Entretien avec Alexander Schnell : Sur la philosophie

Florian Forestier : Je commencerai cet entretien en rappelant que tu es l’auteur d’une œuvre déjà abondante, riche d’une vingtaine de livres, de nombreux articles, d’extraits d’ouvrages, de contributions. Tu es titulaire professeur de philosophie théorique et phénoménologie à l’université de Wuppertal, tu as été maître de conférence à Poitiers et Paris IV, responsable du département est philosophie et sociologie de la Sorbonne d’Abou Dhabi, tu as été un des fondateurs et animateurs du programme Master-Mundus EuroPhilosophie (« Philosophie allemande et française dans l’espace européen »), tu as également fondé le Centre d’études de la philosophie classique allemande et de sa postérité (CEPCAP). Tu diriges l’Institut für Transzendentalphilosophie und Phänomenologie (ITP) dans lequel sont intégrés entre autres : l’Internationales Fichte-Forschungszentrum (IFF), l’Eugen Fink Zentrum Wuppertal (EFZW) et les Archives Marc Richir (MRA). Tu es président de l’Association Internationale de Phénoménologie (A.I.P.), le directeur de la revue Annales de Phénoménologie et des éditions Mémoires des Annales de Phénoménologie. Tu as été professeur invité à Prague, Memphis, Hosei. Tu as dirigé une trentaine de thèses, et en diriges actuellement une quarantaine d’autres, ainsi que plusieurs habilitations à diriger des recherches. Bref, tu es quelqu’un de très occupé, intellectuellement, académiquement, éditorialement.

J’aimerais par cet entretien aider les lecteurs à mieux saisir le sens et l’orientation de toute cette activité, en faveur de ce que tu appelles un renouveau de la phénoménologie et de la philosophie transcendantale. Car indéniablement, ton nom et ton travail sont associés à ces termes, mais de ce fait même parfois mal compris, une mécompréhension qui touche souvent de manière plus générale le sens et la portée des perspectives spéculatives, et qui biaisent parfois l’accès, non seulement à une œuvre et à ce qu’elle apporte, mais aussi aux façons dont celle-ci peut être reprise et féconder d’autres démarches. Un des enjeux de cet entretien est selon moi de faire entendre que le spéculatif en général, et dans ta démarche en particulier, n’est pas (en tout cas pas seulement) une démarche abstraite et est en réalité portée par une véritable visée du concret. Le spéculatif naît plutôt de la prise de conscience par le philosophe des éléments abstraits qui biaisent originairement ses tentatives de penser le concret – la démarche spéculative que tu mets en œuvre prend acte de ce qu’une prise en compte philosophique du concret implique un détour qui assume, traverse l’élément de l’abstraction, mais que ce détour est le prix de « la saisie » d’autre chose.

Pour mieux faire entendre cette dimension, j’aimerais donner des éclairages sur ce qui sous-tend ta démarche. Pour cela, j’aimerais tout d’abord remonter en-deçà de tes publications, par la façon dont les questions philosophiques se sont d’abord manifestées à toi. Peux-tu en dire quelques mots ?

 

Alexander Schnell : Je suis convaincu que pour que des questions philosophiques puissent se manifester à nous, il faut le concours de deux circonstances. D’un côté, nous sommes évidemment marqués par des personnes, par des idées, par des situations particulières qui éveillent quelque chose – de l’intérêt, mais aussi en même temps des questionnements. Plus on est jeunes, plus on est probablement sensibles à de telles rencontres fortes. Mais il faut de la chance pour en avoir, ce n’est pas donné à tout le monde, cela dépend bien entendu, et en premier lieu, de l’environnement, des conditions sociales, etc. D’un autre côté, la philosophie n’est pas quelque chose de léger qui se pratique à loisir, mais cela s’apprend au moyen d’un exercice dur et durable. C’est l’un des sens de la « méditation » : c’est une activité intellectuelle qu’il faut exercer à répétition (en allemand, on parle d’« Einübung », insistant sur un mouvement d’intériorisation) et qui est presque de l’ordre d’une pratique religieuse. C’est pour cela d’ailleurs que Hegel disait, je crois, qu’il était utile que la messe à l’église fût en latin – aussi et surtout quand on ne comprend rien – comme condition préalable à la formation et au façonnage de l’esprit. Ce n’est que sur la base d’une structure fixe et presque artificielle que la pensée créative peut s’épanouir librement.

Je ne sais pas si l’on peut dire que cela a été une « chance », toujours est-il que ces deux sortes d’événements ont eu lieu à différents moments de mon adolescence. Un jour, je devais avoir 14 ans, j’étais souffrant ; mon père m’a apporté les œuvres complètes de Kafka. Ces lectures, ainsi que celles de Thomas Mann, Musil surtout, Dostoïevski, Max Frisch, m’ont initié à la philosophie par le biais de la littérature. À l’âge de 18 ans, juste avant que je ne commence des études scientifiques, le beau-père d’un ami m’a fait prendre connaissance de la fameuse problématique liée au « brain in the vat ». La possibilité que nos pensées et notre appréhension du réel soient orchestrées par une puissance autre m’a beaucoup occupé au début, elle m’a fait douter de beaucoup de choses aussi, même si aujourd’hui un tel scénario me semble absurde (parce qu’il ne peut pas y avoir de pensée authentique sans Leib ni Leiblichkeit). Mais j’ai aussi connu l’autre aspect. Mon professeur de philosophie en terminale (il est malheureusement parti à Strasbourg en plein milieu de l’année) – Günter Matthias Tripp – est arrivé en classe, le premier jour, avec un grand tas d’exemplaires de la Critique de la raison pure. Il a ouvert la première page de l’esthétique transcendantale, et on a lu tous ensemble le texte, mot pour mot. Même si je n’ai pas compris grand-chose, je suis certain que cet exercice répétitif et insistant a définitivement laissé ses marques dans mon esprit par rapport à la pensée de Kant et à la philosophie transcendantale.

 

FF : Pour poursuivre sur le même thème, peux-tu dire quelques mots des premiers enseignements universitaires que tu as suivis, et de la façon dont ceux-ci t’ont influencé ?

 

AS : Ma formation universitaire m’a évidemment fait entrer en contact avec des personnes qui ont laissé beaucoup de traces, mais je me suis également formé par des lectures autonomes. Les enseignants qui m’ont marqué à la Sorbonne (à Paris I et dans une moindre mesure à Paris IV, à partir de 1991) étaient : Patrice Loraux qui m’a initié à la philosophie grecque et à un style de penser extrêmement vivant ; Renaud Barbaras, sans aucun doute l’enseignant le plus charismatique et passionnant que j’ai pu rencontrer (je me souviens de ses cours sur Husserl et – moments magistraux – de ceux sur Bergson), ses cours ont carrément rythmé les semaines ; Françoise Dastur qui m’a fait découvrir la phénoménologie et la question du temps chez Husserl ; Jean-Toussaint Desanti, un phénoménologue qui nous donnait l’impression de pouvoir appréhender, en le fréquentant, quelque chose de l’esprit de Sartre et de Merleau-Ponty (je me suis rendu à plusieurs reprises chez les Desanti dans le neuvième arrondissement à Paris, ce sont des moments absolument inoubliables) ; Jacques Brunschwig et Monique Dixsaut qui ont apporté d’autres éléments forts précieux à l’initiation à la philosophie grecque ; Etienne Balibar avec qui j’ai appris à lire Kant consciemment ; Bernard Bourgeois dont la manière de paraphraser Hegel nous dispensait de le lire ; Jocelyn Benoist, tout jeune assistant à l’époque, qui était lui aussi important pour ma formation kantienne ; Michel Fichant, historien scrupuleux de la philosophie kantienne et surtout leibnizienne. Plus tard, lors de la rédaction de ma thèse de doctorat, j’ai rencontré Marc Richir avec qui la collaboration philosophique qui s’est poursuivie jusqu’à sa mort a sans doute été la plus étroite de tou(te)s mes « enseignant(e)s » (même si je ne l’appellerais pas proprement mon « maître »). Les livres marquants dont je me souviens en premier lieu sont : Hanna Arendt, Was ist Existenzphilosophie ?; Manfred Frank, Eine Einführung in Schellings Philosophie ; Wolfgang Carl, Die transzendentale Deduktion der Kategorien in der ersten Auflage der Kritik der reinen Vernunft; et surtout la grande découverte, en 1992, de Sein und Zeit.

