Bernardo Kastrup : entre critique du matérialisme et élaboration d’un « idéalisme analytique »

Le nom de Bernardo Kastrup, philosophie d’origine brésilienne mais travaillant aux Pays Bas, n’est sans doute pas encore familier des oreilles institutionnelles et universitaires de notre pays, bien que trois de ses livres aient été très récemment traduits en français[1]. Deux fois docteur – une première fois dans le domaine de l’informatique, une seconde en philosophie pour une thèse portant sur la philosophie de l’esprit –, il présente le mérite de connaître de très près bien des enjeux que soulève aujourd’hui l’intelligence artificielle, tout en ayant acquis une très bonne connaissance de la philosophie de l’esprit et du fameux Mind-Body Problem en vertu de son travail doctoral. En outre, à l’origine de la méconnue Essentia Foundation, il cherche à diffuser des raisons scientifiques et techniques de rompre avec le « matérialisme », pris au sens métaphysique du terme, au regard de ce qu’il juge être ses insuffisances voire ses incohérences intrinsèques.

On le pressent, le cœur des écrits de Kastrup consiste à ferrailler avec le matérialisme, ce dont témoigne sa page personnelle, non pas pour défendre une vision dualiste du monde mais bien plutôt pour établir la nécessité de faire de l’esprit, conçu comme un « substrat » et non comme une substance – nous y reviendrons –, le fondement même de toute réalité. Défendant une approche qu’il appelle « idéalisme », il inscrit ses pas dans ceux de Schopenhauer auquel il a d’ailleurs consacré un ouvrage[2] (non traduit) tout en tirant le plus grand profit de certains concepts de Jung auquel il a également consacré un livre[3], non traduit lui non plus. On peut d’ailleurs sonder la fécondité des concepts jungiens dans Donner un sens à l’absurde, dont une grande partie se trouve construite sur l’approche du psychanalyste suisse.

Malgré cela, les éditions françaises des écrits de Kastrup ne sont pas publiées chez des éditeurs de philosophie et ne se trouvent pas dans les rayons « philosophie » des librairies. Aluna, chez qui a été traduit Pourquoi le matérialisme est absurde, édite des livres de spiritualité ; Oxus, où a été traduit Donner un sens à l’absurde, publie des ouvrages sur les sciences humaines et accompagne nombre de brochures et fascicules maçonniques, tandis qu’Almora s’apparente bien plus volontiers à un éditeur de développement personnel. A cet égard, les éditeurs français ayant accepté de traduire ces ouvrages, sans doute sous l’impulsion de Jocelin Morisson, reflètent assez bien l’éditeur originel, Iff Books, lui aussi extérieur au cadre académique traditionnel et versé dans une réflexion spirituelle voire spiritualisante. Il va de soi que, au regard du monde académique, ce fait éditorial est de nature à jeter un soupçon immédiat sur les écrits de B. Kastrup, voire à susciter un certain mépris inné car, en dépit de ses deux doctorats, l’auteur ne fait de toute évidence pas partie du sérail. Malgré cela, il nous a paru légitime d’établir ci-dessous quelques-unes des thèses défendues dans ses écrits car, fortement argumentées, elles nous semblent mériter – pour certaines d’entre elles – d’être prises en considération, ne serait-ce que parce qu’elles discutent avec Dennett, Giulio Tononi ou David Chalmers, et qu’elles abordent aussi bien « la difficile question de la conscience » que le problème de l’identité personnelle, tout en attaquant en son cœur la logique matérialiste selon une série d’arguments dont certains sont, sur le plan logique, parfaitement recevables.

A : Qu’est-ce que « l’idéalisme analytique » ?

Pour comprendre les thèses défendues en propre par Bernardo Kastrup, il convient de déterminer ce qu’il entend par « idéalisme analytique », syntagme par lequel il nomme sa position. Celle-ci a été résumée dans un livre paru en anglais en 2024, Analytic Idealism in a Nutshell, allusion transparente à un livre de Stephen Hawking, The Universe in a Nutshell[4], dont la traduction assurée par Jocelin Morisson a paru début 2025 chez Almora sous le titre de L’idéalisme analytique en quelques mots[5]. Très proche de la pensée de Schopenhauer – donc de Kant –, cette métaphysique très spéculative rappelle à bien des égards des passages de De la volonté dans la nature, mais reconduit aussi des imprécisions voire des difficultés logiques déjà présentes chez Schopenhauer.

Un point important doit être ici mentionné : la première lecture des écrits de Kastrup est déroutante, et bien des aspects de ses écrits, notamment quand ils sont uniquement thétiques, paraissent presque délirants ; mais, à mesure que l’argumentation avance, et que s’affirme la réfutation du matérialisme, les hypothèses initiales qui paraissaient gratuites et infondées, se révèlent plus cohérentes que prévu et moins aberrantes. Il est donc nécessaire d’adopter un certain principe de charité en lisant cet auteur, consistant à ne pas d’emblée rejeter un certain nombre d’affirmations audacieuses qui, dans un premier temps, paraissent à la fois arbitraires et contraires à tout sens commun.

La base du raisonnement tenu par Kastrup nous semble reposer sur l’affirmation selon laquelle la question de l’ontologie du monde est indissociable de celle de la conscience – non distinguée de l’esprit. Traiter l’une revient à traiter l’autre. A partir de cette équivalence, apparaît le premier énoncé de l’idéalisme analytique à savoir que « l’esprit n’est pas dans le cerveau, parce que c’est le cerveau qui est dans l’esprit[6]. » Si s’exprime ici le refus de faire émerger l’esprit vivant depuis une série de particules inertes – ce qui relève de la « magie » aux yeux de l’auteur –, se joue également une certaine approche de l’esprit ; celui-ci ne renvoie pas tant à un esprit individuel qu’à une sorte d’esprit universel, impersonnel, que l’on pourrait être tenté, à certaines réserves près, d’associer à ce que Schopenhauer appelle « Volonté ». Pour le dire autrement, le fond autant que le fonds de la réalité est mental, l’esprit – pris dans son impersonnalité universelle – étant le substrat même de toute réalité. De là la revendication de la part de Kastrup d’une posture idéaliste car, pour l’idéaliste, selon lui, « la réalité consiste exclusivement en l’esprit et ses contenus[7]. »

Avant même d’en dire plus, il convient d’émettre un certain nombre de réserves temporaires à l’endroit de la manière dont l’auteur appréhende l’idéalisme ; Kastrup en fait une position intrinsèquement ontologique de nature négative, en ceci que l’idéalisme nierait qu’il puisse y avoir une réalité ne relevant pas de l’esprit. Or, l’idéalisme est d’abord une position épistémique jugeant que la connaissance a affaire à la manière dont le sujet connaît le monde – les idées – et non au monde en sa réalité intrinsèque et absolue. L’idéalisme se présente, en temps normal, comme une inférence tirée du fait que si le sujet connaît le monde, alors une telle connaissance ne peut s’affranchir du fait qu’elle est celle d’un sujet connaissant, de sorte que la connaissance du monde soit nécessairement conditionnée par le fait qu’elle est d’abord celle du sujet connaissant. L’idéalisme n’est donc pas, en son principe, une affirmation ontologique, mais une affirmation sur le fait que le sujet ne peut se déprendre de lui-même, et ne peut connaître autre chose que l’aspect – l’idée – sous lequel se présentent ses pensées sur le monde. Or, chez Kastrup, l’idéalisme n’est pas tant une affirmation épistémique qu’une affirmation ontologique : à ce titre, on pourrait émettre une objection, à savoir que ce qu’il évoque ne relève pas tant de l’idéalisme que d’un monisme spiritualiste ; cela est d’autant plus flagrant que, jamais, Kastrup ne définit ce qu’il entend par « idée » et que, jamais, il ne fait explicitement de l’idée le cœur de son approche – nous y reviendrons à plusieurs reprises. La première limite de son approche semble donc résider dans une appellation inadéquate de son propre système, celui-ci reposant sur une ontologie moniste où seul existe au sens strict l’esprit – universel et impersonnel –, et non sur des idées. A cet égard, une certaine confusion est sans cesse entretenue entre un problème épistémique – la réalité du monde est-elle connaissable ou ne connaissons-nous que les idées que nous en avons ? – et un problème ontologique – quelle est la nature ultime de la réalité ? – et cette confusion vient se nicher jusque dans le choix erratique de la qualification du système.

Notre objection est-elle justifiée ? A bien des égards, il est certain que Kastrup défend d’abord un monisme spiritualiste puisque, chez lui, « la réalité est le déploiement de l’esprit (…)[8] » et qu’il s’agit d’abord de statuer ontologiquement : il n’est qu’une seule réalité, cette réalité est de nature mentale, et rien d’extérieur à l’esprit n’est admissible. Le fondement de sa pensée est donc bien moniste et spiritualiste. Mais en même temps, il est vrai que, ne distinguant pas entre esprit et conscience, Kastrup en vient à juger qu’un tel déploiement de l’esprit n’est jamais, à l’échelle individuelle, que l’expérience consciente, que le déploiement de l’esprit s’identifie au « déploiement de l’observateur dans le processus d’observation[9]. » En somme, l’esprit est sujet, le déploiement de l’esprit est déploiement de l’expérience consciente, comme si donc la réalité n’était jamais que sa propre manière de s’expérimenter subjectivement. En somme, chez Kastrup, l’ontologie est une question épistémique puisque la réalité – ontologie – ne pourra se donner que dans la connaissance expérientielle du sujet – approche épistémique.

Il faut reconnaître que, à ce stade, les choses sont obscures car il semble que l’expérience n’advienne qu’avec la conscience individuelle qui, nous le verrons, institue l’expérience en se trouvant extérieure au monde, bien que le monde ne soit pas extérieur à l’esprit universel – rien ne pouvant être extérieur à l’esprit. Si, par charité, on admet que la connaissance expérientielle est la même chose qu’un ensemble d’idées, alors on peut comprendre pourquoi Kastrup envisage son approche comme étant idéaliste, ce qui ne peut se comprendre qu’en vertu du caractère indissoluble de son ontologie et de sa théorie de la connaissance ; il n’en demeure pas moins que l’emploi de la notion d’idéalisme est égarante et non justifiée car la notion d’idée ne reçoit pas de définition satisfaisante.

Accomplissons à présent un pas supplémentaire. Si la réalité est déploiement de l’esprit, alors celui-ci doit être pensé à un double niveau : 1) au niveau ontologique, toute réalité est mentale, rien de non-mental ne pouvant être conçu. Mais cela implique 2) qu’au niveau individuel, il ne soit pas possible non plus de se rapporter à autre chose qu’à l’esprit, donc cela implique que l’esprit ne soit pas une chose comme telle mais un milieu ou un « substrat » par lequel émergent toutes les expériences possibles :

« Le substrat d’esprit lui-même n’est pas une substance : il est le sujet, et non un objet. Il est le support, le milieu à partir duquel les perceptions apparaissent, tout en étant lui-même non perceptible pour exactement la même raison que l’œil qui voit ne peut se voir sans l’aide d’un miroir[10]. »

En somme, Kastrup ne réifie pas l’esprit, et n’identifie donc pas la réalité fondamentale à une chose déterminée. L’esprit est bien plutôt un milieu universel par lequel le sujet déploie son expérience ; mais son expérience de quoi ? Dans son analogie, Kastrup compare l’esprit à l’œil : il est le sujet qui voit tout, mais qui ne se voit pas lui-même directement, bien qu’il puisse se voir par la médiation du miroir. Autrement dit, puisqu’il n’y a que l’esprit sur le plan ontologique, il n’est pas possible que l’esprit se rapporte à autre chose qu’à lui-même ; toutefois, se rapporter à lui-même ne peut se faire directement, et il semble ne pouvoir se rapporter à lui-même que par une médiation qui semble différente de lui, tout comme l’œil ne peut se voir que par la médiation du miroir, différent de l’œil.

