En 1754, dans le Traité des sensations, Condillac s’efforce de démontrer que « toutes nos connaissances et toutes nos facultés viennent des sens, ou plutôt des sensations ». Pour cela, Condillac développe une fiction, celle d’une statue dont il éveillerait progressivement les sens. Il demande au lecteur de se penser à la place de la statue, de s’imaginer n’avoir qu’un sens lorsque celle-ci n’en a qu’un seul d’éveillé, d’examiner successivement les cinq sens, isolément puis en les associant l’un à l’autre. L’attention, l’imagination, la mémoire, l’entendement ne seraient pas les facultés d’un ego mais seraient distribués sur chaque sens. Au lieu de déterminer des facultés comme les pouvoirs d’un moi substantiel dans une métaphysique créationniste, Condillac construit le paradigme d’un moi pluriel, effet des opérations qu’il effectue. Le présent livre réévalue ainsi ce qu’une tradition philosophique, des idéologues aux positivistes, a décrit comme le sensualisme. Pour interroger cette interprétation, la fiction condillacienne de la statue peut être confrontée aux hypothèses qui lui sont contemporaines : La Mettrie et son homme-machine, Diderot et l’idée d’anatomie métaphysique, Boureau-Deslandes et son Pygmalion, l’histoire naturelle de Charles Bonnet et l’homo duplex de Buffon, à des titres différents, retravaillent l’anthropologie. Cette pensée du sensible qui déplace […]