Michel Foucault : Oeuvres

La gageure de ces deux volumes Foucault de la Pléiade, sous la direction de Frédéric Gros, et avec la collaboration de Jean-François Bert, Philippe Chevallier, Daniel Defert, François Deleporte, Bernard E. Harcourt, Martin Rueff, Philippe Sabot et Michel Senellart, tient dans le travail d’érudition qu’il produit sur le travail d’érudition de Michel Foucault. Travail d’autant plus difficile que Foucault, comme l’indique Frédéric Gros dans son introduction générale (tome 1, p. XII), détruisait le dernier état du manuscrit lorsque le livre paraissait pour n’en conserver que les notes de lecture. Il a fallu donc aux éditeurs un effort particulier pour parvenir à faire parler l’érudition de Foucault au moyen d’une érudition éditoriale tout à fait exemplaire. Le projet de cette édition n’est pas celui d’une édition critique de l’ensemble de l’œuvre écrite et parlée de Foucault, mais d’une édition critique de son œuvre publiée et livresque, à l’exception de son premier livre, Maladie mentale et personnalité1, et du dernier volume paru de l’Histoire de la sexualité, Les Aveux de la chair2. Manquent donc les cours au Collège de France (1970-1984), mais également les très importants Dits et écrits (1954-1988), malgré l’édition d’une sélection d’articles, de préfaces et de conférences à la fin du second volume, sur laquelle on revient en dernière partie de la recension. Ces deux volumes procurent donc, outre cette sélection de textes courts, Histoire de la folie à l’âge classique (1961 – suivie de deux appendices, « La folie, l’absence d’œuvre », article publié en 1964, et la seconde réponde à Derrida, « Mon corps, ce papier, ce feu » publiée en 1972, ainsi que de la préface à l’édition originale), Naissance de la clinique (1963), Les Mots et les choses (1966), L’Archéologie du savoir (1969), L’Ordre du discours (1971), Surveiller et punir (1975), et les trois tomes de l’Histoire de la sexualité (1976-1984). L’édition de ces textes implique, outre la reprise des éditions originales, la vérification des sources citées par Foucault (restitution des références exactes entre crochets ou bien au sein de notes séparées), le commentaire des textes à partir des manuscrits préservés (surtout des versions initiales) à la BNF, de notes de travail, de manuscrits de cours et de conférences ainsi que (nous y reviendrons) les cahiers qui constituent un « journal intellectuel » de Foucault (tome I, p. LVI).

On s’occupe, dans cette recension, du travail éditorial effectué. Pour ce faire, notre étude se développe au fil conducteur de La Naissance de la clinique (1963), et sépare les enjeux en trois thèmes : d’abord, l’épistémologie, puis le pouvoir, et enfin, en guise de discussion, la discipline historique, qui est le seul manque de ce travail par ailleurs en tout point exemplaire.

1) La question de l’épistémologie

On prend donc appui sur La Naissance de la clinique (1963), dont l’édition est paradigmatique du travail effectué dans ces deux volumes. François Delaporte montre comment il faut considérer ce texte comme beaucoup plus autonome qu’on a d’abord pu le penser en le présentant comme un appendice à L’Histoire de la folie. F. D. montre, non sans ellipses d’ailleurs, comment les boîtes du fonds Foucault de la BNF qui comportent les notes de travail autour de La Naissance de la clinique indiquent son autonomie et sa grande originalité. Le statut de l’épistémologie foucaldienne de 1963 est de ce point de vue révélateur. F. D. établit la filiation de celle-ci avec l’épistémologie française avec précision pour introduire à La Naissance de la clinique. Le point de départ des analyses de l’éditeur est tel passage de la préface du livre : « Il n’y a pas eu de ‘‘psychanalyse’’ de la connaissance médicale, ni de rupture plus ou moins spontanée des investissements imaginaires ; la médecine ‘‘positive’’ n’est pas celle qui a fait un choix ‘‘objectal’’ porté enfin sur l’objectivité elle-même. (…) Quant au langage lui-même, à partir de quel moment, de quelle modification sémantique ou syntactique, peut-on reconnaître qu’il s’est mué en discours rationnel », Foucault parlant juste après de l’importance de « saisir la mutation du discours quand elle s’est produite » au moyen d’une compréhension de « cette région où les ‘‘choses’’ et les ‘mots’’ ne sont pas encore séparés, là où s’appartiennent encore, au ras du langage, manière de voir et manière de dire », dans la mesure où « seule mérite d’être portée dans un jour à dessein indifférent la structure parlée du perçu, cet espace plein au creux duquel le langage prend son volume et sa mesure » ; c’est du « regard loquace » du médecin que Foucault veut parler (tome 1, p. 674-676).