 

FF : Tu évoques ta thèse. Entrons donc dans le vif du sujet. Ta thèse a été consacrée au temps en phénoménologie, en particulier chez Husserl[1]. Il s’agit d’un travail à la fois très technique et très original, car, via la question du temps, tu rencontres les thèmes qui parcourront ensuite ton œuvre : le statut du phénomène et de la méthode phénoménologique, et une première « mouture » de l’idée en apparence paradoxale de « construction phénoménologique », si importante pour la suite de ton parcours. Comment as-tu été amené à choisir ce sujet ?

 

AS : J’ai assez longuement hésité, après mon mémoire de « Maîtrise » qui portait sur le Parménide de Platon, pour savoir si je devais m’engager dans un travail de thèse sur Platon ou me consacrer à la problématique du temps et de la temporalité en phénoménologie.

 

FF : Je me permets de t’arrêter. Qu’est-ce qui te retenait chez Platon ? Comme cette dimension n’est pas directement visible dans tes travaux actuels : est-ce qu’on en trouve malgré tout des traces ?

 

AS : Ce qui me retenait chez Platon, malgré les écarts culturels et linguistiques, c’est tout d’abord ce qui me fascine chez les « Présocratiques » également : une immense admiration et un curieux sentiment de proximité et de distance à la fois vis-à-vis d’une pensée qui semble universelle et extrêmement singulière. On dirait que Platon a écrit ses dialogues pour des lecteurs et lectrices qui ont vécu longtemps après lui, censés être des témoins d’un autre temps. Ce qui m’attire, c’est une sensibilité extrême pour le plus concret, l’affectivité, l’amitié, l’amour, les questions de la vie et de l’agir ; un sens pour l’implicite et l’ironie ; et enfin une puissance spéculative indépassable – et tout cela enrobé dans des mises en scène qui abondent en mises en abîmes, digressions, allusions. Personne d’autre n’a su relier à ce point vie, oralité littéraire et pensée. Le sens pour le visible et pour l’invisible à la fois – c’est sans doute là que je vois la connivence entre Platon et la phénoménologie.

 

FF : Pourquoi la seconde option finalement ?

 

AS : J’ai finalement choisi la seconde option parce que le travail sur des auteurs germanophones me semblait plus proche de mes motivations premières (la passion pour la littérature ne m’ayant jamais quitté, j’envisageais toujours de me consacrer à l’écriture romanesque, et donc je ne voulais pas trop m’éloigner de ce champ linguistique). Mais peu importe les raisons, et surtout peu importe de savoir si ce furent les « bonnes » raisons, je me suis retrouvé en 1995 à Sofia (où j’avais d’ailleurs aussi passé mon année de « Maîtrise »), inscrit avec Françoise Dastur en DEA à Paris sur « La question du temps chez Husserl ». Ce travail a abouti en 2001 à une soutenance de thèse devant F. Dastur, R. Bernet, J.-T. Desanti, M. Richir et L. Tengelyi.

Même si j’ai travaillé en tout pendant presque quatre ans à ce travail de thèse, ce n’était que trois mois avant la soutenance que, sur une plage au Portugal (douze ans après avoir pris connaissance du « brain in the vat » près d’une plage en Slovénie), j’ai vraiment trouvé ma « thèse » proprement dite : l’idée que la phénoménologie husserlienne du temps ouvre à une phénoménologie constructive.

Ce qui m’a fait entrer dans la problématique de la « phénoménologie constructive », c’était le fait qu’il me fallait éclaircir le statut des phénomènes, que Husserl appelle « Ablaufsphänomene » (phénomènes d’écoulement), constitutifs de la temporalité immanente. Les Leçons sur la phénoménologie du temps (qui s’appuient principalement sur des textes rédigés jusqu’en 1913) ne fournissent pas de réponse satisfaisante à la question. Ce n’est que le nouveau départ, dans les Manuscrits de Bernau de 1917/18, s’engageant dans la voie de l’« Urprozess » et de ce qui le constitue, qui n’est plus celle des Leçons sur le temps parce que Husserl abandonne la démarche descriptive au profit d’une démarche autre (sans toutefois réfléchir sur ces écarts méthodologiques), qui a fait mûrir en moi, assez lentement d’ailleurs, l’idée d’une phénoménologie du temps au cœur de la phénoménologie constructive.

 

FF : Reprenons justement ce fil du temps, en particulier de ce que j’appellerai le « statut hybride » de la question du temps. On peut dire que la temporalité est d’une part une structure de l’expérience concrète que la phénoménologie vise à expliciter, mais qu’elle est aussi presque constitutivement un objet spéculatif. On peut ainsi comprendre qu’une enquête phénoménologique sur la temporalité soit la porte d’entrée d’une pensée qui interroge la rencontre du concret et du spéculatif. De fait, tu y consacres un ouvrage[2]. Mais ce questionnement semble moins présent dans la suite de tes travaux… Et ne penses-tu pas que, paradoxalement, en approfondissant le questionnement sur l’essence de la temporalité, on butte sur une sorte d’opacité qui pousse en quelque sorte, hors du temps, nous amène, parfois à notre corps défendant, à parler la langue de la spatialité ?

 

AS : C’est vrai que je suis passé à d’autres sujets, même si un chapitre de La déhiscence du sens[3] est consacré au temps (qui est – parmi mes travaux sur ce sujet – le texte le plus « phénoménologique » sur le temps, qui regarde le temps en tant que temps, et non pas le temps pour parler d’autre chose que lui). Par ailleurs, j’ai fait un texte sur les Manuscrits C de Husserl (suite à l’organisation d’un séminaire doctoral à Wuppertal sur ces manuscrits). Comme on retourne toujours à ses « premières amours », je n’exclus absolument pas d’y revenir dans une étude qui reprendra tout cela à zéro…

L’opacité foncière qui caractérise le temps concerne le fait que, apparemment, le temps ne peut être défini sans qu’on s’appuie sur des déterminations qui sont à leur tour temporelles. On peut aller plus loin : dès qu’on pense le temps (l’avant et l’après, etc.), on n’est plus dans le temps, on se rapporte à autre chose que lui (par exemple à une sorte de simultanéité qui pense ensemble ce qui, en soi, est distingué). C’est ce qui explique peut-être comment Richir a pu se livrer à la tentative de faire reposer le temps mesurable sur une temporalité phénoménologique où on peut effectivement se demander si on ne ramène pas le temps à autre chose que quelque chose de strictement temporel (sauf que Richir n’attribue pas la temporalité originaire à une pensée conceptuelle, mais à la phantasía…).

