Jean-Paul Sartre : Situations VI. Nouvelle édition revue et augmentée (partie I)

Introduction

La réédition de Situations décidée en 2010 par Arlette Elkaïm-Sartre, se poursuit depuis 2015 sous la direction de Georges Barrère, Mauricette Berne, François Noudelmann et Annie Sornaga. Le livre Situations VI, n’est pas qu’un simple rafraîchissement de l’édition de 1964 consacrée alors au « problèmes du marxisme ». Ce nouveau volume reprend les principaux articles, interventions et entretiens de Sartre à partir de mai 1958 jusqu’au mois d’octobre 1964 dans l’ordre chronologique. Sous cet aspect, on peut dire que cette nouvelle édition agrémentée de présentations comprend pratiquement à elle seule la majeure partie des anciens textes de Situations IV jusqu’à Situations VII inclus, dans la mesure où le premier nommé était consacré aux « Portraits » de Camus, Nizan et Merleau-Ponty, puis Situations V au « colonialisme et néo-colonialisme », et enfin Situations VI et VII au marxisme et au communisme. On ne peut ici que se réjouir de cette refonte qui montre plus clairement l’imbrication des thèmes intéressants Sartre, découvrant ainsi toute la complémentarité et l’unité profonde de sa réflexion à travers des domaines apparemment différents.

Le contexte général des textes rassemblés dans cet ouvrage est la fin de la IVème république française, avec le règlement du conflit en Algérie par le général de Gaulle – ce livre s’ouvre sur trois articles concernant ce sujet, dont le dernier s’intitule « Les grenouilles qui demandent un roi ». L’actualité intellectuelle propre à Sartre, ainsi qu’il le décrit dans le très vif et stimulant entretien de 1960 avec Madeleine Chapsal, est la publication de la Critique de la raison dialectique, et la préparation de son autobiographie, Les mots. A cette époque, Sartre commence donc à faire un premier bilan de son œuvre – laquelle sera d’ailleurs couronnée par le prix Nobel qu’il refusera en 1964 à travers le dernier texte de ce volume – mais aussi de ses relations et divers engagements. On passe donc de considérations sur la politique française et internationale avec une conférence en URSS, à d’autres sur la peinture de Wols, Lapoujade et Masson, sur le cinéma avec Tarkovski, puis sur ses « amis » philosophes Camus et Merleau-Ponty, en passant par les hommages à Nizan, Fanon et Lumumba. Avec son roman La nausée ainsi que son essai Saint Genet, comédien et martyr, les recueils de Situations sont – Sartre le confiait en 1975 à Michel Contat – indispensables à relire et retenir pour convenablement connaître cette pensée si singulière.

Dans la mesure où la personne de Sartre n’a pas cherché à faire école – tout comme un autre – ni voulu être édifiant ou exemplaire, il est évidemment facile, et parfois même de bon ton, de cracher sur son legs ; cela, tant sur le plan conceptuel, puisque, comme Alain Badiou le rappelle, « un second tome consacré à la morale, on ne l’a pas non plus. Les ratés hantent l’histoire de la philosophie », et que par ailleurs, sur le plan des engagements politiques, rarement un auteur issu de la philosophie classique aura été aussi explicite et apparemment peu prudent dans ses différentes déclarations ou engagements politiques de circonstances. Sur ces critiques, Sartre pouvait d’emblée redire ce qu’il avait thématisé dans sa première philosophie : « l’histoire d’une vie, quelle qu’elle soit, est l’histoire d’un échec » (L’Être et le néant, p. 527). L’essentiel étant, non pas de déterminer les intentions ou les réussites des réalisations ou des prophéties, mais la qualité de l’auto-détermination d’une décision, et non pas sa justification ultérieure. C’est ce qui rend les écrits de Sartre suspects : comme s’ils s’étaient aménagés cette forme d’excuse préalable tout en la déniant à d’autres.