Ce passage a évidemment sa tournure phénoménologique/herméneutique. C’est d’ailleurs une note de l’édition particulièrement instructive qui le souligne à propos d’un autre passage qui concilie également œil du médecin et formats de description qui l’orientent. F. D. cite en effet l’édition de 1963 (et non pas l’édition corrigée de 1972 où de nombreux passages ont été récrits), qui porte : « Il faut laisser aux phénoménologies le soin de décrire en termes de rencontre, de distance, ou de ‘‘compréhension’’ les avatars du coupe médecin-malade » (tome 1, p. 1546)3. Mais au-delà de ce rôle de la phénoménologie, c’est bien le champ de l’épistémologie que le Foucault de la première période investit avec ces lignes. Comment faire l’histoire de la rationalité ? F. D. rappelle que le grand enjeu est pour Foucault (c’était aussi, au même moment, celui de Kuhn dans The Structure of Scientific Revolution de 1962) ce que Bachelard a appelé « coupure épistémologique », quand il tâche de décrire le passage de la médecine classique à la médecine clinique. En opposant dans ce passage un texte de Pierre Pomme (1728-1814) et un texte d’A.-L.-J. Bayle (1799-1858) sur le même type de pathologie nerveuse, Foucault se demande comment on a pu passer d’un langage de fantasmes et de métaphores à un langage qualitatif sur un « monde de constante visibilité » (tome 1, p. 674) :

« Mais cet évident partage, quelle expérience fondamentale peut l’instaurer en deçà de nos certitudes, là où elles naissent et se justifient ? Qui peut nous assurer qu’un médecin du XVIIIe siècle ne voyait pas ce qu’il voyait, mais qu’il a suffi de quelques dizaines d’années pour que les figures fantastiques se dissipent et que l’espace libéré laisse venir jusqu’aux yeux la franche découpe des choses » (tome 1, p. 674)

Si la phénoménologie joue un rôle ici, elle ne le fait qu’en second lieu, reposant sur une approche profondément réflexive, en l’occurrence épistémologique, qui se demande les conditions de découpage à la fois historique et objectuel de la science étudiée par ce que Foucault appelle déjà « archéologie ». F. D. montre cependant tout ce qui sépare l’approche foucaldienne de celle de Bachelard, dans la mesure où la rupture ne saurait ici s’expliquer par l’accentuation de l’ « objectivité » de la description (explicitement niée par Foucault dans le texte qu’on a cité plus haut), ni par le dépassement du concret par l’abstrait – puisque la médecine clinique souhaite parvenir à la pleine visibilité des pathologies (tome 1, p. 1514-1515).

F. D. éclaire le projet de La Naissance de la clinique par le rôle célèbre joué par Koyré :

« Comment se sont constituées les formes de la rationalité médicale qui rendent possibles, à la fois, l’insertion du mal dans l’organisme et l’invention du regard médical ? (…) Dans ses études, Koyré avait décrit le cadre de pensée dans lequel il faut se placer pour être, comme l’étaient Descartes et Galilée, ‘‘dans le vrai’’. Très schématiquement, on peut dire que dans la Naissance de la clinique il est question de la médicalisation de la médecine au sens où Koyré parlait de la ‘‘mathématisation de la physique’’ » (tome 1, p. 1515).