En tout cas, ce qui fait, à mon avis, la grande difficulté, et la vraie opacité, du temps, c’est effectivement son rapport à la pensée conceptuelle. Augustin l’a dit en premier, et Kant fait reposer tout l’édifice critique essentiellement sur la différence qualitative irréductible entre intuitions (et notamment les intuitions pures du temps et de l’espace) et concepts. C’est l’une des lacunes de l’idéalisme allemand que d’avoir ignoré, voire méprisé, cette idée fondamentale de Kant. C’est clairement une tâche pour la phénoménologie (et déjà Bergson l’avait très bien compris) que de poursuivre la voie qu’il a ouverte, quoi qu’en disent les sciences (ce qui ne revient nullement à une dévalorisation du discours scientifique).

On voit par ailleurs qu’il y a une sorte de concours philosophique entre celles et ceux qui privilégient le temps (notamment à la suite de Heidegger) et celles et ceux qui accordent le privilège à l’espace (souvent pour s’opposer à Heidegger). Il y a à mon avis autant de raisons philosophiques de continuer à considérer le temps et l’espace séparément que de tenir compte – sur un autre plan – des enseignements des physiciens et de considérer leur interpénétration.

 

FF : On pourrait dire ici qu’une des originalités de ton approche est de maintenir le cadre husserlien et de montrer que celui-ci rigoureusement tenu permet précisément de s’attaquer au type de questions (concernant l’épaisseur hylétique et affective de l’immanence temporelle, le rôle de la protention) qui ont conduit plusieurs générations de phénoménologues à récuser ce cadre. En d’autres termes, que la poursuite et la radicalisation du geste de Husserl libère en lui-même la possibilité de cet « autre » mode de pensée que tant d’auteurs ont cherché à rejoindre par un pas de côté par rapport à Husserl. Ce qui nous ramène à ce que je disais au début de l’entretien sur le fait que la philosophie – ici la phénoménologie – ne rejoint pas le concret en se délestant du spéculatif, dont l’ombre ne cessera jamais de la suivre, mais en approfondissant celui-ci jusqu’à ce qu’il libère de l’intérieur un autre sens du concret, un autre rapport à lui. Ce qui serait une réponse à faire à la fois aux critiques de la phénoménologie et aux phénoménologues les plus fermement anti-transcendantalistes : la phénoménologie telle que vous l’imaginez, comme accès direct à la donation des choses mêmes, n’est peut-être pas possible, n’a peut-être même pas de sens. Derrière le mot phénoménologie se cache peut-être un parcours plus long et sinueux, vers une autre acception du concret.

 

AS : Oui, je suis bien d’accord, sauf que je ne limiterais pas cela à la dimension temporelle. Mais le temps reste effectivement un terrain idéal pour traiter de la question des fondements spéculatifs de la phénoménologie (comme Richir, une fois de plus, l’a montré de façon très convaincante). Et je me rallie aussi fortement à l’idée que c’est précisément l’approfondissement du spéculatif et de la réflexion qui libère du concret, qui participe à la « concrescence », comme dirait Pablo Posada Varela (suite à Whitehead).

 

FF : Cette question en amène aussitôt une autre, car tout ce questionnement est évidemment fortement inspiré de la philosophie classique allemande. Cela t’était-il évident dès le début de tes recherches ? Comment as-tu rencontré et approfondi ces questions (en particulier, la pensée de Fichte). Qu’est-ce qui a fait qu’elles t’ont paru compatibles (voire complémentaires) avec la phénoménologie, cela contre une tentation plutôt dominante à les déclarer antithétiques ?

 

AS : Parallèlement à la rédaction de ma thèse sur le temps chez Husserl, j’ai lu, pratiquement quotidiennement, Fichte – ainsi que la littérature secondaire sur lui. Aussi l’une de mes premières publications académiques était-elle intitulée « Husserl und Fichte. Überlegungen zur transzendental-spezifischen Argumentation im transzendentalen Idealismus » (paru en 2000, mais élaboré antérieurement). Comme le titre voulait déjà le laisser entendre, c’est l’« idéalisme transcendantal » qui constitue sans doute le sol commun de la phénoménologie et de la philosophie allemande classique – sans parler de nombreuses proximités méthodologiques. Parmi ces proximités, on pourrait évoquer par exemple celle entre ce que Fichte appelle la « construction génétique », d’une part, et ce qui s’est imposé au fur et à mesure en termes de « construction phénoménologique », d’autre part, (terme qui remonte à Fink, mais à l’époque je n’avais pas étudié de façon approfondie la VIème Méditation cartésienne). Mais tout cela est un champ extrêmement vaste dont on ne peut parler en des termes trop généraux.

 

FF : Approfondissons maintenant l’idée de la « phénoménologie constructive ». Nous avons effleuré la question de la possibilité et du rôle d’une construction phénoménologique. J’aurais plusieurs sous-questions à ce propos. D’abord, ne s’agit-il pas surtout par là d’interroger la revendication habituelle de la phénoménologie comme « descriptive » ? D’interroger ce qui sous-tend cette idée de « description », ce qui la rend possible, d’approfondir le sens et le statut de ce à quoi est-elle supposée ouvrir ? Ce qui, immédiatement, ouvre à une question lourde de conséquence vers laquelle nous aurons à revenir, celui du sens et le statut de l’« intuition » en phénoménologie ? Qu’est-ce qu’elle est supposée faire ? Tout cela pour clarifier la notion de « construction » et peut-être pour la faire apparaître moins paradoxale.

 

AS : Lorsque, à la fin des années 1890, la phénoménologie a vu le jour, Husserl a fait valoir, à l’encontre de la démarche spéculativo-déductive de la philosophie allemande classique, une méthode censée traduire au niveau du style son précepte de l’« absence de tout présupposé métaphysique ». La description permet de faire état, de la façon la plus « neutre » possible, de la teneur « donnée » des phénomènes. Cette démarche descriptive est solidaire de l’« intuition » ou « évidence intuitive ». Celle-ci n’est pas un accompagnement psychique qui se surajouterait à la teneur « réelle » de ce qui est su (on ne rejoue donc pas la polémique entre Leibniz et Descartes), mais l’évidence ou l’intuition est le type insigne de manifestation et d’attestation de la « vérité ». Mais c’est justement en raison de cette solidarité entre la description et l’intuition que la « description phénoménologique » rencontre aussi ses limites. Comme j’ai essayé de le montrer à plusieurs reprises, il y a des phénomènes qui manifestent les limites de la démarche descriptive lorsque l’évidence ne donne pas les moyens de « trancher » entre des options contradictoires (ce qui ouvre à ce que l’on pourrait appeler une « dialectique transcendantale phénoménologique »). Husserl se demande par exemple si les phénomènes originairement constitutifs de la temporalité immanente sont « subjectifs » ou « objectifs ». Ou bien il apparaît, dans ses recherches sur l’intersubjectivité, qu’il y a aussi bien des raisons de considérer que l’ego est « en deçà » d’une configuration intersubjective que d’établir que l’ego a lui-même une structure intersubjective. Pour ce genre de problèmes, la démarche descriptive ne permet pas de sortir des impasses qui se présentent à chaque fois d’une façon différente.

