, nous ne voyons pas du tout en quoi l’adjectif « plein » indique en quoi que ce soit une activité. Mon linge peut sécher en plein soleil sans que cela indique une activité particulière de mon linge. Qu’une chose se trouve en pleine lumière, qu’on frappe en plein dans le mille, cela nous semble indiquer une place, donc plutôt quelque chose de statique, pas une activité. Cette traduction farfelue est néanmoins un progrès, dans la mesure où l’aperçu de 1997 proposait « aître » pour Wesen et le néologisme « aîtrée » pour Wesung, c’est-à-dire pour le déploiement de l’Être. Ce dernier terme est dorénavant traduit par « déferlement de la pleine essence », et nous ne voyons pas du tout ce qu’apporte cette idée de déferlement. Un déferlement, c’est l’action de se répandre avec violence et en masse. Nulle idée de masse dans la Wesung de l’Être comme Ereignis, puisqu’il est justement l’unique, le singulier par excellence. Il n’a pas non plus la violence d’un déferlement, il est au contraire l’inapparent par excellence qui oppose un refus, c’est tout le propos de la section sur l’écho et l’abandon de l’être. En privant le lecteur de la compréhension de ces termes, on le prive tout simplement de la moindre chance de comprendre quoi que ce soit aux Beiträge, car la signature, pour ainsi dire, de cet ouvrage, c’est la formule « Die Wesung des Seyns als Ereignis », « le déploiement de l’Être comme Ereignis ». L’autre formule clé est « Das Seiende ist. Das Seyn west », « L’étant est. L’Être se déploie ». Il s’agit pour Heidegger de trouver les mots justes pour parler de l’Être. Ce dernier, conformément à la différence ontologique, n’est pas un étant, donc n’est pas, car l’étant est. Pour dire l’Être, on ne doit donc pas utiliser le verbe sein, raison pour laquelle Heidegger utilise le verbe wesen, qu’il conjugue ici à la troisième personne du singulier, pour dire l’activité de l’Être, son mouvement, qui est un déploiement et un règne. Quand Heidegger écrit das Wesen, il ne s’agit donc pas de l’essence au sens traditionnel, à savoir un invariant intemporel ou omnitemporel, comme peut l’être encore l’eidos husserlien, car il s’agit du substantif correspondant au verbe wesen, comme das Lesen, la lecture, est le substantif correspondant au verbe lesen, lire. Ainsi, Wesen est éminemment temporel et historique, car l’Être se déploie comme histoire de ses dispensations, et il ne désigne nullement un universel, le Wesen de l’Être étant singulier. C’est pour dire cette verbalité et cette activité du Wesen que Heidegger parle dans les Beiträge d’une Wesung, -ung indiquant en allemand un processus, comme -ion en français. La Wesung est le déploiement de l’Être. Il est essentiel de le comprendre, car la formule de Heidegger nous dit que l’Être se déploie comme Ereignis. C’est qu’en effet l’Être n’est pas un étant qui pourrait être d’abord pour se déployer ensuite. L’Être ne se tient pas derrière son déploiement, il n’est rien d’autre que son propre déploiement, et il se déploie comme Ereignis, en cela que son déploiement est l’événement d’ouverture de l’éclaircie (la Lichtung) à l’homme, événement qui ainsi le requiert et l’approprie, l’accorde à l’Être. Relisons l’extrait du paragraphe 135, cité dans la première partie de cette recension, qui est très clair sur ce point :

« La relation du Da-sein à l’Être appartient au déploiement de l’Être (die Wesung des Seyns) lui-même, ce qui peut aussi se dire ainsi : l’Être requiert le Da-sein et ne se déploie (west) pas sans cette venue à soi (Ereignung). » (p. 292)

Passons maintenant à l’examen de quelques-unes de ces notes de traduction.
Le mot « Gründung » est traduit par « fondamentation », ce qui est une aggravation car la version de 1997 traduisait tout simplement par « fondation ». Grund, c’est le fond, ou le fondement, donc Gründung est à traduire par « fondation ». Mais François Fédier a découvert depuis que « le verbe « fondamenter » est attesté en ce sens dans le Dictionnaire du Moyen Français » (p. 18). Où l’on voit quels sont les outils utilisés par le traducteur pour travailler, à savoir faire appel à des mots qui ne sont plus en usage pour personne.