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François Delaporte montre d’ailleurs comment ce rôle joué par Koyré est renforcé par les analyses de Canguilhem à propos des systèmes normatifs qui assignent au discours son statut scientifique ou non scientifique. Toute la question demeure, chez Koyré, Canguilhem ou Foucault (mais aussi bien chez Kuhn au même moment), de savoir comment s’opèrent ces discontinuités épistémologiques, et ce qui les norme4. Le rapport de Foucault essentiellement descriptif (et non pas normatif) aux discontinuités, le caractère donc profondément descriptif de ses découpages constitue certes la croix des études foucaldiennes5 ; mais il permet également une grande précision dans ces découpages, comme l’enseigne l’éditeur dans un passage très important de sa notice qu’on aimerait citer in extenso :

Dans la Naissance de la clinique, Foucault donne un exemple de ce qu’on pourrait appeler un dysfonctionnement épistémique. Gabriel Andral, dans la première édition de sa Clinique médicale (1823-1827), affirmait l’existence de fièvres essentielles sans lésions. Il se situait alors dans le droit fil de la médecine du XVIIIe siècle. Dans la seconde édition (1829-1833), il leur reconnaît à toutes une localisation organique et les répartit en inflammations des viscères et des centres nerveux : les fièvres essentielles ont disparu. A partir du moment où Andral localise les fièvres, il est ‘‘dans le vrai’’. Relativement à quoi sa première édition bascule dans le faux (tome 1, p. 1516).

Ce commentaire éclairant donne au lecteur beaucoup à penser : comment concevoir, entre deux éditions d’un même livre, le changement de régime de vérité, ou encore de paradigme ? Comment peut-on dire, sur le seul mode descriptif (qui est clairement celui de Foucault tout au long de son œuvre épistémologique), que l’on passe d’un paradigme à l’autre et donc d’un type de normativité scientifique à un autre ? On a l’impression, à lire le Foucault de l’époque de l’Histoire de la folie, que le discours archéologique donne l’expérience (pour le coup quasi phénoménologique) du régime de vérité propre à une époque découpée par le même discours, qui produit ainsi la légitimité de son découpage et ainsi sa propre légitimation. Ce qui pose problème, ici, est l’axiologie épistémologique qui conduit Foucault à opérer tel découpage selon tels critères (ici le critère du passage d’une médecine de l’invisible et du fantasme à la clinique pensée comme science du regard et du visible). Ce n’est pas, de ce point de vue, le relativisme foucaldien qui pose problème (il convient très bien, après tout, à sa problématique qui est justement de faire l’histoire des problématiques)6, mais bien la normativité qui sous-tend son propre discours et ses découpages.