Cet aspect est de toute évidence lourd de conséquences pour la méthode phénoménologique. Au cœur de la phénoménologie, il remet en question le « principe de tous les principes », à savoir l’exigence que l’intuition est une source de droit de la connaissance. Husserl dit bien dans le fameux § 24 des Ideen I : « une source de droit » de la connaissance. C’est ici que l’on peut en effet faire valoir la « construction phénoménologique ». Elle a donné lieu à un certain nombre de malentendus. Construire « phénoménologiquement » ne veut pas dire : construire « spéculativement ». La construction phénoménologique se tient toujours dans la tension entre la construction et ce qui est à construire qui est commandé par la teneur « phénoménale », c’est-à-dire par une configuration précise – l’une des « impasses » dont il vient d’être question – qui est à chaque fois différente. C’est pourquoi il n’y a pas « la » construction en tant que méthode généralisable. Que, néanmoins, la construction phénoménologique ne soit pas dénuée de tout aspect intuitif a été montré par Fink qui parle d’une « intuition constructive » accompagnant toute construction phénoménologique.

 

FF : Poursuivons un moment, si tu le veux bien, sur cette façon de caractériser la phénoménologie constructive. Il me semble en effet que celle-ci connaît une évolution au cours de tes travaux. Tu introduis d’abord le concept de construction phénoménologique comme un concept opératoire implicite (terme que tu forges à partir de la distinction que fait Fink des concepts thématiques et opératoires), mis en œuvre dans certaines analyses phénoménologiques. Tu approfondis ensuite cette idée en thématisant une véritable « phénoménologie constructive », à laquelle tu consacres un ouvrage[4]. Celle-ci n’est pas un simple secteur de la phénoménologie, mais un approfondissement de son sens même. En d’autres termes, il ne s’agit plus de distinguer description et construction, mais de saisir leur articulation – et, peut-être, quelque chose comme leur co-originarité (en quelque sorte, comme si la description n’était pas pensable sans lien à une certaine forme de construction). Dès lors, c’est la phénoménologie qui est indissociablement liée à la construction. Et la construction elle-même se complexifie. Tu ne parles plus seulement de constructions phénoménologiques, mais d’un véritable processus constructif, qui dégage plusieurs niveaux de constructions. Pourrais-tu en dire quelques mots ? Et aussi sur le statut sur ces fameuses constructions phénoménologiques de second et de troisième « genre »[5], et leur sens ?

 

AS : Oui, ce parcours est reconstitué de façon tout à fait correcte. Fondamentalement, la construction phénoménologique nomme effectivement cet entrelacement (plutôt qu’une « co-originarité – terme au fond assez vide) de « description » et de « construction » qui permet d’assister au processus créatif de la Sinnbildung, c’est-à-dire de la manière dont un sens « se fait ». Ce n’est pas une construction à partir d’éléments particuliers, à la manière d’un maçon qui construit un mur avec des pierres ou des parpaings. Quand une idée me vient pour répondre à une question ou pour résoudre un problème, comment cela s’effectue-t-il ? Je plonge d’abord dans l’« océan » des tourbillons, des lambeaux et des amorces de sens, pour « pêcher » quelque chose qui donne une première orientation. Cela doit être fixé en langage. Ensuite, un va-et-vient ou un « zig-zag » se met en place entre ce qui est à construire et les différentes étapes de la construction qui se modifient et s’adaptent sans cesse. Enfin, se cristallise un sens qui est toutefois toujours susceptible d’être affiné, poli, précisé – et de s’échapper de nouveau.

La configuration ou la formation d’un sens peut s’opérer de trois manières – d’où les trois « genres » de constructions phénoménologiques. Peut-être que l’image de la « pêche » permet-elle de s’orienter dans cette affaire. Construire phénoménologiquement à la manière du premier genre de construction phénoménologique revient à se demander quel type d’outils on peut utiliser pour tirer un poisson de l’eau. C’est une façon de s’adapter aux circonstances immédiates. Et c’est en fonction du type de proie que l’outil doit toujours être fabriqué à nouveau, individuellement. Celui qui construit phénoménologiquement avec le deuxième genre de construction, c’est quelqu’un qui, après réflexion, a fabriqué un outil une fois pour toutes et qui part toujours à la pêche avec ce même outil – quelle que soit l’espèce animale. Cela relève moins d’un principe heuristique bien choisi que d’une obsession dont celles et ceux qui restent cantonnés au deuxième genre de construction phénoménologique n’arrivent pas à se débarrasser (l’« obsession » dans la pensée étant un objet de réflexion important en philosophie, trop peu considéré). Celui qui construit à la manière du troisième genre de construction, s’y prend encore d’une tout autre manière. Il ne réfléchit pas sur l’utilité de l’outil compte tenu de l’environnement et des proies potentielles, mais sur ce que c’est que pêcher. C’est une façon de composer avec les éléments, et l’outil qui en résulte se trouve être plus adéquat et plus efficace.

 

FF : Peut-être pouvons-nous alors passer de la question de la construction à celle de la philosophie transcendantale à proprement parler. Il semble bien en effet que, chez toi, les deux soient liées – notamment dans tes recherches sur les grands développements historiques de la philosophie transcendantale (en particulier la philosophie classique allemande, mais pas exclusivement) et le rôle qu’y joue le temps. Tu as en effet consacré de nombreux travaux aux différents modèles de « philosophie transcendantale » (en général)[6]. J’aurais à ce sujet plusieurs questions. D’abord, comment définis-tu cette approche ? Pourquoi t’en revendiques-tu ? Qu’est-ce que tu estimes essentiel en elle ? Et finalement : en quoi le transcendantal implique-t-il, pour toi, une approche constructive ?

 

AS : Il y a deux tentatives de détermination de la philosophie transcendantale qui sont pour moi décisives : la Doctrine de la Science de 1804/II de Fichte[7] et l’œuvre majeure de Rickert, Der Gegenstand der Erkenntnis. Fichte explique que la philosophie transcendantale (de Kant) a découvert que le principe de la connaissance n’est pas un être en soi, mais une corrélation (de l’être et du penser). Rickert, avec son idée d’une « hétérologie », fait valoir que l’origine est « hétérothèse », c’est-à-dire le rapport de l’un et de l’autre (ou encore du on et du heteron), d’où l’« hétérologie »[8]. Husserl qui n’a pu prendre connaissance de Rickert qu’assez tardivement a étendu l’idée de « corrélation » – au-delà de tout « principe » et de toute « origine », et sans se référer ni à l’un, ni à l’autre – à tout objet potentiel de la connaissance. C’est pourquoi Meillassoux a bien raison de souligner le rôle important du « corrélationisme » dans la philosophie transcendantale, en général, et dans la phénoménologie, en particulier.

 

FF : Cela me permet de rebondir plus précisément sur un point qui est au cœur de tes recherches sur le concept du transcendantal : la question de la contingence. D’abord à partir de la figure de l’« hypothéticité catégorique » chez Fichte. Puis, plus largement, sur le lien que tu éclaires entre contingence et fondation dans L’effondrement de la nécessité[9] : dans le sens où il ne s’agit plus de s’appuyer sur un « fondement au sens d’un hypokeimenon dont dériverait de façon hypothético-déductive toute détermination objective[10] », mais au contraire de montrer que le sens de la fondation se nourrit d’une fragilisation de l’idée de nécessité, d’une « ouverture à une dimension de la contingence au cœur même de la catégoricité[11] » qui contamine en fin de compte « toute idée de maîtrise et met en tension la ‘chose’ (Sache) entre des pôles s’effaçant en faveur de la genèse et de l’éclosion du savoir[12] ».