La note de la p. 41 précise que « idées nationales-socialistes » est la traduction pour « völkische Ideen ». Mais c’est là une interprétation, pas une traduction. Une traduction se doit d’être la plus vierge possible et donner un équivalent allemand, en laissant le lecteur interpréter lui-même. Cette traduction est d’autant plus incohérente que völkisch est par ailleurs traduit par « populaire » (p. 144) ou par « populiste » (p. 365).

Le cohérence de la traduction du terme essentiel d’Entrückung n’apparait pas du tout puisque ce mot est tantôt traduit par « emportement » (p. 43), puis par « ekstase » (p. 222), et enfin par « décrochement » (p. 295). De même, das Entsetzen est traduit par « épouvante » (p. 185), puis par « dé-portement de l’effroi » (p. 549).

Le terme essentiel, die Kehre a depuis toujours fait l’objet d’un consensus de traduction, à savoir « le tournant », et c’est bien ainsi que François Fédier le traduisait dans Question IV. Il est maintenant rendu par « la volte-face ». Qu’apporte de plus cette traduction excentrique ? Rien, mais François Fédier ne peut s’empêcher une fois de plus d’avoir recours gratuitement à l’ancien français : « C’est le verbe volter qu’il importe d’y entendre parler, ce verbe qui était autrefois d’usage très commun » (p. 46). Ce verbe, que Heidegger ignorait sans doute, ne parle évidemment pas du tout dans l’allemand Kehre.

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Die Besinnung est un terme essentiel puisqu’il désigne la pensée que Heidegger se propose de commencer dans cet ouvrage, à savoir une pensée qui n’est plus métaphysique, et c’est aussi le titre du volume suivant de la GA, le volume 66. Il est traduit habituellement par « méditation », il correspond à la pensée méditante dans laquelle s’engage Heidegger. François Fédier choisit une fois de plus de brouiller les pistes en le rendant – on ne peut plus dire « traduire » – par « la considération », alors qu’il ne s’agit nullement dans Besinnung d’avoir de la considération pour quelque chose mais il s’agit de la méditation du sens (Sinn). L’objectif de cette traduction est d’y entendre le fait que cette pensée est une manière de répondre à une saisie par l’Être, donc la considération serait la réponse à la sidération venant de l’Être. Mais une fois de plus, on ne trouve rien de tel dans le mot allemand, et il s’agit d’une interprétation qui recouvre le texte allemand et s’impose au lecteur au lieu de le laisser interpréter lui-même le sens de cette méditation.

Das Wesende, qui fait écho à Wesen et Wesung, et qui désigne « ce qui se déploie », est rendu par « l’effervescent », évoquant ainsi une idée d’excitation ou de dissolution qui n’a rien à voir avec le terme allemand.

Le verbe würdigen est rendu par « dignefier », et François Fédier nous donne une seconde fois un aperçu sur ses outils de travail en écrivant : « ce vieux mot se trouve dans le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes/du IXème au XVème siècle – l’ouvrage impérissable de Frédéric de Godefroy » (p. 78). L’idée est que « estimer » ou « honorer » risque d’être entendu comme une évaluation subjective prêtant de la dignité à ce qui d’abord n’en a pas, alors qu’il s’agit de reconnaître une dignité déjà présente. Mais en quoi cela nécessite-t-il de faire appel au Moyen Age ? Il était bien plus simple de traduire par « estimer » ou « reconnaître la dignité » en précisant simplement en note qu’il faut éviter un contre-sens. Le français contemporain a décidément bien des ressources que le traducteur refuse délibérément d’apercevoir, préférant faire compliqué quand on peut faire simple, manifestement pour en mettre plein la vue à ceux que cela impressionne.