Ces questions posent du même coup le problème du statut du discours foucaldien. L’édition ici procurée met en évidence de très nombreuses modifications de la seconde édition de 1972, qui tiennent souvent de l’usage récurrent que faisait la première du mot « structure » ou « structural ». C’est encore l’un des grands intérêts de ces Pléiades. Comme l’indique F. D. dans une note capitale : « L’édition originale porte ici : ‘‘On voudrait essayer ici une analyse structurale d’un signifié’’. Il est vrai que, dans l’édition originale, le nombre d’occurrences du mot structure et de son dérivé structural est considérable » (tome 1, p. 1529). Du coup, on trouve en note la mention, tout au long du texte, des formules originales, qui peuvent être « structure formelle », « étude structurale », « structuralement », « structure »… L’éditeur explique dans sa notice cette méfiance a posteriori du vocabulaire structural : si la réception a déçu Foucault, c’est qu’elle a voulu lire un livre structuraliste : Foucault étant compris comme relativiste (par exemple par Jacques Revel en 1967 ; mais comme l’indique justement l’éditeur, nulle part la Naissance de la clinique ne se prétend relativiste), ce qu’il aurait cherché est la structure formelle qui qui régit le régime de discours propre à telle ou telle époque. Or, et peut-être les éditeurs auraient-ils pu davantage s’y référer, les Dits et écrits montrent à plusieurs reprises Foucault s’expliquant avec le structuralisme. Par exemple, dans un entretien pour La Presse de Tunisie, en 1967, il déclare : « Ce que j’ai essayé de faire, c’est d’introduire des analyses de style structuraliste dans des domaines où elles n’avaient pas pénétré jusqu’à présent, c’est-à-dire dans le domaine de l’histoire des idées, l’histoire des connaissances, l’histoire de la théorie. Dans cette mesure, j’ai été amené à analyser en termes de structure la naissance du structuralisme lui-même. / C’est dans cette mesure que j’ai au structuralisme un rapport à la fois de distance et de redoublement. De distance, puisque j’en parle au lieu de le pratiquer directement, et de redoublement, puisque je ne veux pas en parler sans parler son langage. »7 Derrière un propos d’apaisement se cache une véritable rupture, puisque le structuralisme est relégué à la fonction de conditionnement de l’interprétation du structuralisme lui-même ! Mais ce constat ne peut qu’être après coup ; car dans l’édition de 1963 de la Naissance de la clinique, voici ce que Foucault dit par exemple du Traité des membranes (1827) de Bichat, pour montrer qu’il est l’essor de la clinique concernant l’anatomie pathologique : « la clinique, regard neutre posé sur les manifestations, les fréquences et les chronologies, préoccupée d’apparenter les symptômes et d’en saisir le langage », inventait un regard qui ne localisait plus mais qui contemplait « un espace à la fois plus complexe et plus abstrait, où il était question d’ordre, de successions, de coïncidences et d’isomorphismes ». Avec la clinique, Bichat découvre « un principe de déchiffrement de l’espace corporel qui est à la fois intra-organique, inter-organique et trans-organique » – Foucault montrant par exemple comment une classification peut s’opérer à partir de l’observation « minceur du tissu » (tome 1, p. 814). C’est qu’il faut identifier désormais des « systèmes » :

A partir des seuls tissus, la nature travaille avec une extrême simplicité de matériaux. Ils sont les éléments des organes, mais ils les traversent, les apparentent, et, au-dessus d’eux, constituent de vastes « systèmes » où le corps humain trouve les formes concrètes de son unité. Il y aura autant de systèmes que de tissus : en eux l’individualité complexe, inépuisable des organes, se dissout, et, d’un coup, se simplifie. (…) Entre les tissus et les systèmes, les organes apparaissent comme de simples replis fonctionnels, entièrement relatifs, dans leur rôle ou dans leurs troubles, aux éléments dont ils sont constitués et aux ensembles dans lesquels ils sont pris (tome 1, p. 815).