 

AS : Concernant Fichte, dès son « discours de la méthode » de la doctrine de la science, à savoir son texte « Sur le concept de la doctrine de la science » (1794), il a souligné que si le « contenu » de la doctrine de la science est bien déterminé, une certaine contingence ne s’immisce pas moins là-dedans, dès lors que l’on cherche à fixer ce contenu en système, par écrit, etc. D’où son geste d’y revenir sans cesse et de produire ces nombreuses versions de la Doctrine de la Science que l’on connaît. Mais ce que Fichte a vu également, et je m’appuie là-dessus, c’est que toute tentative de fonder la nécessité du discours philosophique (et on ne peut y renoncer, car ce serait au prix d’un abandon pur et simple du traitement des questions théoriques en philosophie) ne peut éviter de s’inscrire dans un commencement hypothétique – ce qui signifie, en fin de compte, qu’elle n’échappe pas à un commencement contingent. Mais, comme tu le soulignes à juste titre, la réciproque est vraie également. Ce que j’appelle « générativité » renvoie précisément à l’idée que la « vérité de la création » frôle toujours aussi la contingence, voire l’échec. Cette précarité se reflète autant dans la lutte de Platon avec les sophistes que de celle de Richir avec une déconstruction se diluant dans la dissémination.

Mais poursuivons le débat qui précédait cette précision sur la fonction de la « contingence ». L’essentiel est de ne pas se méprendre sur l’idée de « corrélation » (et il semblerait qu’une telle méprise sous-tende Après la finitude). La corrélation ne met pas en jeu deux entités toutes faites, juxtaposées : un objet présupposé, d’un côté, et un individu concret, qui existe réellement et qui est doué, entre autres, de facultés cognitives et psychiques, d’une « conscience », etc., de l’autre. La corrélativité caractérise bien plutôt tout phénomène de manière intrinsèque[13] et pour autant qu’on le caractérise d’un point de vue transcendantal – d’où l’insistance de Husserl sur l’épochè et la réduction. Mais cette insistance n’a de valeur que méthodologique, on peut « s’en passer », si l’on sait de quoi il s’agit.

La phénoménologie aujourd’hui est extrêmement diversifiée, voire « éclatée ». Dans une large mesure, elle est historiographique : la plupart des publications reconstituent des points doctrinaux de tel auteur ou de telle autrice. Mais il y a aussi des travaux en psychopathologie phénoménologique, en phénoménologie cognitiviste, en phénoménologie interculturelle (y compris l’« écophénoménologie » et la « phénoménologie critique »), en anthropologie phénoménologique, en esthétique phénoménologique, etc. C’est dans ces travaux riches et divers qu’on se met encore à analyser les « choses mêmes », c’est-à-dire des phénomènes concrets. La phénoménologie transcendantale occupe une place modeste (en quantité), elle n’est prise au sérieux que par un nombre assez réduit de phénoménologues aujourd’hui. Dans la lignée de Fink et de Richir, elle traite des fondements (« spéculatifs ») de la phénoménologie, ce qui veut dire aussi qu’elle renoue avec des questions fondamentales de la tradition métaphysique (antique, cartésienne, kantienne, idéaliste, néo-kantienne). Et l’une de ces questions est précisément le statut de la « corrélation noético-noématique ».

 

FF : Puisque nous en arrivons là… Quelles sont pour toi les difficultés eu égard à la notion du « phénomène » ? Pourquoi estimes-tu que ces difficultés ne sont pas des obstacles, qu’il faut passer par le phénomène et l’approfondir ?

 

AS : La seule difficulté est peut-être de prendre toute la mesure du sens du « phénomène ». Il y en a au moins deux. Le premier est intimement lié à ce que nous venons de dire à propos du « transcendantal ». Le « phénomène » est le nom pour la substitution qu’opère la phénoménologie à ce que, classiquement, on a appelé « Ding », « Gegenstand », « Seiendes ». Il est ce qui contient en lui et exprime la structure corrélative du « noème » et de la « noèse ». Mais ce n’est pas tout. Le « phénomène » a encore un second sens, qui est propre à la phénoménologie transcendantale. Il renvoie à ce que Fink a appelé le pur « ’apparaître’ en tant qu’apparaître » (Sein, Wahrheit, Welt. Vor-Fragen zum Problem des Phänomen-Begriffs [1958]) ou Heidegger l’« apparaître de l’apparition » (utilisée dans un dialogue rédigé en 1953/54, publié en 1959 dans Unterwegs zur Sprache). Il s’agit là de la « phénoménalité » même du phénomène qui opère la déconnexion de la phénoménalité et de l’objectité ; le phénomène est alors considéré comme pur phénomène. Ces analyses vont des « objets-temps (Zeitobjekte) » husserliens aux « phénomènes comme rien que phénomènes » qui occupent une place centrale chez Richir. Il n’y a ici aucun obstacle. Il est intéressant de s’interroger sur ce qui a amené les phénoménologues transcendantaux à passer à ce niveau d’une « phénoménalité pure » (où il y aurait certes encore à distinguer entre ce qui s’y « donne » purement et simplement, et ce qui doit être « construit »). Pour les uns, c’est la proximité entre « apparition » et « apparence » ; pour les autres, c’est la contamination du « réel » et de l’« imaginaire » ; pour d’autres encore, cela concerne le rôle fondamental de la « virtualité ».

 

FF : Peut-être faut-il alors discuter le terme même de « phénoménologie » auquel tu semble donner, en particulier dans tes derniers travaux, un sens littéralement nouveau, qui pourrait d’ailleurs entretenir une certaine confusion – que ce soit avec les philosophes se revendiquant de la phénoménologie qui sont plus fidèles à l’acception classique de celle-ci ou avec ceux qui au contraire rejettent cette phénoménologie orthodoxe et seraient plus disposés à entendre. Qu’est-ce que tu retiens principalement de la phénoménologie ? Qu’est-ce qui fait pour toi qu’une pensée est phénoménologique ? Pourrais-tu commencer en esquissant les principaux aspects de ton rapport à Heidegger[14], Levinas[15], Richir[16] ?

 

AS : Pour pouvoir y répondre, il faut commencer par Husserl, car c’est à partir de là que se dessine peut-être la différence entre ce que je cherche à entreprendre et le sens classique de la phénoménologie. « Classiquement », la phénoménologie cherche à décrire les phénomènes, c’est-à-dire les modes de constitution de ce qui apparaît. Cela se joue au niveau de la « sphère immanente de la conscience », comme dit Husserl : nous considérons tel apparaissant, nous suspendons toute Seinsthese à son propos, et nous décrivons les modes de l’intentionnalité permettant de rendre compte du sens de cet apparaissant. Sur cette détermination générale de la phénoménologie (husserlienne), tout le monde peut s’entendre, je crois ; c’est ce que Husserl a fait dans la deuxième édition des Recherches logiques ou dans Ideen I. Mais force est de constater que, partout, la phénoménologie déborde sur ce cadre et dépasse les limites fixées par cette acception de la phénoménologie. Heidegger parle d’« Ursprung (origine) » ou de « Grund (fondement) » ; Levinas indique qu’il y a un dire en deçà du dit ; Richir met en évidence le « phénoménologique » par rapport à ce qui est « institué symboliquement ». Husserl lui-même a ouvert la voie en distinguant entre l’« immanent » et le « pré-immanent » (dans sa phénoménologie du temps ou dans sa phénoménologie de l’espace). C’est cette « pré-immanence » que je me propose d’explorer.