Die Gotterüng subit le même sort en étant traduit par « déifiement » au lieu de divinisation, pour les mêmes raisons, quand une simple note en bas de page permettait de prévenir toute méprise sans recours à l’ancien français : « D’où le recours au vieux mot « déifiement » » (p. 275).

Die Selbstheit est rendu par la « séité » (p. 304), et François Fédier ressent le besoin d’indiquer lapidairement en note : « être-soi ». N’est-ce pas le signe qu’il fallait justement traduire ce terme par « être-soi » et dispenser le lecteur à la fois de cette note et de cette trouvaille ? On pouvait traduire aussi par « ipseité », comme le fait Martineau dans sa traduction d’Être et temps.

Herr-schaft, mot qui signifie habituellement « maîtrise », « pouvoir », « autorité », est rendu par « état de seignorance » (p. 322), avec toujours la même justification : « l’ancien terme de « seignorance », qui désignait autrefois l’exercice de la seigneurie ». Certes, Heidegger utilise un tiret pour mettre en évidence le radical Herr, mais une fois de plus une simple note de traduction aurait pu permettre d’éclairer le lecteur sans recourir au Moyen-Age.
Das Eigentum, qui désigne la propriété au sens de ce qui est propre à quelque chose, à distinguer de Eigenschaft, la propriété au sens de la détermination d’un objet ou un état de chose, est rendu par l’étrange graphie « proprie-été » (p. 356) quand une simple note permettait d’éclairer le lecteur sans avoir recours à cette étrange graphie qui ne peut de toute façon pas non plus se passer d’une note pour pouvoir être comprise.

Vorlaufen in den Tod, c’est-à-dire le devancement, ou l’anticipation de la mort, notion capitale dans Sein und Zeit, est rendu par « d’avance aller jusqu’à la mort » (p. 372), ce qui brise une fois de plus l’homogénéité des traductions Gallimard, car ni François Vezin ni Alain Boutot ne font ce choix de traduction qui n’apporte rien.

Unverborgenheit est traduit par « Ouvert sans retrait », en suivant, indique la note, la traduction de Jean Beaufret. Dominique Janicaud, dans Heidegger en France, avait pourtant bien montré qu’il s’agit d’un contre-sens, dans la mesure où ce qui caractérise ce dévoilement est justement la Verbergung, à savoir qu’il se retire au profit de ce qui est dévoilé en lui, à savoir l’étant. De plus, l’Ouvert renvoie à l’allemand das Offene, qui n’est pas présent dans ce terme allemand.

Die Irre est rendu par le néologise « erroire » (p. 387), au lieu de l’errance, sous le prétexte que ce terme désigne la dimension où l’on erre. Mais une fois de plus, il suffisait de traduire par « errance » et de faire cette précision en note plutôt que de créer ce néologisme qui ne peut de toute façon pas se passer d’une note explicative.

Gelassenheit est un terme essentiel, traduit de manière fort élégante dans Question III par « sérénité », même si l’on sait qu’il faut y entendre le verbe « laisser ». François Fédier choisit une fois de plus de briser cette traduction bien établie sans raison valable et propose « patience parfaitement calme » qui n’apporte rien du tout puisqu’il n’évoque pas plus le verbe laisser et ne fait qu’égarer le lecteur. Il reconnait lui-même : « Dire « patience parfaitement calme » pour le rendre n’est qu’un pis-aller » (p. 445). Mais dans ce cas, à quoi bon proposer un pis-aller plutôt que de se contenter de la traduction habituelle ?

Die Zukünftigen, qu’on pourrait rendre par « les avenants », et qui est un terme essentiel car il est celui de l’avant-dernière fugue des Beiträge, est rendu par la locution « ceux qui sont tournés vers l’avenir » (p. 451), mais il s’agit d’une interprétation qui restreint abusivement la portée de ce mot, de sorte que François Fédier est obligé de préciser en note : « Il faut donc ouvrir le présent de « ceux qui sont tournés vers le futur », jusqu’à entendre que ces hommes ne sont peut-être par encore présents, mais précisément : à venir » (ibid.). Autrement dit, il s’agit tout aussi bien de « ceux qui sont à venir », ce que ne rend pas du tout la traduction Fédier. Heidegger est ici en écho avec Nietzsche qui évoque dans Par-delà bien et mal ces philosophes de l’avenir, au double sens du génitif, qui sont encore à venir mais qui ont pour tâche de faire advenir l’avenir du surhumain.