Si l’esprit se rapportait réellement à son autre, à ce qui n’est pas l’esprit, alors le monisme s’effondrerait, et le sujet accéderait à ce qui n’est pas mental. En toute rigueur, l’univers ou le monde ne peuvent pas être extérieurs à l’esprit et ne peuvent être qu’en lui. Mais il n’en demeure pas moins que, phénoménologiquement parlant, l’expérience subjective rencontre le monde comme une extériorité, la conscience personnelle se trouvant donc face au monde, ce dernier ne pouvant être qu’à l’extérieur de la conscience individuelle. D’où cette affirmation délicate à tenir : le monde est dans l’esprit universel, ce sans quoi le monisme spiritualiste s’effondre, mais le monde est à l’extérieur de la conscience individuelle, ce sans quoi l’expérience prise phénoménologiquement n’a plus de sens. En d’autres termes, l’univers n’est pas ce qui fait face à l’esprit (pris au sens universel) mais il est au contraire « le flux des contenus de l’esprit. Le corps – en tant que partie de l’univers et donc également le contenu de l’esprit ­– n’est pas séparé de l’esprit au sens large, de la même manière qu’un tourbillon n’est pas séparé du courant. En effet, le tourbillon n’est qu’un motif local dans le flux[11]. »

 

De là surgissent deux questions : 1) Comment passe-t-on de l’esprit unique et universel à la conscience personnelle ? 2) Si l’esprit est le sujet de sa propre expérience, faut-il en inférer que l’expérience soit par principe expérience de l’absolu ?

B : Incohérences et erreurs de « l’idéalisme analytique »

1 / L’enjeu de la conscience personnelle et le problème de l’extériorité

A la première question, la réponse va s’avérer hautement spéculative et pétrie de résonances néoplatoniciennes puisqu’elle va convoquer une espèce de chute de l’Un dans l’auto-différenciation et la multiplicité – conservant toutefois une « trace » de l’Un originel.

L’une des distinctions centrales avancées par Kastrup concerne celle qu’il convient de maintenir entre l’esprit pris universellement et l’esprit singulier, c’est-à-dire la conscience personnelle. A bien des égards, le monde en son entier est esprit ; il est donc de nature mentale et, de ce point de vue, le monde ne peut être extérieur à l’esprit comme tel ; en revanche, le monde est extérieur à la conscience personnelle. Ce qui revient à dire qu’avec la conscience personnelle surgit une situation intrigante, celle dans laquelle des états mentaux – l’univers – se présentent de l’extérieur à des états mentaux – le contenu de la conscience personnelle. Cela implique une scission de l’esprit ou, plus exactement, un processus de dissociation de l’esprit.

L’idéalisme analytique propose ainsi l’hypothèse suivante : un processus dissociatif, immanent à l’esprit universel, crée la frontière séparant la vie intérieure consciente du reste de la nature ; selon l’idéalisme analytique, nous sommes tous des processus dissociatifs dans l’esprit unique de la nature que Kastrup propose de penser à partir d’une analogie, celle du Trouble Dissociatif de l’Identité (TDI) :

« L’idée est que la nature dans son ensemble – qui est un esprit – subit un processus analogue au TDI humain. Tout comme les patients atteints de TDI présentent des centres de conscience apparemment disjoints appelés « alters », la nature dans son ensemble présente également de multiples centres de conscience disjoints que nous appelons « nous ». En termes analogiques, nous – et tous les autres êtres vivants – sommes des alters de la nature dans son ensemble[12]. »

Ou, pour le dire de manière plus physique, on peut considérer que les expériences sont des modalités d’excitation du champ universel qu’est l’esprit ; dans ce champ, la dissociation se produit naturellement et spontanément dans l’esprit d’un être humain.

« Selon l’idéalisme analytique, la vie est ce à quoi ressemble la dissociation dans le champ unique de subjectivité qu’est la nature, lorsque ladite dissociation est observée d’un point de vue extérieur et représentée sur les cadrans d’un tableau de bord cognitif[13]. »

L’esprit unique se dissocie en une infinité d’éléments, tous mentaux certes, mais différents les uns des autres, y compris les consciences individuelles se retrouvant aussi bien face au monde qu’extérieures aux autres consciences. L’esprit unique est comme éparpillé en une multiplicité d’éléments mentaux, quoique distincts et extérieurs les uns par rapport aux autres.

Il n’est pas certain que tout cela soit véritablement intelligible, d’abord et avant tout parce que Kastrup ne cesse d’utiliser un vocabulaire spatial et matériel pour décrire ce qui n’est pas spatial ni matériel. L’esprit en tant qu’esprit n’est pas matériel – d’ailleurs, rien au sens strict n’est matériel chez Kastrup puisqu’il défend un monisme – et, n’étant pas matériel, il n’est évidemment nulle part ; en quel sens, donc, l’univers peut-il être contenu « dans » l’esprit ? Que signifie être inclus dans une réalité par nature non matérielle ? Idem, dire que le monde n’est pas « dans » la conscience individuelle mais est « extérieur » à cette dernière, qu’est-ce que cela peut signifier puisque la conscience individuelle, en tant que conscience et non en tant que cerveau, n’est nulle part ? Et le fait est que Kastrup tient nettement au fait que, pour l’idéalisme analytique qu’il élabore, le monde doive être conçu comme « extérieur » à la conscience individuelle, à telle enseigne que c’est même le premier élément par lequel se trouve défini ledit idéalisme :

« L’idéalisme analytique – l’hypothèse métaphysique qui donne son titre à ce livre et qui est développée dans les chapitres suivants – reconnaît qu’il existe un monde extérieur, au-delà de nos esprits individuels. Il reconnaît également que ce monde extérieur se déploie spontanément, selon ses propres dispositions inhérentes, qui conduisent à leur tour à des régularités de comportement que nous en sommes venus à appeler les « lois de la nature ». L’idéalisme analytique reconnaît ensuite que la raison humaine peut identifier et modéliser ces régularités, ce qui lui permet de prédire le comportement futur de la nature. Enfin, il reconnaît que des phénomènes naturels complexes peuvent être suffisamment expliqués en termes de phénomènes plus simples.

Ainsi, l’idéalisme analytique englobe le réalisme (c’est-à-dire le fait qu’il existe un monde extérieur, indépendant de notre esprit individuel, de notre observation, (…)), le naturalisme, (…), le rationalisme et le réductionnisme[14]. »

Mais dire qu’il « existe un monde extérieur » à la conscience, c’est introduire des relations d’extériorité partes extra partes au cœur de ce qui, par définition, a été annoncé comme non matériel et non étendu. A la rigueur pourrait s’entendre que, dans l’expérience subjective, le monde apparaisse comme extérieur, l’extériorité étant un effet de la représentation, ce que Kant semble dire dans l’Esthétique transcendantale ; mais ce n’est pas là ce que dit Kastrup qui ne précise pas ses affirmations par des modalisations. Allons plus loin : si le monde est « dans » l’esprit, quoi que puisse signifier ce « dans », et si chaque conscience individuelle n’est jamais qu’une auto-dissociation de l’esprit donnant lieu à une espèce de « nœud », alors le seul énoncé légitime qu’on en puisse tirer est que chaque conscience individuelle est un point de vue partiel de l’esprit sur lui-même, et non que le monde soit extérieur à la conscience.

2 / L’expérience et la matière

La conscience individuelle est donc de nature mentale mais se retrouve comme frontalement opposée à l’esprit dont, pourtant, elle procède. C’est là qu’apparaît l’expérience, c’est-à-dire la manière dont le sujet se rapporte au monde qui lui fait face et qui, rappelons-le, est lui aussi le résultat du processus de dissociation de l’esprit. Dans l’extrait précédent, Kastrup emploie l’analogie du « tableau de bord » : la conscience individuelle ne perçoit pas la nature réelle du monde – l’esprit – mais n’en perçoit qu’une représentation faisant croire à la nature matérielle du monde. La question devient donc celle de déterminer ce que signifie disposer d’une expérience perceptive du monde.

Selon l’idéalisme analytique, la « matière » est « ce à quoi ressemblent des états mentaux lorsqu’ils sont observés d’un point de vue extérieur. En d’autres termes, la « matière » est une représentation mentale d’autres états mentaux[15]. » Le propos est ici assez logique si l’on admet tout ce qui précède : l’expérience subjective du monde est celle d’une matérialité ; or, le monde en sa nature est mental et non matériel ; il faut donc en conclure que la matière n’est jamais qu’une représentation, intrinsèque à l’expérience, de la manière dont se donne la réalité mentale du monde. L’esprit se donne dans l’expérience sous forme matérielle. La matière est, pour le dire autrement, ce à quoi ressemble l’esprit, dans l’expérience, pour qui l’observe de l’extérieur, une observation extérieure étant possible en vertu du processus de dissociation.

Pour imager cette situation, Kastrup va convoquer une analogie qu’il semble beaucoup goûter, celle de l’appareillage du cockpit opaque d’un avion donnant une situation précise et mesurable de l’état du ciel et de la navigation. Le ciel est ici l’analogue de la réalité du monde – donc sa nature mentale – tandis que les appareils de mesure sont analogues à la représentation : il est évident qu’une aiguille tournant sur un cadran diffère du ciel tout en donnant une information sur lui. Elle est susceptible de fournir une représentation utile du ciel mais ne saurait le donner adéquatement.

« Tout comme l’avion, nous sommes également équipés de capteurs pour collecter des informations sur le monde qui nous entoure : nos rétines, nos tympans, nos papilles gustatives, les muqueuses du nez et la surface externe de la peau mesurent les états de l’environnement autour de nous. Les résultats de ces mesures sont ensuite représentés sur l’écran de la perception : ce que nous voyons, entendons, touchons, goûtons et sentons. En tant que tel, l’écran de la perception est tout à fait analogue au tableau de bord de l’avion : tous deux affichent des informations sur notre environnement collectées par nos capteurs. Pourtant, comme nous venons de le voir, le tableau de bord de l’avion n’a pas besoin de ressembler au ciel pour transmettre des informations précises, pertinentes, et exploitables sur le ciel[16]. »

Ici se rejoue le problème très classique du rapport entre la représentation et ce que Kant appellerait « la chose en soi » ou, pour le dire de manière plus neutre, surgit le rapport entre la représentation véhiculée par l’expérience et la nature intrinsèque du monde tel qu’il est indépendamment de notre représentation. Le monde tel qu’il est indépendamment de la représentation, tel qu’il est en lui-même, peut-il être connu depuis la représentation, donc depuis la manière dont nous le connaissons ? La conscience subjective peut-elle accéder à une connaissance du monde faisant abstraction de sa propre subjectivité ? Cela revient à se demander si la connaissance consciente – ou la « perception » prise au sens le plus large – peut s’ouvrir au monde tel qu’il est, peut être ce que Kastrup appelle une « fenêtre transparente sur le monde » ?

 « La perception peut-elle être une fenêtre transparente sur le monde, même si ce n’est pas nécessaire ? La réponse est un « non » catégorique : la perception ne peut pas être une fenêtre transparente sur le monde[17]. »

La perception n’est pas une fenêtre transparente sur la réalité ; nous ne pouvons pas dire que le monde réel est physique. En fait, quel que soit le sens que nous donnons au mot « physique », le monde réel n’est pas physique, car « la signification même de la physicalité est ancrée dans les paramètres et les graduations du tableau de bord[18]. »

3 / Incohérences de l’approche de l’expérience consciente par Kastrup

Si les analogies que retient Kastrup sont séduisantes, il convient d’émettre une série d’objections et de souligner la série d’erreurs logiques qui structurent malheureusement son propos. Fondamentalement, l’ensemble du discours repose ici sur une gigantesque pétition de principe car, nous le verrons, les arguments soutenant de telles affirmations sont fallacieux. Attribuer la matérialité du monde à l’expérience, au « tableau de bord », n’est justifié que par le principe de départ, à savoir la nécessité de juger que la réalité, en son fond et en son fonds, est mentale. Pourquoi cela ? Parce que si la réalité en son fond et son fonds est mentale, et si l’expérience subjective du monde se présente comme matérielle, alors cela ne peut être compatible avec le principe de départ que si l’expérience subjective du monde ne délivre pas la réalité du monde, ce sans quoi le monde serait intrinsèquement matériel. Le principe de départ impose de ce fait de dire que l’expérience subjective charrie une série de représentations qui, loin de parler de la réalité du monde, ne parlent que de l’expérience. Si l’expérience délivrait la réalité du monde, alors le monisme s’effondrerait puisque l’expérience représente le monde comme matériel et non comme mental ; or le monisme ne doit pas s’effondrer ; donc il faut affirmer que l’expérience, (quoique mentale en son fond !), ne dit rien de la réalité du monde. C’est là une pure pétition de principe.