Cependant, à la lecture de ces différents articles, on constate que Sartre n’a pas cherché à se cacher derrières les circonstances : on peut considérer cela comme étant du cynisme méprisant, certains diront qu’il n’avait rien à dissimuler n’ayant rien à révéler, d’autres qu’il n’était – depuis La nausée et l’Etre et le Néant – déjà plus qu’un collaborateur de journal, donc sans recul artistique et philosophique possible ou justifiable. Nous pouvons bien entendu indéfiniment questionner la qualité des choix de Sartre et la manière dont ils opèrent dans ce contexte historique que nous croyons, bien sûr, mieux connaître que ceux qui l’ont vécu ; mais si l’on veut rester dans la cohérence de son parcours philosophique, il est difficilement légitime de simplement juger de ces choix à travers une reconstruction d’intention ou selon les conséquences des événements. On peut par principe dénoncer cela systématiquement, comme Aron par exemple, mais cela demeure hors du champ. significatif des écrits de Sartre.

1. Question de méthode

L’idée n’est donc pas de lire et interpréter Sartre en jouant d’un accord ou d’un désaccord général – ce qui est tentant, au point d’être même très agaçant, parce qu’il semble bien que Sartre sollicite cette forme de fausse communauté provisoire du projet dans l’ambiance générale de ses écrits – mais d’arriver à penser comment l’acte d’écrire, qui est selon lui « la forme la plus haute du besoin de communication » (p. 141), élève par-là même certains faits et les éclairent ou les déterminent comme importants pour Sartre. Est-ce que le système de valeur mobilisé, ou qui se révèle en tant que choix éclairant une situation, est cohérent en dépit du ton de circonstance et des informations nécessairement éphémères et partielles du moment que Sartre a pourtant voulu restituer ? Voilà la question générale qui peut nous aider pour appréhender dans un premier temps ces écrits de Situations.
Il faut préciser cette même interrogation en préambule, car, en miroir de ces textes dont une grande partie traitent de la décolonisation et de l’engagement de Sartre pour une sorte de socialisme libertaire, la publication à cette même époque de la Critique de la raison dialectique est explicite sur l’orientation générale de ces questions et la façon dont Sartre les entend :

« Toute philosophie qui subordonne l’humain à l’Autre que l’homme, qu’elle soit un idéalisme marxiste ou existentialiste, a pour fondement et pour conséquence la haine de l’homme : l’Histoire l’a prouvé dans les deux cas. Il faut choisir : l’homme est d’abord soi-même ou d’abord Autre que soi. Et si l’on choisit la seconde doctrine, on est tout simplement victime et complice de l’aliénation réelle. » (Critique de la raison dialectique, édition 1967, p. 248).

Ce qui veut donc dire que si l’homme est considéré par une forme de pensée ou d’action politique comme un sujet transcendantal constituant l’être objectif, ou voué à la compréhension de l’être, alors l’homme n’est que la fonction de la production ou de l’accomplissement de l’être, donc dépend de l’être, et ainsi, prédétermine l’homme à l’aliénation. Or, selon Sartre, la liberté de l’homme n’est pas liée à l’accomplissement d’une fonction ayant son sens hors de l’homme. Nous pourrons donc déterminer dans ces textes de Sartre, s’il est fidèle à cette perspective, dans ce qu’il défend ou ce qu’il dénonce, et dans ses prises de parti.


Concernant le marxisme, on peut par anticipation donner la réponse de Sartre à travers sa lettre de rupture à Camus publiée dans Les temps modernes. Sa critique mentionnée plus haut concerne moins le marxisme en lui-même que sa version « idéaliste », laquelle appartient au Parti communiste, avec lequel Sartre avait rompu en 1956 suite à l’insurrection de Budapest réprimée par l’Armée rouge :

« Supposez qu’on vous réponde comme Marx « L’Histoire ne fait rien… C’est l’homme, l’homme rée1 et vivant qui fait tout ; l’Histoire n’est que l’activité de l’homme poursuivant ses propres fins. » Si c’est vrai, celui qui croit s’éloigner d’elle cessera de partager les fins de ses contemporains et ne sera sensible qu’à l’absurdité des agitations humaines. Mais s’il déclame contre elles il rentrera par là même et contre son gré dans le cycle historique car il fournira sans le vouloir à celui des deux camps qui se tient sur la défensive idéologique (c’est-à-dire dont la culture agonise) des arguments propres à décourager l’autre. »