Cela permet maintenant de faire le lien avec la seconde partie de ta question. Ce qui fait pour moi qu’une pensée est phénoménologique – et c’est aussi ce que j’en retiens avant tout –, c’est d’être attentif à ce que Robert Alexander a appelé, en caractérisant la pensée de Richir (et en se référant à Maine de Biran), la « vibratilité » du penser pas plus que du réel. Richir parle aussi de « pulsations », de « clignotements », et, surtout, de la « Leiblichkeit ». Donnons un exemple pour illustrer ce qui est ici en jeu. Imaginons qu’on est sur une pelouse en train de regarder les nuages dans le ciel. Le vent vient transformer un gros nuage (qui ne représente d’abord rien de défini) de telle façon qu’on reconnaisse tout à coup des formes : un dragon, la tête d’un vieillard, un chat. C’est une assez belle image pour décrire métaphoriquement cette « pré-immanence ». Il s’agit de se plonger dans cette sorte de « magma » avant toute formation de sens, qui est un saut dans l’imagination et la phantasía pour autant qu’ils participent à la constitution du sens du réel (et toutes tes questions très stimulantes m’obligent précisément à me prêter à cet exercice). Partout il en va d’un certain « écart », d’une « différance », entre le « soi » et le « monde », voire même entre le « soi » et le « soi ». La phénoménologie ne sert pas particulièrement à fournir une nouvelle « logique de la réflexion ». Comme disait déjà Deleuze fort bien : dire que le domaine de la philosophie est la réflexion est absurde – qui attend la philosophie (et la phénoménologie, en particulier) pour réfléchir ? La phénoménologie n’est pas non plus mieux placée que d’autres philosophies pour « fabriquer des concepts » (mais ça se discute, bien entendu). En revanche, la phénoménologie est fort habile dans tout ce qui concerne le « voir », le « toucher » et le « sentir ». Et peut-être également concernant l’« entente » et l’« écoute ». Mais cela dépasse complètement nos sens ordinaires. Celui qui a très bien vu tout cela, c’est Richir. Or, je m’en distingue sur un point essentiel.

Richir est un phénoménologue de l’affectivité. Il propose une nouvelle « esthétique transcendantale » qui relie affectivité, phantasía, Leiblichkeit. Cela le conduit jusqu’à dire : « l’épreuve de l’hyperbole [au niveau de la ‘pré-immanence’ ou de ce que Richir appelle le ‘phénoménologique’] se doit de mettre hors circuit toute règle pour échapper au risque <de se trouver en arrière d’elle-même>. Car c’est la dimension symbolique qui introduirait des règles dans le jeu », alors qu’« il faut se tenir dans une version phénoménologique de l’hyperbole où le jeu se fait sans règles[17] ». Or, pour moi, ce « jeu » de la « pré-immanence » ne se fait pas sans règles. Je cherche plutôt à identifier une « matrice transcendantale » du sens se faisant (Sinnbildung) qui est quelque chose comme sa « table des catégories[18] », ce que Richir aurait assurément refusé.

Quoi qu’il en soit, la phénoménologie reste le philosopher le mieux placé pour parler de l’esthétique et de l’inter-subjectivité et ce, à tous les niveaux (y compris le psychopathologique). Last but not least : qu’est-ce qui nous distinguera malgré tout du chatGPT dernière génération ? La phénoménologie a des réponses à cette question. L’intelligence artificielle sera même l’un des leviers majeurs pour les recherches futures en phénoménologie (et notamment en la croisant avec l’anthropologie).

 

FF : Précisément ! C’est le moment d’en venir (d’en revenir !) à cette « intuition constructive » que tu t’appliques à thématiser. Tu prends indéniablement appui sur des réflexions de Husserl ou de Fichte – en particulier, concernant Husserl, des réflexions touchant à la vocation fondationnelle de la phénoménologie, et au rôle que l’intuition y joue. Mais la façon dont tu thématises l’intuition – non pas son rôle, mais son fonctionnement, son essence – fait apparaître, me semble-t-il, qu’elle est à la fois héritière et aussi radicalement distincte de ce que fait Husserl. J’ai tendance à penser que ce renouveau de la pensée de l’intuition est ce qu’il y a de plus radical et nouveau chez toi. Et en même temps ce qui t’ancre paradoxalement dans la tradition husserlienne la plus stricte. On peut en effet penser que la phénoménologie transcendantale telle que la pense Husserl s’apparente dans sa pratique à une recherche des formes d’intuition spécifiques mises en œuvre selon les différents champs d’objets explorés, à l’aune chaque fois du rôle transcendantal de l’intuition et de ses traits généraux explorés ailleurs. Le thème de l’intuition serait alors davantage un appel à un ensemble de questions à poser concernant pour chaque type d’effectuation de la conscience leur modalité de « fonctionnement » – l’intuition est en quelque sorte chaque fois à trouver. En ce sens, l’enquête actuellement menée par Dominique Pradelle concernant l’intuitivité mise en œuvre en mathématique[19] est extrêmement husserlienne (même si Pradelle estime préférable d’abandonner le concept d’intuition, qui lui paraît trompeur, pour lui préférer celui de remplissement catégorial, à comprendre dans sa dimension procédurale et non ultimement donatrice[20]). Vos perspectives sont très différentes, mais vous avez en commun de déconstruire une certaine précompréhension de l’intuition marquée par le modèle perceptive – toi en réfléchissant à l’idée même d’intuition (son caractère donateur, originaire), Pradelle en en déclinant les modalités.

 

AS : C’est bien vu, en effet, que je réfléchis à l’idée même d’intuition – mais je n’en ai pris véritablement conscience que très récemment, ce qui affecte aussi la méthode. L’« intuition constructive » est, je l’ai déjà rappelé, un terme finkien. Il fallait la mobiliser pour que la construction phénoménologique ne s’effectue pas « dans le vide », donc par « contrainte phénoménologique », comme aurait exigé Desanti. Aujourd’hui, je dirais ceci : si la philosophie transcendantale, en général, et la phénoménologie transcendantale, en particulier, est effectivement caractérisée fondamentalement par le « corrélationisme », encore faut-il bien identifier de quelle nature est la « corrélation ». Le point de départ, nous l’avons vu, est la dimension intrinsèque de la corrélation. Fichte d’ajouter : c’est la corrélation de l’être et du penser ; Husserl la voit dans le rapport intentionnel de la « conscience » et de l’« objet ». Je serais plus immédiatement kantien (mais cela ne contredit nullement les autres perspectives) : la corrélation fondamentale est celle entre une dimension « conceptuelle » et une dimension « intuitive ». Dès lors, c’est bel et bien le statut de l’« intuition » qu’il faut comprendre et clarifier. Il y a au moins trois aspects qui doivent être pris en compte : l’idée kantienne de l’irréductibilité des intuitions aux concepts – et cela concerne en particulier les « formes pures » du temps et de l’espace (ce qui justifie de s’y intéresser encore et toujours) ; l’idée husserlienne que la « vérité » ne s’atteste que dans l’évidence intuitive (malgré les nuances apportées par la « phénoménologie constructive ») ; l’idée richirienne que le « phénoménologique » (comme « milieu » ou « océan » de la sphère pré-immanente) relève de l’affectivité, de la phantasía et de la Leiblichkeit (qui sont toutes des déterminations se rapportant à l’« intuition » et non pas au « concept »).

 

FF : Ta réponse me donne envie de « reboucler » avec la question du phénomène : la façon dont tu interroges la notion d’intuition, la dimension constructive sous-tendant l’intuition intellectuelle, n’implique-t-elle pas en effet aussi une façon de concevoir le phénomène totalement autre ? Où le phénomène est totalement distingué de ce qui l’assimile au registre de la manifestation et de l’apparaitre ? Autrement dit, que « le » concept unifié de phénomène n’aurait de sens que construit ?