Deux points doivent être ici relevés. D’une part, le propos accuse un déficit de connaissance de l’histoire de la pensée ; cette affirmation d’une différence entre la représentation et l’absolu, entre le « phénomène » et la « chose en soi » pour le dire comme Kant a été logiquement réfutée par Hegel, à plusieurs reprises[19]. Rappelons-en brièvement l’argument : 1) Nous ne pouvons affirmer que la représentation (l’expérience) diffère de la réalité absolue du monde que si nous pouvons connaître la réalité absolue afin de comparer ce que nous montre l’expérience (la représentation) et ce qu’est la réalité en soi du monde. 2) Or ceux qui affirment la différence entre la représentation et la réalité absolue affirment en même temps que le sujet est comme enfermé dans l’expérience, c’est-à-dire ne peut pas sortir du cadre subjectif depuis lequel il appréhende le monde ; autrement dit, le sujet ne peut pas s’affranchir de lui-même, ne peut pas sortir de ce qui lui est relatif, donc ne peut pas connaître le monde tel qu’il est. D’où 3) Ne pouvant pas connaître le monde tel qu’il est, il ne peut pas comparer le monde tel qu’il est avec le monde tel qu’il lui apparaît dans l’expérience et il ne peut donc pas affirmer que la représentation du monde diffère du monde tel qu’il est. Si l’on reprend l’analogie de Kastrup, cela revient à dire que l’on ne pourrait affirmer que le tableau de bord diffère du ciel que si le pilote pouvait avoir une connaissance du ciel indépendamment du tableau de bord, et pouvait ainsi les comparer. Or, toute l’analogie est conçue pour montrer que le pilote ne se rapporte qu’au tableau de bord précisément parce qu’il ne peut pas connaître le ciel du tout. Comme le rappelle Kastrup, « nous sommes des pilotes d’avion nés dans le cockpit d’un avion sans fenêtres ; un avion qui peut seulement être piloté à l’aide d’instruments. Nous n’avons jamais quitté le cockpit pour voir le monde extérieur tel qu’il est réellement[20]. » Donc affirmer leur différence est une impossibilité ou une affirmation gratuite que rien ne justifie puisque les mesures de l’appareillage du cockpit ne peuvent être comparées à rien.

Concluons donc sur ce premier point : l’affirmation d’une différence entre la représentation (l’expérience) et la réalité comme telle n’est pas légitime, car elle supposerait la connaissance de ce qui est justement réputé impossible. Comment depuis cet avion « sans fenêtre » pouvons-nous dire quoi que ce soit de la réalité du ciel et la comparer à notre représentation pour affirmer que notre représentation diffère de la réalité du ciel ? C’est donc bien par une pure pétition de principe que se trouve affirmée la différence entre expérience du monde et réalité intrinsèque de ce dernier ; c’est parce qu’il faut par hypothèse initiale que la seule réalité soit mentale qu’il faut que la représentation du monde comme étant matériel ne nous donne pas la réalité du monde – ce sans quoi la réalité intrinsèque du monde ne serait pas que mentale… On trouve du reste, çà et là, des juxtapositions d’affirmations pratiquement contradictoires car, d’un côté, il faut que le monde réel soit constitué d’états mentaux mais, de l’autre, puisque le monde réel n’est pas connaissable par expérience – ce sans quoi s’effondrerait la distinction entre représentation et réalité –, il faut dire qu’on ne sait pas de quoi est fait le monde réel. De là le genre de propos tenus  pages 44 et 45 de L’idéalisme analytique en quelques mots : inférant de la logique générale du livre que le monde réel est fait d’états expérientiels, donc statuant sur la nature même du monde, Kastrup semble aussitôt se rappeler que sa définition de l’expérience aliénée à la représentation l’empêche structurellement de connaître la nature du monde, d’où la précision suivante : « En disant cela, je n’affirme pas que le monde réel, tel qu’il est en lui-même, est constitué de pensées et d’émotions qualitativement semblables aux nôtres ; je l’ignore, car je ne sais pas ce que cela fait d’être le monde réel là dehors[21]. » En somme, par pure pétition de principe il affirme que la nature du monde est faite d’une texture mentale, donc de pensées et d’émotions, ce sans quoi le monisme tomberait ; mais parce que l’expérience est arbitrairement réputée incapable de donner la nature réelle du monde, il considère ne pas savoir si cette nature mentale est similaire à la nôtre. Nous verrons plus bas que cela soulève d’énormes difficultés, notamment concernant les qualia.

La seconde objection que l’on peut soulever concerne un pseudo-argument, particulièrement confus, que propose Kastrup pour justifier que la représentation ne puise être une fenêtre ouverte sur le monde, ne puisse donner le monde tel qu’il est :

« (…) si tel était le cas, nos états cognitifs internes devraient refléter les états externes du monde, puisque c’est ce qu’implique l’hypothèse de la « fenêtre transparente ». Mais puisqu’il n’y a, a priori, pas de limite supérieure à la dispersion des états du monde – c’est-à-dire à l’entropie du monde –, il n’y aurait pas non plus de limite supérieure à la dispersion de nos états cognitifs internes, dans la mesure où ces derniers reflètent les états du monde. En d’autres termes, si la perception était une fenêtre transparente nous permettant de voir le monde tel qu’il est réellement, il n’y aurait pas de limite supérieure à notre entropie interne. Physiquement, cela signifie qu’en regardant simplement le monde, nous pourrions littéralement nous dissoudre dans une soupe de viande chaude ; car l’entropie interne non limitée est incompatible avec une intégrité structurelle et dynamique[22]. »

L’argument nous semble signifier ceci : si notre représentation était une fenêtre ouverte sur le monde, alors à cause de l’entropie, elle serait chaotique et emportée par les états entropiques du monde ; or l’expérience perceptive est ordonnée, donc elle ne peut être le reflet fidèle du monde. Mais l’argument est très visiblement fallacieux car la notion d’entropie est une notion de physique liée à la représentation et à l’élaboration conceptuelle du monde ; ce n’est pas une propriété intrinsèque du monde, ce n’est pas une propriété du monde en soi ou du monde tel qu’il est réellement. Autrement dit Kastrup viole ici son propre interdit en passant de la représentation à l’absolu, en prêtant au monde tel qu’il est une propriété élaborée depuis la représentation – l’entropie – et en affirmant que si le monde en soi est entropique, alors une perception fidèle de celui-ci produirait une expérience elle-même entropique, ce qu’elle n’est pas ; ne l’étant pas, elle n’est donc pas expérience du monde en soi. Cet argument est insensé, contredit le raisonnement de Kastrup et n’est jamais que le symptôme évident de la pétition de principe qui se joue dans l’affirmation d’une différence entre la représentation (l’expérience) et la nature réelle du monde.

Du reste, à plusieurs reprises l’auteur convoque des « preuves empiriques » intrinsèquement liées à la représentation pour statuer sur la nature du monde, ce qui est littéralement insensé puisque rien d’empirique ne saurait concerner le monde en soi selon sa propre approche. C’est ainsi que dans Donner un sens à l’absurde, Kastrup infère des conséquences métaphysiques depuis une expérience physique, c’est-à-dire viole son propre interdit de statuer sur l’en-soi à partir de la représentation. Jugeons plutôt : à partir des fameuses expériences d’Alain Aspect montrant la violation des inégalités de Bell, Kastrup affirme que le réalisme n’est plus soutenable : « On peut donc dire que, dans le cadre de la pensée scientifique actuelle, le réalisme tel qu’on l’entend habituellement doit être abandonné[23]. » Mais cet échec du réalisme et de la localité dans le domaine de la physique quantique, donc dans un des multiples domaines de la connaissance expérimentale humaine, se voit hypostasié en interdit métaphysique au sujet de la nature profonde du monde : il n’est plus possible d’être réaliste au sens métaphysique, donc de tenir que la réalité en elle-même pourrait être pleinement indépendante de l’observation consciente. Il y a là un sophisme car la « réalité » dont parle la science n’est justement pas la « réalité » profonde du monde dont parle Kastrup qui ne cesse de rappeler que la science construit une réalité qui n’est jamais que ce que peut mesurer l’expérience, ainsi que l’établit le premier chapitre de Pourquoi le matérialisme est absurde : « notre aptitude à modéliser les motifs et régularités de la réalité nous dit peu de choses sur la nature sous-jacente des choses[24]. » Dans ces conditions, rien de ce qu’obtient la science ne devrait être hypostasié en principe métaphysique sur la nature profonde du monde ; pourtant, l’impossible réalisme de la physique quantique reçoit une extension considérable et devient un argument en faveur de l’idéalisme qui est pourtant une position générale relevant du métadiscours, et non un énoncé scientifique…

Concluons sur le problème de l’expérience. C’est là le point le plus faible de l’œuvre ; rien ne permet de justifier que celle-ci serait trompeuse ou, plus exactement, ne nous donnerait pas la réalité du monde. Seule une pétition de principe conduit à affirmer la différence entre la représentation et la réalité du monde, l’argument par l’entropie étant en tout point fallacieux et insensé. A cela s’ajoute une sorte d’imprécision sur la nature même de la différence affirmée entre représentation et réalité car, selon l’ouvrage considéré, la différence n’a pas le même sens : dans L’idéalisme analytique en quelques mots, la différence paraît qualitative, l’expérience faisant paraître le monde comme matériel tandis que le monde serait intrinsèquement mental, alors que dans Pourquoi le matérialisme est absurde, la différence est quantitative, la représentation ne pouvant pas recueillir autant d’informations qu’il y en a dans le monde. En somme, dans Pourquoi le matérialisme est absurde, la représentation du monde paraît simplement incomplète et ne diffère du monde réel que pour des raisons de complétude, Kastrup y affirmant « que la majeure partie de ce qui se passe reste invisible pour l’ego[25]. »

4 / Insuffisances explicatives et assertions gratuites

On retrouve là un déficit de connaissance du traitement par l’histoire de la philosophie de ses problèmes, dont la maîtrise aurait permis de préciser bien des aspects ; chez Kant, par exemple, si l’on fait abstraction de la réfutation par Hegel de la possibilité d’affirmer la différence entre le phénomène et la chose en soi, il est clair que le phénomène ne diffère jamais quantitativement de la chose en soi mais ne peut en différer que qualitativement ; le phénomène ne peut en effet jamais être que la chose en soi en tant que qualitativement altérée par les formes de l’intuition pure a priori, mais il ne peut pas être une perception incomplète de ladite chose en soi. La perception phénoménale ne manque pas d’information sur la chose en soi, mais elle l’altère perceptivement du fait même qu’elle s’y rapporte par l’espace et le temps. Le processus kantien de perception phénoménale est donc parfaitement décrit et est explicatif de la raison pour laquelle nous ne pouvons pas percevoir la chose en soi.

En revanche, les différents ouvrages de Kastrup accusent une très nette insuffisance conceptuelle, et n’emploient que rarement le mot juste ; la question de la manière dont le monde se montre dans la perception et l’expérience devrait être traitée dans le lexique de la phénoménalité car tout ce dont parle Kastrup concerne d’abord et avant tout une forme de monstration : quelque chose se montre comme étant matériel, se phénoménalise selon la matérialité, et détermine ce que l’on pourrait appeler l’aspect de l’expérience.

Or il est évident, à lire Kastrup, que rien ne permet de comprendre conceptuellement pour quelle raison le monde apparaît dans l’expérience comme il apparaît (c’est-à-dire matériellement) ; non seulement, tout paraît gratuit mais en plus on ne comprend pas du tout pourquoi l’esprit se rapportant à lui-même sous la forme d’expériences subjectives devrait s’apparaître comme autre que mental. La métaphore de l’esprit comme substrat vibrant ou comme champ excité ne permet pas de justifier que la vibration se manifeste selon une apparence matérielle. Pour le dire plus simplement, il n’y a aucune raison avancée pour rendre compte du fait que la conscience individuelle – qui n’est jamais que l’esprit dissocié – pense faire l’expérience d’autre chose que de l’esprit.