Nous le voyons, aucune de ces notes en bas de page n’est véritablement convainquante. Si le lecteur de cette traduction n’est pas déjà lassé et découragé par des excentricités comme « la fermesse », le « horsain », le « signifiement », la « retiraison », « l’apanagement », le « jointoiement », « l’abîmement », le « justifiement », « l’instancialité », la « discrépance », la « retirade », la « propitiation », la « découverture », le « bondissement », « l’exsurgence », « insistible », « l’aoûtement », « l’ouverteté », la « dépaysance », « haler », il pourra se demander pourquoi Vorblick est traduit par « regard préalable sur l’ensemble » plutôt que par « regard préalable », pourquoi der Anklang est rendu par « ce qui vient se faire entendre » plutôt que par « l’écho » ou « la résonance », pourquoi das Zuspiel est rendu par « ce qui se met en jeu » plutôt que par « le passage » ou « le jeu de passe », pourquoi der letzte Gott est traduit par « le Dieu à l’extrême » plutôt que par « le dernier dieu », pourquoi das Erschrecken est traduit par « le sursaut de frayeur » plutôt que par « l’effroi », pourquoi die Scheu est traduit par « vergogne » plutôt que par « pudeur » ou « réserve », pourquoi Neuzeit est traduit par « Temps nouveaux » (pourquoi cette majuscule ?) plutôt que par « temps modernes », pourquoi ursprünglich est traduit par « original » plutôt que par « originaire », pourquoi Verlassenheit est traduit par « abandonnement » et non pas plus simplement par « abandon » ou « délaissement », pourquoi Geschichte est rendu par « histoire-destinée » plutôt que par « histoire », pourquoi Bewegung est rendu par « mouvementation » plutôt que par « mouvement », pourquoi christlichen est rendu par « christique » plutôt que par « chrétien », sans jamais avoir de réponse, en l’absence de toute note explicative.

E : Conclusion

Nous venons d’examiner dans le détail cette traduction, nous lui avons donné toute sa chance, nous lui avons accordé son crédit, et ce n’est donc pas d’un simple revers de la main et surtout c’est sans aucun plaisir, précisons-le, que nous en tirons la conclusion suivante : cette traduction est en tout point un désastre, qui était malheureusement annoncé. Elle est un désastre pour la réception française de cette grande œuvre de Heidegger que sont les Beiträge. Car soyons sérieux : pense-t-on sincèrement que des professeurs vont conseiller cette édition à leurs étudiants ? Pense-t-on que les Beiträge pourraient être mis à l’agrégation dans un tel état ?

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Nous pourrions penser, pour défendre François Fédier, que les Beiträge sont de toute façon un livre intraduisible. La langue allemande y subit une telle transformation que les lecteurs allemands eux-mêmes sont dépaysés par l’allemand de Heidegger. Pourtant, nous ne saurions accepter un tel constat d’échec. C’est pourquoi nous n’avons pas voulu nous en tenir à une critique stérile de cette traduction, nous avons voulu en faire une critique constructive en proposant à chaque fois une alternative pour montrer qu’une autre traduction était possible. Qu’elle était possible, et qu’elle soit encore possible, la tentative de traduction de Jean Greisch dès 1991 dans Rue Descartes2 le montre bien, et il est important de s’y reporter à présent pour la comparer au désastre que constitue la traduction Fédier.