 

AS : Merci de revenir sur cette question, cela permet d’apporter des compléments importants à ce que nous avons dit tout à l’heure. Quand je disais que la façon dont la phénoménologie investit l’affectivité et les sens dépassait nos « sens ordinaires », je sous-entendais effectivement que la phénoménologie était l’héritière légitime de l’« intuition intellectuelle ». En ressortit-il un concept de phénomène « totalement autre » ? Celui-ci n’aurait-il de sens que construit ? Cela ne concerne que les phénomènes dont traitent les « problèmes limites » de la phénoménologie. Aucun des phénomènes « décrits » dans la sphère immanente n’est construit. Même dans la sphère pré-immanente, le phénoménologique « brut » n’est pas construit, bien au contraire, il s’impose selon les modes intuitifs de l’affectivité, de la phantasía et de la Leiblichkeit, comme Richir l’a admirablement montré. En revanche, j’insiste, là où l’évidence intuitive rencontre ses limites, il y a effectivement un autre mode de phénoménalité, solidaire des trois genres susmentionnés de la construction phénoménologique. La complexification du statut du phénomène est à l’image de celle de la méthode phénoménologique pour peu que la phénoménologie se penche sur ses fondements spéculatifs.

 

FF : J’aimerais maintenant évoquer la redoutable question de la différence et de l’articulation entre ce que tu caractérises (avec Fichte, et d’une certaine façon Husserl) comme une position transcendantaliste radicale, et l’approches qu’avec Schelling ou Heidegger tu qualifies d’ontologisante. En effet, il me semble que dans tes premiers travaux, tu as surtout cherché à réhabiliter la première et à montrer sa fécondité. Cependant, tu insistes de plus en plus sur l’importance de la perspective ontologique. Toute la difficulté cependant est de surmonter l’écart des deux perspectives sans en abandonner l’une : il s’agit donc bien, aussi, de retrouver l’ontologique, mais à travers le transcendantal – à travers, mais « en écart », comme si le transcendantal avait toujours à faire avec une épaisseur qu’il ne résorbe pas. Mais cette épaisseur n’est pas celle d’un être ni celle d’une chose : c’est, si l’on veut, la concrétude elle-même. Je citerai tout de même ici Marc Richir : « l’ontologie est bien l’excès par rapport au transcendantal, qui vient combler une sorte de défaut transcendantal originaire, avec toutes les conséquences que nous avons précédemment analysées quant à l’‘oubli’ du transcendantal dans l’ontologique et quant à l’auto-réduction de l’ontologie dans le transcendantal, rendue possible, justement, par la médiation de ce qui n’est jamais qu’un simulacre d’ontologie, issu d’une illusion transcendantale[21] ». Toute la phénoménologie, pourrait-on dire, est alors dans ce jeu entre l’ontologique et le transcendantal – entre la phénoménalisation, les structures de la phénoménalisation, et la concrétude dont cette phénoménalisation se tisse. On pourrait dire que le questionnement transcendantal interroge ce qui est en dessous, les dimensions sous-jacentes à mon rapport à ce que j’expérimente : qu’est-ce qui fait que j’ai à faire à des choses, le plus souvent identifiées, dans l’horizon d’une extériorité ? Qu’est-ce qui fait que mon expérience temporelle et spatiale se structure de telle et telle façon ? Mais cela même implique de poser une distinction entre ce qui relève de la phénoménalisation (on pourrait dire du sens) et ce qui relève de l’être. L’être ne donne pas de sens – en revanche, il « tend » le sens !

 

AS : En effet, la revalorisation de la perspective ontologique s’annonce depuis En voie du réel[22] et s’est accomplie pleinement dans le passage de La déhiscence du sens au Clignotement de l’être. Le texte – majeur à mes yeux – qui sert de tremplin pour traiter de cette problématique est « Le rien enroulé », « essai métaphysique » du tout jeune Richir[23]. « Tremplin », parce que l’être y est encore conçu comme « écumes », « étincelles », « copeaux », « scories », qui se « déposent » (comme dirait Fichte) du fait du « grincement » du « double mouvement de la phénoménalisation ». Pour rendre compte de l’être autrement qu’en termes de « déchet », pour rendre compte de l’« être vivant » ainsi que de la dimension ontologique (ou « pré-ontologique ») du transcendantal, ou encore pour prendre la mesure de la « tension du sens moyennant l’être », comme tu dis, j’ai essayé de penser l’être, dans Le clignotement de l’être, comme l’« absolu » de la phénoménologie générative, c’est-à-dire comme « excès apriorique et fondant (infinitisant) », muni de son double mouvement phénoménologisant entre un au-delà « excessif » et un en-deçà « préimmanent »[24]. C’est un geste heideggérien, en un sens, étant donné que Heidegger a défini, dans Sein und Zeit, l’être comme ce qui fait « le sens et le fondement » de ou à même l’apparaissant. C’est aussi un geste lévinassien dans la mesure où, dans « La ruine de la représentation », Levinas a insisté sur l’idée que l’être « fondait » la pensée (constitutive, en même temps, de ce même être – donc ici aussi, nous voyons à l’œuvre un double mouvement). Et, en renvoyant à l’idée d’« infinitisation », c’est aussi un geste derridien. L’être « tend » le sens, oui, mais dans la figure de l’« excès », et tout cela en vertu de l’imagination transcendantale (à la source possibilisante de la déhiscence du sens) qui seule en a le pouvoir.

 

FF : Tu as évoqué tout à l’heure ce qui nous différencie du chatGPT, d’un tremblement, d’un bouger au sein de notre expérience, qui est autant opacité que virtualité de création. Tu partages avec d’autres philosophes – avec Richir, on l’a vu, mais aussi avec Deleuze, dont la référence semble de plus en plus fréquente dans tes écrits, le souci de cette créativité et cette création de et dans la pensée. Mais tu adoptes une position particulière, dans la mesure où tu distingues tout de même la question de la création dans la pensée en général, et la création en philosophie. Précisons bien que je prends le terme de pensée au sens de Richir – au sens de flux de sens se faisant. On pourrait dire que la philosophie – en particulier sous la forme de la phénoménologie – aide d’une part à élucider cette dimension de création en général. Mais que ce serait aller trop vite que d’y englober simplement l’activité philosophique, de dire que la philosophie est un art, ou un flair. Il faut bien aussi se demander quelle est la nature du savoir qu’apporte la philosophie – de ce qui le légitime comme tel, qui fait que la philosophie dit effectivement quelque chose. Or, oui, elle ne le dit pas en le retrouvant sous la forme d’un « déjà là ». Le savoir philosophique est lié à un surgissement et à un écart – quelque chose de nouveau, peut-être, si je peux risquer cette formule, une différence au sein des essences elles-mêmes, qui, d’une façon paradoxale, permet de les considérer comme des essences. Pourrais-tu dire quelques mots du savoir philosophique, de sa spécificité, de la façon dont tu le lies à une certaine création – et finalement, de ce qui sous-tend et permet la création de « concepts » (tu m’excuseras ce terme dont tu t’es distancé) philosophiques ?

 

AS : Je ne dirais ni que je distingue fondamentalement la création dans la pensée (surtout au sens richirien !) et en philosophie, ni que je me serais distancé du terme de « concept » (la « construction » ne relevant pas moins du concept que de l’intuition). Au contraire, comme je le disais, la revalorisation d’une certaine conceptualité me distingue de l’approche richirienne (mais pas seulement richirienne) centrée sur l’affectivité, inscrite dans l’immanence. Je ne suis pas la troisième génération de phénoménologues dans son refus de la logique transcendantale et de la catégorialité ! Difficile, toutefois, de ne pas tomber dans un piège avec les questions – magnifiques ! – que tu me poses.