Or le fait est que, dans l’analyse de Kastrup, ce qui est mental se phénoménalise dans l’expérience comme matériel, donc comme non-mental. Mais, ontologiquement parlant, seul existe l’esprit, donc la matière ne peut pas être réelle et devrait être une illusion née de la représentation. Mais est-elle une illusion ontologique – donc une erreur sur ce qui existe réellement – ou une erreur épistémique – il y a quelque chose mais ce quelque chose n’est pas correctement perçu ? On retrouve ici la confusion abordée au début du présent article car ce n’est pas du tout la même chose de dire qu’il n’y a pas de matière (ontologie) que de dire que la matière n’est pas ce qu’on croit (problème épistémique). Chez Kant par exemple, le phénomène n’est pas irréel car, par son contenu, par sa matière, il est l’effet de la chose en soi sur moi. Autrement dit, par la distinction kantienne capitale entre forme et matière du phénomène, Kant évite au phénomène de n’être que le pur effet de la représentation ; par sa matière, il dispose d’une réalité, et c’est cette réalité même qui se phénoménalise selon les formes a priori de la sensibilité. Le phénomène chez Kant ne se réduit pas à une pure impression de la représentation ; il est bien plutôt le résultat de la phénoménalisation d’une réalité à part entière, et l’on comprend alors aussi bien pourquoi le phénomène diffère de la chose en soi – par la forme – que la raison pour laquelle il n’est pas qu’une simple impression – son poids ontologique provient de sa matière. Nous ne pouvons certes pas connaître la chose en soi, car nous ne pouvons pas faire abstraction de nos cadres formes de connaissance, mais nous pouvons toutefois penser que la chose en soi est bien la réalité qui se phénoménalise dans le phénomène. C’est ce que Kant, dans un célébrissime passage de la seconde édition de la Critique de la raison pure, avait jugé nécessaire de rappeler :

« Pourtant, il faut toujours émettre cette réserve – et le point est à bien remarquer – que nous ne pouvons certes pas connaître, mais qu’il nous faut cependant du moins pouvoir penser ces objets aussi comme chose en soi. Car, si tel n’était pas le cas, il s’ensuivrait l’absurde proposition selon laquelle il y aurait un phénomène sans rien qui s’y phénoménalise[26]. »

Un phénomène ne naît pas comme tel de la seule conscience et n’est aucunement une impression illusoire de la conscience ; il est la monstration d’une réalité en soi passée au prisme des formes a priori du sujet connaissant, ce qui revient à dire qu’il n’y a de phénomène que par la phénoménalisation de la réalité, phénoménalisation conditionnée par les formes a priori de la sensibilité.

Chez Kastrup, il n’y a rien de tout cela : on ne comprend pas du tout comment l’expérience est amenée à différer de la réalité puisqu’il n’y a pas chez lui de reprise de la distinction entre le contenu et la forme de la représentation, si bien qu’on ne comprend pas bien sur quel tableau s’étaye pareille distinction ; pis encore, puisque la matière au sens strict n’existe pas mais n’est qu’un effet de la représentation, on ne comprend pas non plus pourquoi la réalité se donnant à la conscience se donne sous la forme inadéquate que lui confère l’expérience.

5 / Qu’est-ce que la matière ?

A ce stade de la réflexion, il convient de se demander ce qu’est la matière chez Kastrup. Il est une réponse évidente au regard des principes initiaux : dans un monisme spiritualiste, on sait au moins ce que la matière n’est pas ou ne peut pas être ; elle ne peut pas être un principe ontologique autonome, elle ne peut pas disposer d’une réalité à part entière et ne peut donc être qu’une modalité de l’esprit. Quelque chose dans le fonctionnement de l’esprit doit donc être explicatif de la « matière » ; ce quelque chose, nous l’avons compris, c’est tout simplement l’expérience en ceci que par elle, ce qui est mental, c’est-à-dire un champ ou un milieu, se présente à une conscience selon une allure « matérielle ». Autrement dit, il n’y a de « matière » que pour une conscience expérimentant « de l’extérieur » une réalité mentale, un corps physique étant alors l’allure ou l’aspect que revêt un état mental dans l’expérience qu’en fait une conscience. Kastrup affirme ainsi que la « matière » est « ce à quoi ressemblent des états mentaux lorsqu’ils sont observés d’un point de vue extérieur. En d’autres termes, la « matière » est une représentation mentale d’autres états mentaux[27]. » La matière ne peut donc avoir de sens en-dehors de la représentation – de l’expérience – et n’a pas de densité ontologique, si bien qu’elle est une modalité de l’esprit puisqu’elle est l’aspect sous lequel le mental apparaît à celui qui le saisit de l’extérieur.

Mais, à bien y regarder, tout cela est plus qu’obscur. Premièrement, que veut dire ici « ressembler » et comment sait-on que la matière ressemble aux états mentaux puisque ceux-ci sont réputés inconnaissables par Kastrup lui-même ? Deuxièmement, pourquoi une saisie extérieure des états mentaux donnerait-elle l’impression que ceux-ci sont « matériels » ? Pourquoi ce que Kastrup appelle « extériorité » devrait-il générer une expérience des états mentaux sous l’aspect de la matière ? Et comment l’esprit, en s’auto-dissociant, peut-il donner lieu à l’extériorité alors même qu’il n’est justement pas spatial puisque pas matériel ?

On touche ici au cœur du caractère spécieux de l’ensemble du propos qui se cristallise dans son usage de l’extériorité. Lorsqu’un état mental est perçu de l’extérieur, c’est-à-dire par une conscience subjective (qui est elle-même mentale), alors s’opèrerait une transformation phénoménale de l’esprit : l’extériorité supposée du regard génèrerait l’impression d’une matérialité du contenu de l’observation. Mais pourquoi ? C’est là une affirmation incompréhensible puisque l’ontologie générale de Kastrup est intégralement moniste ; de ce fait, qu’il s’agisse du monde ou du point de vue extérieur, ce ne sont là que des modalités de l’esprit ; de ce fait, il n’y a aucune raison particulière, dans une ontologie moniste, pour que l’extériorité d’un point de vue conscient – qui demeure à l’intérieur de l’esprit – génère une représentation matérielle de ce qui est mental. A la rigueur, si Kastrup disposait d’une Logique de type hégélien où l’esprit ne peut se phénoménaliser que dans son autre, cela pourrait s’entendre car il appartiendrait à l’esprit de s’accomplir par la matière, ce que permet de comprendre la phénoménologie de l’esprit absolu. Mais, par la scission irréductible entre représentation et réalité, le propos de Kastrup se situe aux antipodes de toute phénoménologie hégélienne. Il nous semble donc que toute la partie des écrits de ce dernier consacrée à la représentation, à l’expérience et au monisme spiritualiste, est incohérente et indéfendable pour les raisons susmentionnées.

Seul le terme de « correspondance », employé pour penser le rapport entre les états conscients de la conscience subjective et les processus neuronaux aurait pu être fécond, s’il avait été employé dans toute son extension leibnizienne et avec la métaphysique adéquate pour lui conférer un soubassement ; malheureusement, faute de cette solidité conceptuelle, l’ensemble du propos s’enlise dans des incohérences et des erreurs fort dommageables.

6 / Le problème spécifique du cerveau

A cela s’ajoute le problème spécifique de la matière cérébrale, c’est-à-dire du cerveau ; dans Pourquoi le matérialisme est absurde, Kastrup défend une thèse séduisante de prime abord, d’inspiration bergsonienne, mais inintelligible lorsqu’on cherche à lui donner un sens au regard des principes généraux. Cherchant à rendre compte du fait que l’expérience consciente est privée et limitée, donc que, phénoménologiquement parlant, nous ne faisons pas l’expérience du monde en son entier, l’auteur va préciser le rôle supposé du cerveau en utilisant une métaphore que, par la suite, il jugera d’ailleurs insuffisante : le cerveau est comme un filtre en vertu duquel ne se présente dans l’expérience que ce qui, de l’ensemble du monde, correspond à la position du corps matériel :

« la fonction du cerveau est de localiser la conscience, de la fixer au point de référence spatio-temporel impliqué par le corps physique. En faisant cela, le cerveau module la perception consciente en accord avec la perspective du corps[28]. »

L’auteur propose donc de dire que le cerveau filtre tout ce qui n’est pas corrélé à la position du corps et peut apporter la précision suivante :

« Selon cette « hypothèse du filtre » dans l’interaction esprit-cerveau, aucune expérience subjective n’est générée par le cerveau, mais simplement sélectionnée par lui selon la perspective du corps dans l’espace-temps, ainsi que Bergson l’a si brillamment proposé il y a plus de cent ans. Ce processus de sélection est semblable à une « filtration » de l’expérience consciente : comme un poste de radio sélectionne, parmi une quantité de stations variées présentes simultanément dans le signal diffusé, celle qui sera écoutée, toutes les autres étant éliminées et n’atteignant pas la conscience de l’auditeur[29]. »

Il y a là en effet une idée récurrente depuis Bergson, à savoir que le cerveau est une forme de « capteur » par lequel se trouve « capturée » une réalité qui n’est pas de nature corporelle mais qui se donne à expérimenter grâce au corps. Un auteur comme Emmanuel Ransford avait approfondi cette métaphore avec l’ampoule émettant une lumière sans être la lumière sur fond de l’idée générale du poste de radio captant des ondes qu’il n’avait pourtant pas émises, ce dont nous avions pu discuter dans cet entretien. Néanmoins, chez Kastrup, en raison même des principes généraux de l’idéalisme analytique, cette métaphore soulève de sérieuses difficultés pour deux raisons ; la première tient au fait que, toute chose étant dans l’esprit, le cerveau ne peut être lui-même que « dans » l’esprit, et est donc amené à filtrer ce dont il procède. La seconde, bien plus grave, tient au fait que le cerveau, comme toute entité perçue comme matérielle, ne peut être dans le système de Kastrup qu’une « image » de la conscience personnelle, ne peut être que ce à quoi ressemble la conscience individuelle quand elle est observée de l’extérieur. Le cerveau est chez Kastrup une simple apparence par laquelle est observée de l’extérieur la conscience qui, en elle-même, n’est pas matérielle. Ce qui revient à dire qu’au sens strict, ce n’est pas le cerveau qui filtre mais bien la conscience personnelle ; or, la conscience personnelle n’étant pas matérielle ni corporelle n’a aucune raison de « localiser » l’expérience selon le corps, n’a aucune raison de filtrer selon le corps si bien que l’expérience localisée n’est intelligible que selon le cerveau, mais aucunement selon la conscience en tant que telle.

A la première difficulté, c’est-à-dire au problème du cerveau filtrant l’esprit alors même qu’il y est contenu, Kastrup apporte une solution en rappelant que le « filtre » n’est jamais qu’une métaphore, l’essentiel étant de comprendre que « le cerveau est l’image d’un processus au moyen duquel l’esprit limite et localise le flux de ses propres contenus[30]. » Autrement dit, la conscience individuelle donnant lieu à une expérience limitée n’est jamais que le résultat d’un processus de l’esprit lui-même par lequel ses contenus s’auto-limitent. Mais c’est justement là que surgit la seconde objection, bien plus grave : que peut bien signifier « localiser le flux de ses propres contenus » pour une réalité qui n’est pas matérielle, donc non susceptible de localisation ? En somme, le dilemme est le suivant :

  • Soit c’est bien l’esprit lui-même qui procède à sa propre limitation dans le flux de ses contenus pour donner lieu à l’expérience individuelle, le cerveau n’étant qu’une image « matérielle » de ce processus, mais alors on ne comprend absolument pas ce que peut signifier « localiser » pour une réalité non matérielle et non spatiale, et encore moins comment il se fait que l’expérience individuelle se présente comme matérielle.
  • Soit c’est le cerveau qui accomplit la sélection en fonction de la position du corps, mais dans ce cas l’expérience consciente est déterminée par le corps matériel et il faut penser la détermination causale du cerveau sur l’expérience elle-même, le cerveau ne pouvant plus être l’image observationnelle du processus de sélection mais bien l’agent concret et effectif par lequel est déterminé le contenu de l’expérience. Autrement dit, si l’on maintient de force l’idée que le cerveau est une image, alors il faut admettre que cette image rétroagit sur le modèle, ce qui n’est pas le rôle d’une image…

Si donc « le cerveau est l’image d’un processus de localisation des contenus mentaux[31] », comme le répète Kastrup, on tombe dans l’aporie de la première branche du dilemme, le processus de sélection des contenus mentaux ne pouvant pas être en lui-même localisant ; il ne peut y avoir de localisation que cérébrale, si bien qu’il aurait à la rigueur fallu dire que le cerveau était l’image localisante d’un processus de sélection des contenus mentaux. Mais parler d’un processus de localisation des contenus mentaux dont le cerveau est l’image est insensé. Pourquoi toutefois Kastrup commet-il cette erreur ? Parce qu’il est piégé par son propre lexique spatialisant : puisque le monde est « dans » l’esprit, il est amené à formuler ce qui concerne l’esprit dans le lexique de l’étendue et de la spatialisation ; et parce qu’il dit que le monde est extérieur à la conscience individuelle, il est amené à reconduire les mêmes formulations trompeuses à l’échelle de la conscience individuelle qui pourrait être située et localisée.

