La pensée de Kierkegaard constitue une source majeure de l’analytique existentiale de Heidegger qui ne se limite nullement à quelques thèmes comme l’existence ou l’angoisse. Cet essai entend montrer que la filiation va bien au-delà de ce que Heidegger reconnaît explicitement, et que ce sont en fait tous les stades de l’existence chez Kierkegaard qui l’inspirent pour penser aussi bien l’inauthenticité que l’authenticité de l’existence dans Être et temps.
Le cœur de cette source kierkegaardienne de la pensée de Heidegger est à trouver dans la manière dont ce dernier entend penser l’authenticité de l’existence, à savoir comme une résolution. L’ensemble des déterminations qui la caractérisent trouve sa source dans une réappropriation du stade éthique qui entend à chaque fois en neutraliser la portée éthique, dans la mesure où l’analytique existentiale se veut axiologiquement neutre.
L’étude de ce problème d’histoire de la philosophie ouvre alors à une réflexion sur un problème plus directement philosophique : si la résolution provient d’une neutralisation de la portée éthique de concepts kierkegaardiens, cette résolution est-elle encore compatible avec la vie éthique ? Cet essai prend alors un tournant vers une interprétation critique de la pensée de Heidegger en montrant qu’elle se révèle in fine incompatible avec toute pensée éthique, dans la mesure où la résolution fonctionne comme une réduction existentielle de l’éthique qui trouve elle-même son origine dans le stade religieux, à savoir dans la suspension téléologique de l’éthique.
Étienne Pinat est professeur agrégé de philosophie et collaborateur du site Actu-philosophia. Il est l’auteur de Les deux morts de Maurice Blanchot. Une phénoménologie, paru en 2014 aux éditions Zeta Books.