1) Quelle est la spécificité du savoir philosophique ? On n’échappe pas à cette question, bien entendu. Il y a sans doute plusieurs réponses possibles, et des réponses qui vont dans des sens différents. L’un des aspects principaux concerne le rapport aux sciences. Y a-t-il un savoir philosophique indépendamment des sciences ? Si l’on répond radicalement par l’affirmative, c’est un geste audacieux, voire téméraire. Mais j’assumerais néanmoins une telle position. Je la considère comme authentiquement phénoménologique – je veux dire : faire de la phénoménologie, c’est d’abord conquérir un terrain autonome vis-à-vis des sciences.

On dit souvent que la phénoménologie est une attitude philosophique « à la première personne ». Encore faut-il bien s’entendre : il ne s’agit pas de la rabaisser à une simple description subjective et personnelle. Son geste fondamental est d’assumer une intelligence du réel avec les moyens et les outils du penser qui fait l’expérience de lui-même. Et la spécificité philosophique en est de dévoiler des structures non subjectives, partageables par « tout le monde » (ou en tout cas par celles et ceux qui y trouvent un accès).

2) Comment le savoir philosophique est-il lié à la « création » (au sens de la « créativité ») ? Le « savoir » philosophique se déploie dans des directions diverses, il peut s’occuper d’autre chose que de « création » et de « créativité ». En ce qui me concerne, c’est précisément la possibilité de la création de nouveauté qui m’a toujours passionné. Guy van Kerckhoven a dit une fois de Richir qu’« il aurait voulu assister à la création ». Je dirais même que ce serait encore plus intéressant d’appréhender en pensée, mais « en live », pour ainsi dire, ce qu’est un processus de création. C’est pour cela que je suis attiré davantage par les philosophies qui réclament et sollicitent la performativité plutôt que par celles qui se contentent de faire état de ce qui est – Platon, Descartes, Kant, Fichte, Husserl plutôt que les matérialistes, les empiristes, les philosophes pragmatiques, les réalistes.

3) Qu’est-ce qui permet la création de concepts philosophiques ? La réponse à cette question nécessite au préalable de préciser ce qu’est un concept (en philosophie) – ce qui est évidemment redoutable. Un concept philosophique n’est pas qu’une représentation générale s’inscrivant dans un rapport « déterminant » et « réfléchissant » vis-à-vis de ce dont il est le concept. Il est davantage que cela parce qu’il a une efficace. Cette efficace est d’ouvrir des espaces de compréhension qui n’étaient ni visibles, ni articulables avant sa « création ». En ce sens, et là-dessus Deleuze (dont je me sens en effet extrêmement proche) a tout dit, les concepts philosophiques sont des espèces d’« outils » dynamiques de déchiffrage (et souvent aussi de subversion) du réel et non pas de simples représentations statiques de ce dernier.

Mais qu’est-ce qui permet leur création ? On aimerait bien disposer d’une réponse simple, cela faciliterait les choses pour les philosophes, mais le travail du philosophe n’est pas aisé, comme nous disions tout au début. Je pense que cette création nécessite une certaine capacité de « voir », de voir des filiations, des accointances de sens, cela requiert aussi ce que l’on pourrait appeler (avec Maldiney) une « transpassibilité aux idées (Einfälle) », et puis la capacité de donner un nom à tout cela : l’art de composer avec le réel (et l’idéal !), tout comme l’aptitude langagière et stylistique de retourner le verdict qui prétend de manière indue que « pour tout cela, les noms nous font défaut ».

 

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[1] A. Schnell, Temps et Phénomène. La phénoménologie husserlienne du temps (1893-1918), coll. « Europæa Memoria », Hildesheim, Olms, 2004.

[2] A. Schnell, En deçà du sujet. Du temps dans la philosophie transcendantale allemande, « Epiméthée », Paris, PUF, 2010.

[3] A. Schnell, La déhiscence du sens, Paris, Hermann, coll. « Le Bel aujourd’hui », 2015.

[4] A. Schnell, Husserl et les fondements de la phénoménologie constructive, Grenoble, J. Millon, 2007.

[5] A. Schnell, La déhiscence du sens, op. cit., chapitre I.

[6] Cf. par exemple : Réflexion et spéculation. L’idéalisme transcendantal chez Fichte et Schelling, Grenoble, J. Millon, 2009 ; Qu’est-ce que la phénoménologie transcendantale ? Fondements d’un idéalisme spéculatif phénoménologique, Grenoble, J. Millon, 2020.

[7] A. Schnell, Die Erscheinung der Erscheinung, Frankfurt am Main, V. Klostermann, 2023.

[8] Cf. à ce propos C. Krijnen, Nachmetaphysischer Sinn, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2000, chapitre 5. Voir aussi d’une façon plus générale la belle étude d’Arnaud Dewalque sur Rickert parue chez Vrin (Heinrich Rickert. Les deux voies de la théorie de la connaissance 1909).

[9] A. Schnell, L’effondrement de la nécessité, Grenoble, J. Millon, 2015.

[10] A. Schnell, L’effondrement de la nécessité, op. cit., p. 11.

[11] A. Schnell, L’effondrement de la nécessité, op. cit., p. 13.

[12] A. Schnell, L’effondrement de la nécessité, op. cit., p. 131.

[13] Fichte explique cela de façon lumineuse dans sa Vergleichung des vom Hrn. Prof. Schmid aufgestellten Systems mit der Wissenschaftslehre (1796).

[14] A. Schnell, De l’existence ouverte au monde fini. Heidegger 1925-1930, Paris, Vrin, « Bibliothèque d’Histoire de la Philosophie – Poche », 2005.

[15] A. Schnell, En face de l’extériorité. Levinas et la question de la subjectivité, Paris, Vrin, « Bibliothèque d’Histoire de la Philosophie – Poche », 2010.

[16] A. Schnell, Le sens se faisant. Marc Richir et la refondation de la phénoménologie transcendantale, Bruxelles, Ousia, 2011 ; Phénoménalisation et transcendance. La métaphysique phénoménologique de Marc Richir, Mémoires des Annales de Phénoménologie (vol. XVI), Dixmont, Association Internationale de Phénoménologie, 2020.

[17] M. Richir, « Phénomène et hyperbole », dans C. Sommer (éd.), Nouvelles phénoménologies en France, Paris, Hermann, coll. « Rue de la Sorbonne », 2014, p. 52 (souligné par moi-même).

[18] J’ai détaillé cela dans le propos introductif « Les perspectives fondamentales du Clignotement de l’être », dans La phénoménologie transcendantale aujourd’hui. Autour du Clignotement de l’être d’Alexander Schnell, I. Fazakas, P. Slama (dir.), Paris, Hermann, coll. « Rue de la Sorbonne », 2023.

[19] D. Pradelle, Intuition et idéalités, Paris, Presses universitaires de France, 2021.

[20] Ibid., p. 468 et suivantes ainsi que M. Richir, Fragments phénoménologiques sur le temps et l’espace, Grenoble, J. Millon, 2006, p. 26.

[21] M. Richir, Recherches phénoménologiques, IIe Recherche, Bruxelles, Ousia, 1981, p. 147.

[22] A. Schnell, En voie du réel, Paris, Hermann, « Le Bel Aujourd’hui », 2013.

[23] Cf. A. Schnell, Phénoménalisation et transcendance. La métaphysique phénoménologique de Marc Richir, op. cit., chapitre II.

[24] Cf. le dernier chapitre du Clignotement de l’être, Paris, Hermann, « Le Bel aujourd’hui », 2021.

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