C : Une critique pertinente du matérialisme

Faut-il au regard de ce qui précède rejeter l’ensemble des analyses développées par Kastrup ? La faiblesse et les incohérences de son approche de l’expérience et de la représentation sont-elles dirimantes pour la totalité de ses écrits ? Nous ne le croyons pas ; si l’érection de l’idéalisme analytique comme doctrine est indéfendable, la critique du matérialisme, elle, est non seulement fondée mais de surcroît stimulante. Pourquoi alors, au regard des faiblesses presque dirimantes de l’analyse de l’expérience menée par Kastrup, juger stimulante la lecture de ses œuvres ? Parce que bien des aspects du matérialisme se trouvent discutés de manière pertinente et que la difficulté de rendre compte de la vie consciente depuis des particules supposément inertes est examinée dans toute son étendue.

1 / « Le problème difficile de la conscience »

La vertu principale du livre de Kastrup consiste à montrer que ce que Chalmers appelle « le problème difficile de la conscience » ne se révèle « difficile » que si l’on cherche à penser l’apparition de la vie consciente depuis une matière non consciente. Plus que « difficile », c’est même à une situation « magique » que le matérialisme demande de croire, à une forme de transmutation de la matière non-consciente en vie consciente ordonnée sans que rien ne permette de justifier pareil passage. A cet égard, l’idée que le cerveau ne soit pas le soubassement depuis lequel émerge ou apparaît une vie consciente mais soit au contraire « l’image partielle de l’esprit dans le processus d’auto-localisation [32]» évite d’avoir à rendre compte de la « magie » à laquelle le matérialisme nous condamne d’une manière ou d’une autre à croire.

Pour éviter d’affronter ce passage « magique », un courant matérialiste propose toutefois une échappatoire via une vision panpsychiste : contre une vision parfois naïve, Kastrup montre très bien qu’un certain panpsychisme peut être une voie logique du matérialisme, éliminant le problème de « l’émergence » de la vie consciente depuis ce qui n’est pas conscient en réputant toute particule porteuse de conscience. « Selon le matérialisme, écrit Kastrup, si vous ne pouvez pas expliquer la conscience en termes de dynamiques émergeantes de particules subatomiques inconscientes, alors vous devez postuler que la conscience est elle-même une propriété fondamentale de toute particule – comme la charge électrique, la masse ou le spin[33]. » Mais, remarque avec justesse Kastrup, ce genre de formulations paradoxales d’une certaine approche matérialiste se heurte à une sous-détermination des particules du point de vue physique ; en effet – et l’auteur le prouve par d’abondantes citations – cette manière de voir conserve une vision archaïque des particules comme si elles étaient des grains ou des « billes » de matière, bref comme de quasi-substances à rebours de ce que signifient les particules en physique depuis les découvertes quantiques. Maintenant une vision archaïque des particules, le courant panpsychiste n’intègre pas le discours de la physique pour lequel les particules sont des « motifs localisés d’excitation d’un champ quantique spatialement non limité[34]. » Et Kastrup de rappeler ce principe désormais admis de la physique :

« Il n’existe que des champs quantiques, spatialement illimités. Les particules « fondamentales » ou « élémentaires » sont « fondamentales » et « élémentaires » simplement dans le sens où elles ne sont pas constituées par d’autres particules (de la même manière par exemple que, par exemple, les protons et les neutrons sont constitués de quarks et de gluons, seuls ces deux derniers étant « fondamentaux » ou « élémentaires ») ; non pas qu’elles soient irréductibles. Depuis près d’un siècle, la physique sait que les particules et leurs propriétés sont réductibles à des champs[35]. »

De ce fait, le panpsychisme pèche par sa conception des particules, et s’il veut éviter le « problème difficile de la conscience », il doit dire que c’est le champ tout entier qui est conscient, et non les particules, puisqu’une particule est son champ associé tout comme une ondulation est la rivière qui ondule ; bref, le panpsychisme réifie les particules, il « voit des choses là où il n’y a que des activités[36]. » Signalons par ailleurs que, contre ce que pourrait laisser croire une lecture hâtive des ouvrages de Kastrup, ce dernier ne se pense pas comme panpsychiste en dépit de son monisme spiritualiste : en effet, l’esprit n’étant pas chez lui une substance mais un substrat ou un simple milieu, il n’est pas une chose déterminée ; c’est pourquoi il refuse le panpsychisme en raison de la perspective réifiante de ce dernier qui fait des particules des choses dotées d’une propriété qui est elle-même une chose, à savoir l’esprit. C’est précisément parce que l’esprit est réifié selon Kastrup dans la perspective panpsychiste qu’il peut être (sup)porté par une chose, à savoir les particules de matière.

Cette analyse conduit à des passages extrêmement convaincants sur le fait que bien des discours scientifiques, notamment biologiques, pensent toujours ce qui est « élémentaire » comme si c’étaient des parties à assembler ou combiner, ce qui n’est jamais que la reproduction de la vision archaïques des particules à assembler, comme si toute chose était une « composition » d’éléments individuels à assembler. Se trouve ainsi menée une critique des présupposés assemblistes de bien des discours et, à cet égard, aussi bien L’idéalisme analytique en quelques mots que Pourquoi le matérialisme est absurde touchent du doigt un problème profond des présupposés tenaces concernant ce que sont les corps.

2 / Deux cercles vicieux du matérialisme

Un autre élément fort bien analysé est la conséquence de l’approche matérialiste sur ce que devrait être la vie consciente. Fatalement, si la vie consciente ne se conçoit que par et dans le cerveau, alors il en découle nécessairement que ce dont nous faisons l’expérience dans nos vies n’est pas le monde extérieur en tant que tel mais une sorte de « copie » de ce monde construite par le cerveau. Tout ce que nous voyons, entendons ou percevons de tout autre façon est supposé être un amalgame complexe de signaux électro-chimiques qui se déploie dans une sorte de théâtre à l’intérieur de notre crâne. On ne peut en somme faire l’expérience du monde extérieur que par des signaux entrant dans le cerveau via les organes des sens, produisant une « hallucination  qui corresponde au monde extérieur[37]. » Ce qui frappe ici est que l’implication du matérialisme est, structurellement parlant, analogue à celle d’un certain idéalisme : de même que l’idéalisme traditionnel considère que l’on ne peut pas faire abstraction du sujet connaissant et que l’on ne se rapporte qu’à sa propre manière de percevoir le monde et non au monde en tant que tel, de même la logique du matérialisme conduit à penser que l’on ne se rapporte pas au monde comme tel mais aux signaux électro-chimiques par lesquels le cerveau nous le représente. En d’autres termes, la logique matérialiste pour la vie de l’esprit revient à dire que nous ne pouvons jamais expérimenter que ce que notre cerveau nous donne à expérimenter. Et l’implication de cela est qu’une observation à la troisième personne demeure d’abord une observation, avec tout ce que cela implique quant à son soubassement cérébral et son cercle tel que le développe la logique matérialiste.

Cela soulève une difficulté majeure, à savoir que ce principe conduit à douter que la logique matérialiste autorise à statuer sur ce dont le monde est fait. Autrement dit, précisément parce que l’approche matérialiste de la vie consciente montre que celle-ci n’est jamais que l’ensemble des signaux électro-chimiques du cerveau, alors surgit la difficulté de pouvoir sortir de ce cadre pour statuer sur le monde et sur sa nature matérielle. Le matérialisme appliqué à l’explication de la vie consciente conduit paradoxalement à interdire toute affirmation sur la structure fondamentale du monde et à destituer le matérialisme comme paradigme général pour penser le monde. « En d’autres termes, si le matérialisme est correct, alors on ne peut pas se fier à lui[38]. » Kastrup a raison de montrer que le matérialisme a quelque chose « d’auto-destructeur » et que son utilisation pour penser la conscience conduit à devoir l’abandonner comme modèle général du monde, ce qui devrait donc devoir conduire à l’abandonner aussi pour l’explication des mécanismes cérébraux puisque la conscience n’est ramenée au cerveau, donc à la matière, que parce que le paradigme matérialiste impose d’admettre que toute chose se ramène à la matière. Mais si la « biologie du cerveau » pour parler comme Edelman montre que la réalité n’est jamais que la construction cérébrale, alors il n’est plus possible de formuler un paradigme général de nature matérialiste dont l’une des applications serait de réduire la conscience au cerveau… C’est là un cercle très rarement relevé, mais qui nous semble pertinent et même ruineux à bien des égards contre le paradigme matérialiste.

Cela permet de dissiper un certain malentendu et, là encore, il nous semble que Kastrup a raison de procéder ainsi. Il s’agit pour lui de démontrer que la logique du matérialisme se contredit elle-même en se conjuguant avec un réalisme conçu comme affirmation d’un monde extérieur, indépendant de l’observateur. La préséance cérébrale dans la vie consciente que défend le matérialisme amène à penser, pour le dire vulgairement, que le monde dont nous faisons l’expérience est « dans la tête » du point de vue matérialiste, et qu’à cet égard les fameuses « expériences » destinées à prouver de manière matérialiste le monde extérieur pour réfuter l’idéalisme ratent leur cible. Ainsi, lorsque Samuel Johnson prétendit réfuter l’idéalisme de Berkeley en frappant dans une grosse pierre (à en croire le témoignage de Boswell), que fit-il exactement ? Du strict point de vue matérialiste, aussi bien la vue de la pierre que la douleur ressentie au cours du choc ne furent que des effets électro-chimiques cérébralement produites ; elles ne prouvèrent en rien l’existence d’une pierre extérieure, dont la constitution matérielle aurait été indépendante de l’observation humaine. Autrement dit, la preuve d’un monde extérieur, c’est-à-dire d’un monde présent et présent sous une forme indépendante de l’observation humaine, ne peut en aucun cas être obtenue depuis une perspective matérialiste qui a donc tort de faire du monde cela même qui, quoi qu’il arrive dans l’observation, est constitué comme tel de réalités matérielles.

A cela s’ajoute selon Kastrup une seconde forme de cercle, à nos yeux bien moins convaincante. Si l’on part de l’expérience subjective, le fait est que le monde s’expérimente sous une forme qualitative, la conscience phénoménale étant celle de qualités et d’épreuves non quantitatives. Mais le matérialisme pose que de telles qualités doivent être réductibles à des quantités qui, pourtant, ne sont pas expérimentées en tant que quantités. Même deux bagages de poids différents sont expérimentés comme plus ou moins lourds et non selon la mesure effective d’un poids, lequel poids est d’une certaine manière postérieur à la conscience phénoménale, en ceci qu’il peut a posteriori devenir ce qui permet de rendre compte par la mesure d’une différence qualitative éprouvée par la conscience. Mais cela revient à dire que la structure quantitative n’est pas comme telle expérimentée par la conscience phénoménale et qu’elle ne peut être qu’une abstraction du point de vue de cette dernière. Ce qui conduit à l’étrange situation où une abstraction n’étant jamais expérimentée par la conscience phénoménale mais ne pouvant être construite qu’à partir d’elle se voit hypostasiée en principe explicatif de ladite conscience. Si donc l’on associe la vie consciente à l’esprit comme processus, on obtient le schéma suivant que Kastrup juge contradictoire :

« Epistémiquement, cela signifie que le physicalisme tente de rendre compte de l’esprit en termes de quelque chose qui peut seulement être connu comme une abstraction de l’esprit. Et ainsi le physicaliste se retrouve comme un chien qui court après sa propre queue : la physicalité ne peut être connue que comme une abstraction conceptuelle, donc l’esprit doit lui préexister pour qu’elle ait un sens ; mais alors le physicaliste essaie d’expliquer l’esprit en termes de physicalité, donc cette dernière doit préexister à l’esprit. Hélas, on ne peut pas gagner sur les deux tableaux[39]. »

En réalité, on pourrait aisément répondre que l’ordre de la connaissance n’a pas à mimer l’ordre de la causalité réelle ; autrement dit, il est possible que l’ordre de la connaissance soit tel que l’on parte de l’expérience phénoménale pour en abstraire une structure quantitative, bien que, dans les faits, on estime que ce soit la structure quantitative qui produise les variations de la conscience phénoménale. A cet égard la critique de ce second cercle n’emporte pas l’adhésion car rien n’interdit que l’ordre d’une découverte s’écarte de l’ordre même du processus à connaître.