Ce désastre était annoncé, et au fond il ne fait que rejouer, un quart de siècle plus tard, la polémique qui avait eu lieu quand parut en 1986 la traduction d’Être et temps par François Vezin, polémique dont on peut retrouver les détails dans l’ouvrage de Dominique Janicaud, Heidegger en France. Cette polémique n’a décidément rien perdu de son actualité et, pour le montrer, il suffit de relire le post-scriptum polémique volontairement outrancier mais très drôle d’Emmanuel Martineau à sa traduction de la première version de L’origine de l’œuvre d’art[Cf. Le texte à cette [adresse [/efn_note], post-scriptum intitulé « D’une « traduction bilingue », ou Heidegger chez les cinoques », dont on ne citera que cet extrait : « Quant au lecteur de base, pour peu qu’il ait 190 F à jeter par la fenêtre, il pourra lui aussi constater, hélas, sans l’aide de personne, que l’on a réussi une fois de plus, et soixante ans après la parution de l’original, à lui barrer manu militari l’accès à Sein und Zeit, ce qui, faut-il y insister, était le but unique et même pas déguisé de l’opération ». Il suffit de remplacer 190 F par 45 E et Sein und Zeit par Beiträge pour obtenir une parfaite description de la situation présente. Cette polémique de 1986 n’aura cependant sans doute pas lieu en 2014, cette traduction devrait rapidement se faire oublier, ne pas même faire événement négativement, dans la mesure où s’annonce pour le mois d’avril une polémique à propos du supposé antisémitisme de certains passages des Carnets noirs, trois volumes de notes personnelles qui constituent trois volumes de la GA.

La situation est cependant différente de 1986. A l’époque, l’alternative à la traduction Vezin existait déjà, il s’agissait de la traduction Martineau qui parut en 1985, obligeant François Vezin à travailler d’arrache-pied pour achever au plus vite la sienne. De nos jours, aucune traduction pirate des Beiträge n’est parue ni annoncée, de sorte que la situation est bien plus grave, la lecture de cette œuvre en français semblant différée pendant encore longtemps. Quelle alternative espérer ? La première traduction américaine chez Indiana University Press avait fait l’objet d’un grand nombre de critiques, ce qui a conduit le même éditeur à proposer une nouvelle traduction en 2012. Peut-on espérer la même intelligence de la part de Gallimard ? Nous n’y croyons pas. Une première alternative devrait être constituée par la parution en 2014 aux éditions Hermann de l’ouvrage collectif dirigé par Alexander Schnell, dont on imagine bien que les contributions proposeront des traductions bien différentes de celle de François Fédier des passages essentiels des Beiträge. L’autre alternative prometteuse est à trouver du côté du programme de recherche financé de 2012 à 2017 par le Canada3 intitulé « Heidegger 1936-1944. La pensée de l’Événement et les « Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis) », coordonné par Sophie-Jan Arrien (Université Laval, Québec) et Christian Sommer (CNRS-Archives Husserl, Paris), programme qui accorde des bourses à des étudiants travaillant sur ce projet, qui organise des atelier de traduction des Beiträge4 ainsi que des journées d’études à leur propos, la première ayant eu lieu en mai 2013 au Quebec5, une autre étant déjà annoncée pour mai 2014 à Paris. Pour les lecteurs francophones, le salut pourrait donc bien venir du Québec.

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  1. La logique comme question en quête de la pleine essence du langage, trad. F. Bernard, Paris, Gallimard, 2008, p. 7.
  2. § 267, tr. J. Greisch, in Rue Descartes, 1. Des Grecs, Albin Michel, Paris, 1991, pp.191-212.
  3. https://sites.google.com/site/labphilocontinentale/home
  4. http://www.umr8547.ens.fr/spip.php?article483
  5. http://www.fp.ulaval.ca/fileadmin/philo/documents/Doc_cagra53/PDF/Congres__colloques/2012-2013/colloque_beitra__ge_-_affiche_que__bec.pdf
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Etienne Pinat est professeur agrégé de philosophie dans le secondaire. Il a étudié la philosophie à la Sorbonne. Il s'occupe des recensions des livres de ou sur Heidegger ou Blanchot, recrute de nouveaux contributeurs et contacte les éditeurs. Il est l'auteur de "Les deux morts de Maurice Blanchot. Une phénoménologie", paru chez Zetabooks en 2014, et de "Heidegger et Kierkegaard. La résolution et l'éthique", par en 2018 chez Kimé.