Rappelons les principaux éléments de la philosophie de Sartre. La liberté n’est pas préalable à l’être, on ne peut choisir d’être ou non, comme Camus, dans l’Histoire ; nous avons donc à déterminer les modes d’articulation du choix. La différence cependant que Sartre ne semble pas avoir explicitement surmonté dans sa philosophie – et cependant bien cerné et décrit comme ultime tension – c’est, que la liberté venant comme avec retard sur l’être, le pour-soi, la conscience survenant d’un écroulement de l’en-soi, Sartre n’a pas décidé de la teneur du passage, du jaillissement du néant « rongeant l’être comme un ver », et hésite souvent à le caractériser comme purement et simplement dialectique. La liberté ne peut se déduire de l’être, donc participer d’une quelconque nécessité du même ordre. Jamais la conscience (la liberté) ne pourra se retourner sur l’être et l’interroger sur son pourquoi – et si elle le fait, c’est par lâcheté, mauvaise foi, recherche d’excuse qui n’assume pas sa liberté. Jamais la liberté ne pourra entreprendre de fonder l’être (l’en-soi) bien que cela soit son projet. C’est pour cela que nous citions plus haut l’échec principiel de toute vie humaine selon Sartre. Et malgré cet écart de non-coïncidence avec soi-même, l’homme veut toujours combler ce néant par l’être, et résoudre cette contradiction : c’est selon Sartre, chercher à « se faire Dieu ». La liberté est toujours projet dans cette non coïncidence, projet de se faire Dieu en se visant comme en-soi-pour-soi, mais toujours à travers des conduites déterminées, dont Sartre veut penser l’articulation et les situations. Autrement dit, l’enjeu fondamental d’une vie est de la vivre absolument, c’est-à-dire de la vivre en se rapportant, en se convertissant à l’Absolu comme Totalité, selon laquelle on doit se projeter sincèrement pour porter une authenticité universelle par son existence.

Avant l’ouverture à la morale inachevée en conclusion de l’Etre et le Néant, Sartre termine son essai par cette formule célèbre : « la passion de l’homme est l’inverse de celle du Christ, car l’homme se perd en tant qu’homme pour que Dieu naisse. Mais l’idée de Dieu est contradictoire et nous nous perdons en vain ; l’homme est une passion inutile » (p. 662). La fondation d’une autonomie d’être est donc un jeu vide et truqué : on ne peut faire de la Totalité ou de l’Absolu un objet ; ne restent que les traces d’un évidement, la tentation irrémissible et les marques cruelles d’une lutte dialectique, dont les aboutissements n’ont plus qu’un vague parfum tragi-comique, comme en témoigne d’ailleurs la présente compilation de texte de Sartre. Mais en même temps, si inutile soit-elle, nous avons cependant, moins de vanité que le détachement libérateur d’un acte qui n’est plus lié à un calcul d’intérêt, d’intérêt « utile » : oui, ces écrits de Sartre sont datés, ils sont sans doute erronés, injustes et discutables sur beaucoup. de points, mais ils gardent cependant la vigueur passionnée d’une tension constante vers l’autonomie, la passion de l’Absolu comme affrontement libre, et en cela, ils sont régénérateurs dans leurs jugements et leurs propos. Cela n’empêche pas d’avoir du recul, mais après les avoir lus selon ce risque de l’inutile et de l’incertain, c’est-à-dire comme acte qui s’offre sans arrière-pensées, gratuitement.