3 / L’indétermination profonde du matérialisme

Le dernier point sur lequel insiste Kastrup et qui se révèle très pertinent est l’indétermination inattendue du matérialisme. Précisément parce qu’un grand nombre de ses aspects sont flous et indéterminés, il se rend plastique et imperméable aux critiques. Les concepts employés, notamment dans les formulations neurobiologiques, sont suffisamment imprécises pour pouvoir signifier une série de choses qui, selon les besoins, varient.

Kastrup utilise ainsi le cas empirique du problème des transes psychédéliques dans lesquelles la vie consciente est particulièrement riche tandis que les mesures de l’activité cérébrale tendent à montrer une réduction de cette dernière – Kastrup démontre à cet effet que beaucoup de publications pourtant sérieuses ont falsifié les résultats en tendant à faire croître que l’activité cérébrale augmentait en cas de transe[40]. Les articles scientifiques reconnaissant la baisse objective de l’activité cérébrale se voient amenés, lorsqu’ils défendent le postulat matérialiste d’une vie consciente produite par le cerveau, à concevoir une série de concepts pour justifier cette augmentation de la vie consciente en raison inverse de l’activité cérébrale. C’est ainsi que les neuroscientifiques expliquent la richesse de l’expérience par « le couplage fonctionnel », la « variabilité de l’activité » ou encore « l’augmentation du bruit cérébral ». Mais de telles notions remarque Kastrup sont floues, instables, et en deviennent infalsifiables. Ce qui l’amène à considérer que l’imprécision des concepts et leur variabilité de sens constituent des nécessités inhérentes à l’approche matérialiste pour le soustraire aux réfutations empiriques :

 « De façon incroyable, c’est précisément en n’expliquant pas comment le cerveau est censé générer l’esprit que l’affirmation selon laquelle le cerveau génère effectivement l’esprit aboutit à une forme d’immunité expérimentale. En effet, le fait que le physicalisme n’explique rien en neurosciences est précisément – ce qui est proprement surréaliste – l’une de ses principales forces culturelles. Cela laisse la porte ouverte à un cortège sans fin d’hypothèses vagues et souvent incohérentes (…) évitant ainsi perpétuellement une / confrontation déterminante qui pourrait apporter une résolution[41]. »

De même, dans Pourquoi le matérialisme est absurde, une lecture assez fine des effets de seuil de Giulio Tononi se trouve proposée et démontre assez clairement qu’aussi stimulante soit l’approche de ce dernier, elle n’explique rien et reconduit les problèmes de déclenchement magique de la vie consciente[42]. Rien n’explique en effet pourquoi un certain seuil d’intégration des informations conduirait à changer le statut non conscient des neurones pour en faire des porteurs de conscience.  A la rigueur, note Kastrup, on a par ce seuil mesurable un « indicateur heuristique[43] » de la présence de la conscience, mais on ne dispose pas d’une théorie permettant de comprendre pourquoi ce seuil accomplirait la transmutation magique de la non-conscience vers la vie consciente, le modèle de Tononi n’expliquant pas plus la conscience que le compteur de vitesse n’explique la vitesse.

C’est donc à un jeu de faux-semblant que nous convient les approches matérialistes ; elles paraissent explicatives mais ne le sont pas ; au mieux, elles décrivent des seuils où la conscience se manifeste, mais sans jamais pouvoir éliminer la magie d’un tel passage au niveau du seuil. Elles paraissent falsifiables et réfutables, mais elles se laissent formuler dans un vocabulaire si flou et dans des concepts tellement ad hoc qu’elles se mettent à l’abri des réfutations en changeant le sens des concepts employés au gré des besoins d’immunisation. Et si l’on se tourne vers les versions panpsychistes du matérialisme, on tombe dans d’autres travers analysés ci-dessus.

4 / L’idéalisme analytique est-il vraiment plus explicatif que le matérialisme ?

Si Kastrup a raison d’attaquer le matérialisme sur ces points – très développés à partir des incohérences subtiles relevées dans nombre d’articles scientifiques que nous ne détaillons pas, notamment en neurobiologie – il n’en découle pas, bien sûr, que sa propre approche soit justifiée. S’il est par exemple certain que le matérialisme se marie très mal avec le réalisme, contrairement à une croyance fort répandue, il est impossible d’en inférer la justesse de la position idéaliste que défend Kastrup, ne serait-ce que parce qu’il distingue si peu entre approche ontologique et approche épistémique qu’il sous-détermine ce que signifient « exister » ou « être réel » et que cela gâte l’ensemble du propos. Mais il a raison de montrer que bien des discours matérialistes ou physicalistes confondent l’extériorité de la chose représentée avec l’extériorité de la représentation, propos pertinent qu’il gâche aussitôt par des formulations imprécises voire incohérentes, en remarquant que « ce qui passe pour une preuve empirique en faveur du physicalisme n’est souvent qu’une preuve de l’existence d’un monde en dehors de nos esprits individuels, et non d’un monde métaphysiquement différent de l’esprit, en général, en tant que catégorie ontologique ou type d’existant[44]. » L’indétermination de ce qu’est ici le « monde », tout comme l’idée de localiser la conscience et de la penser selon l’extériorité corrompent le propos et font oublier la justesse de la critique en introduisant des thèses inintelligibles dès lors qu’on en sonde la cohérence lexicale et conceptuelle.

De prime abord, il est pourtant vrai que l’idéalisme analytique, en n’ayant pas à penser la « transmutation » quasi magique de la matière non consciente en matière consciente, permet de simplifier les choses et de procéder à un remarquable principe d’économie. Le difficile problème de la conscience semble disparaître car, si le cerveau est une image d’états mentaux, alors les corrélations entre les états du cerveau et les états de l’esprit s’expliquent en comprenant les premiers comme une image partielle des seconds, tels que perçus de l’extérieur. Le cerveau et ses processus, en tant qu’images dans l’esprit, sont de même nature que n’importe quelle expérience subjective : « il est inutile de faire dériver l’expérience par magie de quelque chose d’extérieur à l’expérience parce qu’il est inutile de postuler l’existence de quoi que ce soit d’extérieur à l’expérience en premier lieu. Le cerveau est une expérience, une image dans l’esprit d’un certain processus de l’esprit[45]. »

Mais, si le difficile problème de la conscience disparaît, un autre problème s’y substitue nécessairement : si, en effet, tout est esprit, si tout est un champ de subjectivité, alors apparaît la redoutable difficulté de l’aspect que revêt l’expérience consciente car il faut rendre compte du fait que lorsque l’esprit, par l’espèce de nœud qu’est la conscience individuelle, prend conscience de lui-même (l’expérience), il s’apparaisse comme autre chose que comme esprit. Autrement demandé, comment se fait-il que l’esprit s’expérimentant lui-même s’expérimente comme matière ? Le monde – qui est, rappelons-le, l’esprit dans l’économie de la pensée de Kastrup – est rencontré dans l’expérience comme matériel et non comme esprit. Quand bien même dirait-on que la conscience phénoménale est qualitative et se rapporte au monde sous forme de qualia, il n’en demeure pas moins que les qualités sont celles de ce qui apparaît comme matière, une couleur étant par exemple une certaine qualité d’une étendue matérielle.

Kastrup peut certes affirmer que sa métaphysique est la plus économique qui soit car elle ne pose qu’une entité unique, l’unique donnée de la nature, à savoir la subjectivité elle-même, et que « la théorie est alors la plus parcimonieuse possible ; elle ne postule rien au-delà du seul fait donné de la réalité : l’existence de la subjectivité[46]. » Mais cela ne résout pas le problème massif que fait surgir sa métaphysique : pourquoi l’esprit ne s’apparaît-il pas à lui-même adéquatement ? Pourquoi l’expérience que l’esprit fait de lui-même se produit-elle sous une forme inadéquate ? Kastrup peut bien affirmer que sa métaphysique nie la dualité, qu’il n’y a pas deux entités irréductibles que seraient le champ de subjectivité et la matière et que par « matière sous-jacente », et que l’idéalisme analytique implique que ce que nous appelons « matière » n’est qu’une apparence ou une représentation discernable sur notre « tableau de bord cognitif interne de motifs d’excitation du champ de subjectivité », cela n’explique rien ! Le fait est que, sans aucune raison, l’esprit ne s’apparaît pas correctement à lui-même dans l’expérience, c’est-à-dire ne s’apparaît pas comme esprit mais comme matière, sans rien qui vienne l’expliquer. En somme, dire que la matière n’est pas une entité ontologique autonome ne permet en rien d’expliquer pourquoi elle est la forme sous laquelle l’esprit apparaît et s’apparaît nécessairement dans la représentation.

5 / Trois incongruités dans le traitement des qualia

Cela nous amène au problème des qualia qui font l’objet d’un traitement déroutant chez Kastrup. En effet, parce que le monde est, en vertu du monisme que défend Kastrup, de nature mentale, et parce que Kastrup associe ce qui est mental à une conscience de perceptions qualitativement déterminées, il en infère aussitôt que le monde n’est rien d’autre qu’un ensemble de qualités. Le monde est fait de « qualités ressenties[47] » écrit-il à plusieurs reprises. Donc « il y a « quelque chose que cela fait » d’être ce monde là dehors ; le monde est fait d’états expérientiels transpersonnels qui ne peuvent pas être caractérisés de manière exhaustive en termes de quantités uniquement[48]. » L’enjeu est ainsi d’affirmer que le monde réel est fait d’états non physiques, au sens d’états qui ne se prêtent pas à une description par des quantités physiques. Nos propres expériences associées à la conscience phénoménale sont, à ses yeux, des exemples d’états non physiques. Mais un tel propos est profondément déroutant : d’une part, nos propre qualia qui se présentent sous une forme qualitative n’en sont pas moins associés à une représentation matérielle et n’ont même aucun sens en-dehors d’elle. Autrement dit, ce qui pour nous a un sens mental, fût-il qualitatif, n’est jamais affranchi d’une dimension matérielle puisqu’une douleur, par exemple, concerne forcément un membre étendu, tout comme une couleur ne concerne qu’une étendue matérielle, tout comme la faim se manifeste corporellement, etc. Donc tout se passe comme si Kastrup n’affrontait pas le fait que les qualia ne pouvaient s’éprouver que par une association à ce qui présente comme matériel. Je n’ai pas de qualia de Dieu, ou de l’âme ou de la liberté ; je n’ai de qualia que pour des représentations matérielles.

A cela s’ajoute une seconde difficulté, bien plus grave encore, à savoir que les qualia sont des représentations définies par leur irréductibilité : elles ne se laissent pas réduire à une dimension quantitative ; du reste, Kastrup lui-même l’énonce dans la citation rappelée ci-dessus, les qualités ressenties ne pouvant pas être formulées « en termes de quantités uniquement ». Fort bien ; mais l’irréductibilité d’une épreuve qualitative à sa formulation quantitative suffit-elle à définir l’expérience consciente comme non matérielle ? Pourquoi l’irréductibilité des qualia à des mesures prouverait-elle la pure présence du mental ? Il y a là un saut du qualitatif vers l’exclusivité du mental que rien ne justifie ; être irréductible à des quantités ne prouve pas que l’on relève du mental conçu comme non matériel. C’est d’ailleurs ce saut injustifié que nous semble avoir fort bien identifié John Searle notamment dans la Redécouverte de l’esprit ; Searle essaie de sauver une conscience à la première personne, irréductible à l’observation à la troisième personne, sans pour autant considérer que cela prouverait une non-matérialité de l’esprit. De là son célèbre programme, matérialiste du point de vue ontologique quoique faisant place à une conscience phénoménale irréductible à une observation extérieure :

« le fait qu’une caractéristique soit mentale n’implique pas qu’elle ne soit pas physique ; le fait qu’une caractéristique soit physique n’implique pas qu’elle ne soit pas mentale. En révisant Descartes pour l’occasion, nous pourrions dire non seulement « je pense, donc je suis », et « je suis un être pensant », mais également je suis un être pensant, et donc je suis un être physique[49]. »

De là cette provocation toute calculée de Searle, consistant à dire que la conscience en tant que mentale est physique parce qu’elle est mentale ! Bien sûr, une telle approche suppose de ne pas associer une approche matérialiste avec une approche objectiviste pour laquelle ne peut être retenu comme réel que ce qui fait l’objet d’une observation extérieure ou d’une objectivation. Il y a sans aucun doute une réalité qui ne s’objective pas, qui ne s’observe pas de l’extérieur, mais qui n’en est pas moins réelle et surtout qui n’en est pas moins matérielle. De ce fait, si l’on abandonné les préjugés objectivistes du matérialisme, alors on peut parfaitement maintenir les qualia dans un paradigme matérialiste car rien ne prouve que des pensées irréductibles à des quantités soient le signe irréfutable d’une autonomie du mental ou d’une non-matérialité du mental.