Et Foucault citant alors un passage du Traité des membranes qui évoque « l’identité simultanée de la conformation extérieure, de la structure, des propriétés vitales et des fonctions » (tome 1, p. 816). Analyse structurale encore de Bichat, quand Foucault écrit : « Bichat impose, dans le Traité des membranes, une lecture diagonale du corps qui se fait selon des nappes de ressemblances anatomiques, qui traversent les organes, les enveloppent, les divisent, les composent et les décomposent, les analysent et en même temps les lient » (tome 1, p. 816). Du coup, « on verra se dessiner à travers l’espace organique de grandes familles de maladies, ayant les mêmes symptômes majeurs et le même type d’évolution ». Si l’on revient à la description que fait Foucault du structuralisme en 1967, on lit que le structuralisme est « une méthode d’analyse, une activité de lecture, de mise en relation, de constitution d’un réseau général d’éléments »8. Très exactement, en d’autres termes, ce qu’il dit qu’est la clinique de Bichat – mais qu’il élargit plus largement aux rapports du sujet connaissant et de ses objets, quand il souligne ce qui marque la rupture entre clinique et anatomo-clinique, à savoir « la disposition plus générale du savoir qui détermine les positions réciproques et le jeu mutuel de celui qui doit connaître et de ce qui est à connaître », ce qui implique qu’avec l’anatomo-clinique on joue à « un autre jeu » – c’est-à-dire un autre jeu de langage, un autre régime de discours (tome 1, p. 826). Plus loin Foucault explicite ce point en soulignant : « Le signe ne parle plus le langage naturel de la maladie ; il ne prend forme et valeur qu’à l’intérieur des interrogations posées par l’investigation médicale. Rien n’empêche donc qu’il soit sollicité et presque fabriqué par elle. Il n’est plus ce qui, de la maladie, s’énonce spontanément ; mais le point de rencontre provoqué entre les gestes de la recherche et l’organisme malade » (tome 1, p. 852). La structure rendue visible par le langage n’est pas seulement à distance de ce langage opérant sur elle, mais elle l’implique et l’embrasse, à moins que ce ne soit ce langage qui lui-même implique la structure qu’il décrit. On voit bien comment les rapports de Foucault au structuralisme sont loin d’être seulement des rapports de rejet, et il y aurait lieu, ici comme ailleurs, de s’interroger sur les stratégies institutionnelles de Foucault qui avait tout intérêt, à ce moment de son itinéraire, de se distinguer du courant encore à la mode. L’intérêt de l’édition « Pléiade » est aussi là : interroger le lieu creux de l’œuvre de Foucault, à savoir les évaluations dont lui-même est l’auteur qui lui font discerner des naissances et des ruptures selon tels ou tels critères de lecture. En un sens, appliquer à Foucault ce que Foucault appliquait à Bichat.

2) La question du pouvoir

On poursuit l’illustration des usages possibles de ces volumes à partir de La Naissance de la clinique. Après l’épistémologie, c’est naturellement la question du pouvoir qui s’impose. Foucault a lui-même signalé que dès la première édition du livre (1963), l’enjeu du pouvoir (ce qu’il appellera plus tard le « pouvoir-savoir »9) jouait déjà un rôle important. Dans un entretien de 1967 « sur les façons d’écrire l’histoire », Foucault pouvait écrire :

« Mais il n’y a d’intérêt à décrire cette couche autonome des discours que dans la mesure où on peut la mettre en rapport avec d’autres couches, de pratiques, d’institutions, de rapports sociaux, politiques, etc. C’est ce rapport qui m’a toujours hanté et j’ai voulu précisément, dans Histoire de la folie et Naissance de la clinique, définir les rapports entre ces domaines différents. J’ai pris par exemple le domaine épistémologique de la médecine et celui des institutions de répression, d’hospitalisation, de secours aux chômeurs, de contrôle administratif sur la santé publique, etc. »10

Quatre ans après la première édition de la Naissance de la clinique, Foucault en retient l’implication normative : la clinique ne peut être comprise indépendamment des lieux et des stratégies de pouvoir qu’elle entraîne, mais également qui la motivent. Plus explicitement encore, à propos du même livre, Foucault déclarait, dans un entretien de 1972 : « Pour la médecine, j’ai essayé de faire une analyse un peu semblable [à celle de L’Histoire de la folie], donc de détecter les rapports de pouvoir, c’est-à-dire nécessairement les types de répression qui étaient liés à l’apparition d’un savoir. »11 De fait, le premier chapitre de la Naissance de la clinique rendait compte des théories cliniques à partir de l’espace social : tout d’abord l’espace social de l’hôpital qui créé des maladies qui lui sont propres (tome 1, p. 701). Citant un entrepreneur peu connu (sur lequel une note de l’édition renseigne), Foucault écrit : « aucune maladie d’hôpital n’est pure » (tome 1, p. 701). Cela implique, à la fin du XVIIIe siècle, l’encouragement des soins au domicile familial – cela implique donc une spatialisation sociale de la médecine. Plus encore, cela implique une décision politique et sociale, puisque (Foucault paraphrase Turgot ici) : « C’est en faisant travailler les pauvres qu’on leur portera secours sans appauvrir la nation » (tome 1, p. 703) ; puis : « Il faudrait concevoir une médecine suffisamment liée à l’État pour qu’elle puisse, de concert avec lui, pratiquer une politique constante, générale, mais différenciée, de l’assistance ; la médecine devient tâche nationale » (tome 1, p. 704). C’est enfin ce que Foucault appelle encore l’époque de la « spatialisation institutionnelle de la maladie » (tome 1, p. 705). Les conditions politiques d’émergence de la médecine hospitalière deviennent prépondérantes.