Grâce à cela, on peut trouver chez Sartre une sorte de norme assez stable pour juger des œuvres et des faits selon cette exigence concrète de liberté, selon l’Acte même, parce qu’en lui se produit l’engagement d’une vie ou d’une expression vers l’Absolu qui ne cherche pas en permanence à dérouler la longue litanie de ses déterminations sociologiques, pour ensuite se trouver des motifs de paralysie confortable dans le conditionné continuellement dénoncé ; nous en avons un exemple typique lorsque Madeleine Chapsal l’interroge sur la littérature et les romanciers de son temps ; là-dessus, Sartre répond de la façon suivante :
« J’ai toujours trouvé remarquable – et sans aucune restriction – ce que fait Nathalie Sarraute. Mais elle croit atteindre par les échanges protoplasmiques qu’elle décrit, des relations interindividuelles et élémentaires, alors qu’elle ne fait que montrer les effets abstraits et infinitésimaux d’un milieu social très défini : aisé, bourgeois, un peu mondain, où le travail et l’oisiveté ne se différencient jamais (…) Dans les livres de Nathalie Sarraute, la totalité brille par son absence. Le titre du dernier, Planétarium, prouve même qu’elle est intentionnellement exclue. Pour cela, le Planétarium avec son grouillement évoque un exemplaire du Temps retrouvé, qui se décomposerait lentement sous l’action du Temps perdu. Pour cela aussi, c’est un livre de femme, c’est-à-dire que cette pulvérulence est exactement l’envers du refus de prendre en charge le monde atomisé, c’est l’action refusée. (…) Un livre de femme, c’est un livre qui refuse de prendre à son compte ce que font les hommes. Beaucoup. d’hommes n’ont jamais écrit que des livres féminins. Et par femme, je veux dire ici « femme sociale ». C’est-à-dire celle qu’on a dépossédée du droit de dire : « Je fais le monde au même titre que mon voisin. » Quand je parle de « roman de femme », c’est cela que je veux dire : la romancière s’est affirmée par son talent, mais elle n’a pas voulu s’arracher à sa condition de déshéritée, à la fois par ressentiment et par connivence avec l’ennemi » (p. 125 sq).

Ce que critique ici Sartre, c’est donc un type d’expression qui dénonce et ironise sur ses conditionnements et leurs effets, sans pour autant vouloir s’en défaire, et les utilise pour sempiternellement accuser, et se dispenser d’un choix qui décide d’une vision proprement autonome, inconditionnée, libre. Ce que Sartre ne supporte pas, c’est ce refus du refus, l’excuse donnée au non refus qui se dispense de la réciprocité, la prolongation d’une intention de rupture qui ne reste qu’à l’état de promesse mimée. Ainsi, la « totalité » qu’il a en vue, n’est pas celle d’un système, mais l’Acte même qui porte et se porte à l’Autre, qui permet inconditionnellement de décompresser l’être, de convertir ses dépendances par la conscience de la réciprocité, dans une reconfiguration qui sait se détacher de ses aliénations, et choisit réellement en participant à tout en tous.

Car le choix précède l’interprétation chez Sartre, et c’est cela qui l’intéresse dans les différentes situations ; l’interprétation et la délibération se font à la lumière du choix, ils sont déjà engagés dans la façon dont je me suis choisi. Comme l’indique par ailleurs Florian Forestier, la liberté sartrienne n’est pas une liberté d’agir, elle est un mode à être, une articulation du pour-soi qui cherche une inscription dans l’être : cependant, cela se pose comme une négation d’être dans l’être ; aussi, ce qui compte dans l’acte pour Sartre, c’est essentiellement la rupture, le jaillissement, l’instant qui marque l’action hors de l’être, et qui, pourtant, laisse comme pour-soi son effraction sur l’être. La valeur d’un acte, c’est la manière dont il s’extirpe de ses conditions, de la manière dont il les rend autre, malgré leur inscription en contexte, et non le ressentiment à les revendiquer. Mais réellement comprendre ce contexte, en avoir conscience, c’est donc déjà le redimensionner dans une participation singulière, et donc le libérer en un sens. L’acte qui intéresse Sartre, c’est un acte qui injecte des possibilités que le contexte préalable ne faisait pas compter, compter comme valable ou à exclure dans le calcul de son cours ou rapport de force : l’acte libre est par là hors du possible et de l’impossible chez Sartre, il est rupture pure et simple, car le choix est réorientation, projet, nouvel éclairage non reconductible à l’être préalable.