Concluons donc sur ce second point : Kastrup ne prouve pas que le domaine qualitatif irréductible au quantitatif est identique à la non-matérialité du mental : seule un préjugé objectiviste permettrait de l’accepter, ce par quoi Kastrup se révèle ironiquement prisonnier d’un préjugé en partie matérialiste, ce que permet de voir Searle.

Enfin, vient se greffer un dernier élément, déjà mentionné, mais franchement étrange : à plusieurs reprises, Kastrup considère que la manière dont s’établit notre conscience phénoménale n’est peut-être pas conforme au monde ; autrement dit, le monde qui est fait d’états mentaux pourrait être tout autre que ce que nos propres états mentaux nous donnent à éprouver, de sorte que nos états mentaux en lien avec le monde pourraient ne rien dire du monde :

« En disant cela, je n’affirme pas que le monde réel, tel qu’il est en lui-même, est constitué de pensées et d’émotions qualitativement semblables aux nôtres ; je l’ignore, car je ne sais pas ce que cela fait d’être le monde réel là dehors[50]. »

Mais dans ce cas-là, jusqu’à quel point la métaphysique de Kastrup est-elle vraiment explicative des qualia ? Si la manière dont j’éprouve le monde ne me dit pas ce que c’est que d’être le monde, alors pourquoi sa métaphysique serait-elle plus explicative de la vie mentale que l’approche matérialiste ? Non seulement, les qualia ne sont jamais que des qualités irréductibles à des mesures quantitatives et ne prouvent pas la non-matérialité de quoi que ce soit, mais en plus à supposer qu’ils la prouvent, il faudrait encore rendre compte du fait que les qualia ne correspondent pas au monde, que la manière dont j’éprouve le monde ne correspond pas à ce que cela fait que d’être le monde, alors même qu’il s’agit de qualia dans les deux cas. Pour le dire clairement, Kastrup est amené à introduire des différences au cœur même des qualia dont on ne comprend ni à quoi elles sont dues, ni à quelle logique elles obéissent. Pourquoi éprouverais-je du monde ce qui ne s’y trouve pas ? Il y a là un mystère qui est autre mais non moindre que celui que charrie le matérialisme.

En définitive, la métaphysique de Kastrup n’est peut-être pas fondée sur des transmutations magiques mais elle suppose d’admettre de perpétuelles et systématiques inadéquations au cœur de la vie mentale qui ne laissent pas d’intriguer : l’esprit s’expérimente lui-même en expérimentant le monde, mais il s’expérimente inadéquatement selon des formes matérielles que rien ne laissait présager  ; de même, mes propres états mentaux qualitatifs se rapportant au monde – lui-même censé être constitué d’états mentaux qualitatifs – diffèrent de celui-ci ; mais alors d’où viennent mes propres états mentaux s’ils ne reflètent pas adéquatement les états mentaux qui constituent le monde ?

Conclusion : Vertus et apories des écrits de Kastrup

A l’issue de cette recension, deux points nous apparaissent clairement. Le premier est que l’intérêt fondamental des écrits de Kastrup se situe dans une attaque frontale du paradigme matérialiste dont il révèle des failles aussi bien logiques qu’épistémologiques au niveau théorique, mais aussi des pratiques douteuses dans la vie scientifique ordinaire. Son caractère intrinsèquement flou et le vocabulaire flottant permettant de formuler certaines hypothèses l’immunisent contre bien des réfutations possibles – l’analyse de la transe psychédélique est à cet égard décisive. En revanche, l’élaboration de l’idéalisme analytique, et c’est le second point, n’est pas convaincante. Elle repose sur une série de confusions, se révèle incapable d’expliquer l’aspect matériel de nos représentations conscientes, tout en élaborant un sens globalement indéfendable de l’expérience.

1 / Affronter les grandes questions philosophiques dont la nature de la réalité

Malgré ces immenses réserves, un point est à mettre au crédit de l’auteur : celui-ci a le courage de traiter les grandes et décisives questions de la philosophie, à savoir celles qui concernent la nature du monde, la forme de celui-ci, la détermination de l’existence et la réalité des choses, tout en disposant d’une connaissance scientifique suffisante pour interroger la validité du paradigme matérialiste dominant. A cet égard, on ne peut que savoir gré à Kastrup de redonner au questionnement philosophique fondamental sa place et son importance.

La nature de la réalité, si l’on regard les œuvres de Kastrup, adopte pourtant deux directions un peu différentes. Celle sur laquelle nous avons insisté est métaphysique au sens où elle statue sur l’unicité du réel, sur sa texture mentale, et c’est de cela que parle l’idéalisme analytique, syntagme auquel nous préférons de loin celui de « monisme spiritualiste ». Toutefois, dans Donner un sens à l’absurde, qui est un de ses premiers ouvrages, Kastrup investigue la réalité selon un autre angle, qu’est celui de la cohésion des expériences : le fait est que les expériences des sujets sont cohérentes entre elles, et qu’il faut en rendre compte. L’ouvrage de 2010 effectue ainsi une plongée dans l’idée que ce que l’on appelle réalité, du point de vue de la vie consciente, serait un « rêve partagé[51] ». Nous n’analyserons pas dans le cadre de cette conclusion ce que peut signifier une telle affirmation – qui, en dépit de son étrangeté, n’est aucunement troublante pour quiconque est familier des topoï du XVIIème siècle où la vie est souvent associée un songe, que ce soit bien sûr chez Calderon mais aussi chez Descartes, Bossuet et bien d’autres – mais nous proposerons plusieurs remarques à son sujet.

La première tient au fait que cette formulation d’un « rêve partagé » est l’exacte conséquence du refus du réalisme associé par Kastrup à « l’objectivité forte » : rappelons que, chez ce dernier, le monde n’est pas extérieur à l’esprit quoiqu’il soit « extérieur » à la conscience individuelle, ce qui revient à dire que, au niveau le plus profond, il n’existe pas de réalité indépendante de l’esprit et qu’à cet égard chaque expérience consciente du monde ne peut en aucun cas être, à son niveau le plus profond, l’expérience d’une réalité indépendante. Il convient donc de considérer que, à son niveau le plus profond, l’expérience de la réalité ne saurait être un rapport à une réalité autre mais ne peut être qu’un rêve partagé ou le rêveur est à la fois sujet (il rêve) et objet (il se voit dans le rêve). Il n’y a donc rien de particulièrement étonnant à défendre cette idée au regard du monisme spiritualiste et de son refus du réalisme.

La seconde concerne la réhabilitation de l’intuitionnisme mathématique – au sens de Brouwer – que promeut Kastrup. On sait que l’intuitionnisme refuse le principe du tiers exclu, refuse plus fondamentalement la bivalence et ne juge vrai que ce qui a été directement et explicitement démontré, une démonstration par l’absurde n’étant pas dans ces conditions jugée satisfaisante car ne prouvant pas directement la validité d’un théorème. L’intuitionnisme est donc un constructivisme en ceci que ne peut être retenu comme vrai que ce dont on a intégralement et directement construit la démonstration. Par ailleurs, c’est un lieu commun que de rappeler que l’intuitionnisme, d’une certaine manière trop exigeant, a été abandonné car, en refusant les preuves apagogiques, il rendait impossible un très grand nombre de démonstrations. Pourquoi dans ces conditions Kastrup se tourne-t-il vers Brouwer et l’intuitionnisme, en dépit de son notoire manque d’opérativité ? Parce que l’intuitionnisme a vu quelque chose de profond, qui sera d’ailleurs repris par une certaine logique vérificationniste, à savoir que le principe même de la bivalence est peut-être moins une exigence logique à part entière qu’une conséquence du réalisme. Pourquoi cela ? Parce qu’au fond, on peut interpréter le principe de bivalence de manière strictement réaliste ; dans ce cas, toute question prenant la forme « est-il vrai que… » doit trouver dans le monde, extérieur et indépendant, une réponse définie et non ambiguë. Ce serait donc l’ancrage dans la réalité qui serait au fondement du principe de bivalence, chaque proposition étant alors soit vraie, soit fausse, parce que la réalité du monde serait telle qu’elle pourrait offrir une réponse univoque aux questions qu’on lui aurait adressées. A bien des égards, on pourrait considérer que l’approche vérificationniste, pour laquelle la vérité n’est autre que la procédure de vérification, charrie le même présupposé et donne du poids à l’interprétation de Kastrup : c’est parce que le monde n’est susceptible que d’offrir deux réponses et deux réponses seulement à toute question formulée en termes de vérité que l’on peut voir dans le réalisme le fondement de la bivalence, qui ne serait donc pas tant une exigence universelle de la raison qu’une conséquence d’une métaphysique réaliste.

Que signifie alors ne pas adopter la vision réaliste, c’est-à-dire ne pas adopter ce que Kastrup appelle l’objectivité forte ? Aux yeux de ce dernier, cela signifierait en refuser les conséquences, notamment la bivalence. Et puisque l’intuitionnisme critique la bivalence, alors l’abandon du réalisme invite à adopter une vision intuitionniste que Kastrup élargit bien au-delà des mathématiques :

« Si nous extrapolons l’intuitionnisme à la réalité au sens large, il est possible de postuler qu’abandonner le réalisme de manière générale implique une vision du monde dans laquelle les objets et les faits n’existent que s’ils peuvent être construits à travers l’opération d’une procédure cognitive ; c’est-à-dire si nous pouvons imaginer leur existence, consciemment ou inconsciemment. La réalité, selon ce point de vue, est fondamentalement le reflet de ce que l’esprit perçoit. [52]»

A vrai dire, un tel énoncé n’est guère surprenant puisque le monisme l’amène nécessairement à dire que la seule chose que peut percevoir l’esprit, c’est l’esprit lui-même ; de ce fait, ce qui nous apparaît comme « réalité » ne peut être qu’une forme ou qu’un aspect de l’esprit. En outre, si l’esprit ne se rapporte qu’à lui-même, il est assez cohérent qu’il ne puisse se rapporter qu’à ce qu’il a construit et puisqu’il n’y a au sens strict qu’un esprit universel et impersonnel, il est assez cohérent que le résultat de ses auto-dissociations construise une réalité commune puisque chaque conscience procède de l’esprit universel et unique.

Néanmoins, nous retrouvons là une interrogation précédente : pourquoi chaque conscience construit-elle une forme de réalité dont l’aspect est matériel ? Malheureusement, tel n’est pas exactement l’angle ni le questionnement de Kastrup qui cherche davantage à penser le caractère commun de la construction que l’apparence précise que revêt cette dernière, notamment son aspect matériel.