2. Considérations sur l’écriture et l’art

Aussi, les romans, les propos et orientations politiques perçus et se revendiquant uniquement selon leur simple condition – comme les personnages présentés par Sarraute – sont, de fait, systématiquement dévalorisés par Sartre, parce qu’ils ne sont alors que des gestes, et non des actes complets de liberté, d’acte qui voient et assument la totalité, la relation aux autres libertés. Sans cela, ils ne sont plus que des affirmations de parties qui s’interdisent une vision et un engagement complet, et s’aménagent par-là des excuses pour éviter l’abîme de l’inconditionné. Mais qu’est-ce que le sens de la totalité si elle s’ouvre par l’inconditionné ? Quand on interroge Sartre sur son activité d’écrivain, il déclare : « Je ne dirais jamais ce que je sens à moins d’être sûr que tout le monde le sent » (p. 129), tout en expliquant ensuite que « se reconnaître chez les autres, quelle difficulté ! Puisqu’on y est autre » (p. 132) : il y a donc une part de spéculation dans l’acte de création, qui prend le risque de s’aliéner, tout en étant sûr de sentir comme l’autre, tout en s’y reconnaissant autre. Mais dans cette tension contradictoire, se dévoile le projet même qui agit déjà, car il est l’ouverture à l’horizon d’un acte universel, celui qui ne se déduit pas de ses occasions, de ses goûts de parties contingentes, mais parvient à s’en extraire, tout en en exprimant la teneur unique. La totalité dont parle Sartre est cette tension de l’altérité qui s’exprime comme la mise en jeu d’une unité en l’autre, parce qu’elle nous fait autre en lui : et sous ce rapport, la totalité est « inter-action », car elle est comprise comme mesure de l’altérité qui met le soi-même en cause, c’est-à-dire, en relation – donc l’implique et le convoque dans une complicité irrémédiable ; et parce qu’ « écrire c’est toujours mettre l’écriture tout entière en question » (p. 135), Sartre peut alors juger également des œuvres d’art de la même manières que les expériences politiques : il n’y a donc d’acte que total, car toujours pris dans une interaction intégrale, donc unitaire qui nous met en cause car il n’y a pas d’autres limites à ma liberté qu’une autre liberté. Alors, les mises en question partielle de partie – si légitimes soit-elles en apparence – n’ont alors pratiquement pas valeur si elles s’arrangent à refuser à ce regard total, cette mise en relation des libertés, c’est-à-dire si elles refusent de partager l’épreuve d’une Unité qui nous fait autre.

C’est donc à travers ce prisme de la totalité unitaire que Sartre aborde par exemple les peintures de Lapoujade où, « puisque le sens se découvre par unification et puisqu’il s’unifie en se découvrant, il faut qu’il soit par nature communicable. (…) L’unification indéfiniment poursuivie par le pinceau puis par notre œil doit se donner elle-même pour but la recomposition permanente d’une certaine présence. Et celle-ci, réciproquement, ne peut nous livrer son indécomposable unité sinon dans le milieu de l’Art, à travers l’effort du peintre ou le nôtre pour constituer ou reconstituer la beauté d’un ensemble. L’acte est purement esthétique mais, dans la mesure même où nul ne s’en soucie, le Tout se glisse dans les synthèses de la vue, il les ordonne et les confirme. » (p. 180 et p. 187). Le Tout n’est donc pas préexistant mais il est l’expression de la liberté qui retrouve le champs de son ensemble instantané qui agit, qui créé sa présence sans être relative, et, en s’exprimant, fait toute sa place à l’autre en soi-même.

Quand Sartre aborde Klee et Wols, il considère cette expérience expressive de la Totalité comme « religieuse » (p. 334), car elle tend à créer un réseau d’expressions démultipliées, à exister sans l’Être comme le caractère baudelairien de Dieu : « le Tout est le signe multiple d’un même Fiat que l’artiste rencontre en lui comme la source de son existence et prolonge par son œuvre. Le fondamental reste la praxis et l’être se définit comme le rapport fonctionnel des parties à la Création continuée qui les totalise » (p. 335). Comme si l’inutile passion trouvait dans l’Art le signe de son accomplissement, exposait la matière de sa gratuité. Alors on peut comprendre la responsabilité de l’écrivain dans la totalité qu’il confie au lecteur tout en l’assumant dans son échec critique initial : « Si les défaites sont inscrites méthodiquement dans le négatif qu’on livre au public, elles indiquent ce qui devait être fait. Et c’est le spectateur qui est le vrai sculpteur du vide, qui lit le livre entre les lignes. » (p. 129) : ce vide c’est la liberté que l’écrivain livre à même et par son propre vide, sa propre liberté ; écrire est en cela le risque supérieur de confié son acte libre à d’autres actes de liberté.

Jean-Paul Sartre : Situations VI. Nouvelle édition revue et augmentée (partie II)

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