D’où la troisième remarque : pour quelle raison ultime Kastrup ne voit-il pas le problème de l’aspect matériel que revêt la représentation du monde ? Parce qu’en réalité,  ce qui l’intéresse au plus haut point, c’est la possibilité qu’une expérience s’écarte du cadre construit en commun. En somme, ce que veut penser Kastrup, c’est ceci : si le réalisme est faux, si donc la réalité ne peut en aucun cas être pensée comme indépendante de l’esprit, et si par ailleurs elle est un « rêve partagé » car co-construit, alors l’absurde n’est rien d’autre que le résultat d’un écart dans la co-construction de ladite réalité. L’absurdité ne serait alors pas une impossibilité mais bien plutôt quelque chose qui s’expliquerait par le fait même qu’une structure construite de l’observation aurait été violée. On voit ici que l’idée d’une approche constructiviste est féconde pour penser l’absurdité de certains phénomènes, mais elle repose sur des hypothèses très lourdes demandant d’admettre que le contenu de l’expérience deviendrait « une métaréalité consensuelle (une instance particulière des potentiels sous-jacents et informes de la réalité) construite avec les histoires que nous nous racontons à propos de ce qui peut être vrai ou réel[53]. »

A vrai dire, une fois proposée cette hypothèse, Kastrup poursuit davantage par des embryons de pistes pour rendre compte de tel ou tel phénomène anormal, voire paranormal, mais il ne les analyse pas jusqu’au bout, préférant lancer des idées – d’inspiration jungienne – que de construire un système clos et précis sur ces questions-là. Dans la mesure où ce sont plutôt des suggestions que des constructions précises, nous ne pouvons pas les analyser en détail mais nous ne doutons pas que le concept central de l’ « l’Informe » résonnera de manière schellingienne voire heideggérienne auprès des oreilles des historiens de la philosophie en évoquant quelque chose comme un réinvestissement à nouveaux frais de l’Abgrund.

2 / Une paradoxale indétermination de la réalité

En dépit de ces longues analyses de la réalité, ce concept demeure étrangement flottant chez Kastrup. Dire que la nature profonde du monde est mentale, que la réalité est en son fond et en son fonds constituée d’états mentaux, ce n’est pas véritablement définir les choses ; c’est caractériser un contenu. Or, le fait est que Kastrup mélange deux choses concernant l’existence et la réalité, créant de permanentes confusions : se trouvent en effet mélangées la question de la présence de quelque chose, du « il y a », et celle de l’aspect ou de la forme sous laquelle se présente cette chose. Pour bien comprendre où est le problème, nous allons solliciter, par contraste, un auteur qui effectue parfaitement le départ entre les deux problèmes. Ainsi Kant, dans la Critique de la raison pure, propose-t-il un concept de « phénomène » qui dispose bien d’un soubassement ontologique puisqu’il est phénomène de quelque chose de présent, puisqu’il phénoménalise la chose en soi. Le phénomène n’est donc pas une hallucination, il est apparence de quelque chose qui est bel et bien présent. Mais cette chose présente ne se présente pas dans le phénomène selon son aspect véritable ; cette chose ne se phénoménalise que selon les aspects temporel et spatial. A cet égard, le phénomène n’existe pas dans ses aspects temporels et spatiaux indépendamment de ma manière de le percevoir, mais il existe bel et bien en tant que chose phénoménalisée. Pour le dire plus simplement, le fait de savoir s’il y a quelque chose ou rien n’est pas la même question que celle de savoir si l’aspect sous lequel se présente une représentation est le bon. Ainsi, chez Kant, il y a bien quelque chose d’indépendant de moi, la chose en soi, que je saisis comme phénomène, mais cette saisie phénoménale me présente la chose en soi sous une forme qui n’appartient pas à cette dernière comme l’indique ce célèbre passage :

« Ce que nous avons donc voulu dire, c’est que toute notre intuition n’est rien que la représentation du phénomène ; que les choses que nous intuitionnons ne sont pas en elles-mêmes telles que nous les intuitionnons, que leurs relations ne sont pas non plus constituées en elles-mêmes telles qu’elles nous apparaissent, et que si nous supprimions par la pensée notre subjectivité ou même seulement la constitution subjective des sens en général, toutes les propriétés, tous les rapports des objets dans l’espace et dans le temps, l’espace et le temps eux-mêmes disparaîtraient et ne peuvent, comme phénomènes, exister en soi, mais seulement en nous. Quant à ce qui pourrait être tenu pour une caractéristique des objets en eux-mêmes et abstraction faite de toute cette réceptivité de notre sensibilité, cela nous reste entièrement inconnu[54]. »

Malheureusement, chez Kastrup, le lexique conceptuel est trop peu précis et ne permet pas de déterminer si l’on traite le problème d’une présence – y a-t-il quelque chose ou rien ? – ou si l’on traite celui de la fiabilité de l’aspect ou de la forme que présente une représentation, que présente le « phénomène » pour parler comme Kant. C’est pourquoi l’affirmation de Kastrup selon laquelle l’idéalisme est une pensée pour laquelle « la réalité consiste exclusivement en l’esprit et ses contenus[55] » est à certains égards fausse : chez Kant par exemple, la chose en soi n’est certainement pas « dans l’esprit » ; même chez Berkeley, Dieu n’est pas « dans l’esprit » et pourtant Dieu est bien réel. Il y a donc une confusion assez grave entre la réalité prise comme la présence d’une chose, et la réalité prise comme l’aspect nécessaire sous lequel les choses sont pensées. L’absence d’une distinction conceptuelle entre présence et aspect est d’autant plus étonnante que le problème considérable de l’apparence matérielle de nos représentations du monde aurait dû conduire Kastrup à réfléchir au problème de l’aspect, qui n’est rien d’autre que celui que les Grecs appelaient l’idea ou l’idée…

***

[1] Il s’agit de Meaning in absurdity (2011), traduit sous le titre de Donner un sens à l’absurde, paru chez Oxus en 2025, de Why Materialism is Baloney (2014), traduit sous le titre de Pourquoi le matérialisme est absurde chez Aluna en 2023 et du très stimulant Analytic Idealism in a Nutshell, traduit sous le titre de L’idéalisme analytique en quelques mots, paru chez Almora en 2025.

[2] Cf. Bernardo Kastrup, Decoding Schopenhauer’s Metaphysics, Iff Books, 2020.

[3] Cf. Bernardo Kastrup, Decoding Jung’s Metaphysics, Iff Books, 2021.

[4] Cf. Stephen Hawking, The Universe in a Nutshell, 2001, traduction française sous le titre L’univers dans une coquille de noix, Paris, Odile Jacob, 2001.

[5] Bernardo Kastrup, L’idéalisme analytique en quelques mots. Un résumé simple et direct de la seule métaphysique possible du XXIè siècle, traduction Jocelin Morisson, Almora, 2025.

[6] Bernardo Kastrup, Pourquoi le matérialisme est absurde. Comment les vrais sceptiques savent que la mort n’existe pas et explorent des réponses à la vie, à l’univers et à tout le reste [2013], Traduction Jean-Philippe Deconinck et Jocelin Morisson, Aluna Editions, 2023, p. 103.

[7] Ibid. p. 100.

[8] Ibid., p. 110.

[9] Ibid.

[10] Ibid., p. 121.

[11] Ibid., p. 154.

[12] Bernardo Kastrup, L’idéalisme analytique en quelques mots, op. cit., p. 173.

[13] Ibid., p. 175.

[14] Ibid., p. 17.

[15] Ibid., p. 167.

[16] Ibid., p. 34.

[17] Ibid., p. 35.

[18] Ibid., p. 42-43.

[19] Citons à toutes fins utiles la célèbre remarque du § 34 de L’Encyclopédie : « C’est la plus grande inconséquence que, d’une part, d’accorder que l’entendement ne connaît que des phénomènes, et, d’autre part, d’affirmer cette connaissance comme quelque chose d’absolu en disant que la connaissance ne peut pas davantage, que c’est là la borne naturelle, absolue, du savoir humain. On ne connaît quoi que ce soit comme borne, manque, que par comparaison avec l’Idée présente de l’être total et achevé ; c’est par suite une inconscience que de ne pas discerner que précisément la désignation de quelque chose comme quelque chose de fini ou de borné contient la preuve de la réalité effective et de la présence actuelle de ce qui est infini, sans borne. – Il n’y a même qu’à évoquer ce qui est religieux et éthique, en tant qu’il s’y trouve un savoir de l’absolu, – un savoir qui n’est certes pas développé, mais qui ne laisse pas d’être un savoir qui immédiatement ne se comporte pas comme un en-deçà à l’égard de l’en-soi comme à l’égard d’un au-delà inconnu et indéterminé, mais a abandonné cette opposition dont la fixation fait que la connaissance reste subjective et l’absolu un négatif. », Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, Tome I : La science de la logique, § 34, Remarque, Traduction Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, 1970, 1994, p. 198

[20] Ibid., p. 39.

[21] Ibid., p. 45.

[22] Ibid., p. 35-36.

[23] Bernardo Kastrup, Donner un sens à l’absurde, op. cit., p. 79.

[24] Kastrup, Pourquoi le matérialisme est absurde, op. cit., p. 31.

[25] Kastrup, Pourquoi le matérialisme est absurde, op. cit., p. 286

[26] Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, Préface de la deuxième édition, AK III, 16-17 ; B XXV-XXVI ; Traduction Renaut, Paris, GF, 2006, pp. 82-83

[27] Kastrup, L’idéalisme analytique en quelques mots, op. cit., p. 167.

[28] Kastrup, Pourquoi le matérialisme est absurde, op. cit., p. 77.

[29] Ibid.

[30] Ibid. , p. 136.

[31] Ibid., p. 137.

[32] Ibid.

[33] Ibid., p. 43.

[34] Kastrup, L’idéalisme analytique en quelques mots, op. cit., p. 148.

[35] Ibid., p. 149.

[36] Ibid.

[37] Pourquoi le matérialisme est absurde, op. cit., p. 48.

[38] Ibid., p. 52.

[39] L’idéalisme analytique en quelques mots, op. cit.,  p. 93-94.

[40] Des exemples précis de cette pratique sont explicitement mentionnés notamment dans les publications du Pr Edward F. Kelly, « Misreporting and Confirmation Bias in Psychedelic Research » ; Kastrup analyse aussi les problèmes de publicité des expériences de la presse, notamment la manière dont les expériences de Robert Carhart-Harris se voient significativement inversées lorsqu’elles sont rendues publiques ; Kastrup reproduit des discussions menées avec ce dernier pour comprendre pourquoi il ne conteste pas les compte-rendu dans la presse des ses travaux, et conclut au fait que Carhart-Harris, voulant sauver le principe matérialiste, pense que, en dépit de ce qu’il a observé, l’augmentation de l’activité cérébrale doit être la seule explication possible des transes.

[41] L’idéalisme analytique en quelques mots, op. cit., p. 109-110.

[42] Cf. en français le remarquable ouvrage à quatre mains de Gerald Edelman et Giulio Tononi, Comment la matière devient conscience, Paris, Odile-Jacob, 2000 et de Giulio Tononi seul, Galilée et la photodiode. Cerveau, complexité et conscience, Paris, Odile-Jacob, 2006.

[43] Pourquoi le matérialisme est absurde, op. cit., p. 71-72.

[44] L’idéalisme analytique en quelques mots, op. cit., p. 58.

[45] Pourquoi le matérialisme est absurde, op. cit., p. 142.

[46] L’idéalisme analytique en quelques mots, op. cit., p. 178.

[47] Ibid., p. 19.

[48] Ibid.

[49] John Searle, La redécouverte de l’esprit, Traduction Claudine Tiercelin, Paris, Gallimard, coll. Les essais, 1995, p. 36.

[50] Kastrup, L’idéalisme analytique en quelques mots, op. cit., p. 45.

[51] Kastrup, Donner un sens à l’absurde, op. cit., p. 68.

[52] Ibid., p. 115.

[53] Ibid., p. 116.

[54] Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, « Esthétique transcendantale », § 8, AK III, 65 ; AK IV, 42 ; A 42, B 58 ; traduction Renaut, Paris, GF, 2006, p. 133

[55] L’idéalisme analytique en quelques mots, op. cit., p. 100.

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Ancien élève de l’ENS Lyon, agrégé et docteur en Philosophie, Thibaut Gress est professeur de Philosophie en Première Supérieure au lycée Blomet. Spécialiste de Descartes, il a publié Apprendre à philosopher avec Descartes (Ellipses), Descartes et la précarité du monde (CNRS-Editions), Descartes, admiration et sensibilité (PUF), Leçons sur les Méditations Métaphysiques (Ellipses) ainsi que le Dictionnaire Descartes (Ellipses). Il a également dirigé un collectif, Cheminer avec Descartes (Classiques Garnier). Il est par ailleurs l’auteur d’une étude de philosophie de l’art consacrée à la peinture renaissante italienne, L’œil et l’intelligible (Kimé), et a publié avec Paul Mirault une histoire des intelligences extraterrestres en philosophie, La philosophie au risque de l’intelligence extraterrestre (Vrin). Enfin, il a publié six volumes de balades philosophiques sur les traces des philosophes à Paris, Balades philosophiques (Ipagine).