Mais Foucault accentue l’importance du pouvoir dans la naissance de la clinique lorsqu’il présente les conditions d’émergence de l’épidémiologie. Là encore, la spatialité est importante, puisqu’elle joue un rôle cardinal dans l’identification d’une épidémie, toujours pensée comme « noyau de circonstances ». Mais s’il faut une hiérarchisation toujours plus bureaucratique de l’institution médicale, il faut surtout qu’une autre institution joue ici son rôle : « Il ne saurait y avoir de médecine des épidémies que doublée d’une police » (tome 1, p. 709), une police qui dicterait les façons de se vêtir, de se nourrir, etc., c’est-à-dire d’éviter les maladies – mais peut-être, surtout, qui serait chargée par là-même d’une tâche « de contrôle et de contrainte » (tome 1, p. 710). Le premier Foucault est déjà aux prises avec la problématique du contrôle, qu’il analyse en termes institutionnels (avec le rôle qu’il fait jouer par exemple à la Société royale de médecine, politique, contre celui de la Faculté, et la victoire politique de la première sur la seconde à la fin du XVIIIe siècle). C’est par la judiciarisation de la médecine que les regards croisés des médecins quadrillent l’espace social et « exercent en tout point de l’espace, en tout moment du temps, une surveillance constante » (tome 1, p. 715). Si l’on comprend bien Foucault, la mise en visibilité de l’invisible, qui va de pair avec l’invention de la clinique, est rendue possible par l’institutionnalisation de la recherche ainsi que par son organisation policière. Il est fascinant de noter que derrière une apparence phénoménologique (singulièrement merleau-pontyenne), la pensée de Foucault est en fait fondamentalement une pensée de contraintes normatives et politiques exercées sur les individus au moyen de méthodologies et de problématiques scientifiques ainsi que des institutions qui les accompagnent voire les rendent possibles (on sait l’importance que prendra l’histoire institutionnelle dans Surveiller et punir (1975)). De ce point de vue, la riche annotation du volume permet de s’y retrouver dans le chaos des biographies, fonctions, hiérarchies et institutions que Foucault réveille sous nos yeux. Le propos de Foucault devient profondément normatif, et ce que la présente édition fait clairement apparaître, c’est comment la seconde édition de 1972, contemporaine au travail qui trouvera son aboutissement dans Surveiller et punir, insiste, à la fin du chapitre deux, sur la question du partage entre normal et pathologique. En effet, à propos du long paragraphe qui clôt le chapitre deux, François Delaporte rédige ces deux notes :

a) « Au lieu de s’en tenir à l’« affrontement du positif et du négatif », il met en lumière la ligne de partage entre le normal et le pathologique qui passe à l’intérieur même de l’homme social. Par l’intégration des pratiques non scientifiques et non discursives dans l’histoire de la clinique, Foucault opère la conversion du vital au social. »

b) « Cette dernière phrase de l’édition originale a été récrite : Foucault supprime la référence à Bergson et le thème de l’unité du vivant pour ne retenir que la question de la norme. » (tome 1, p. 1535)

Il n’y a qu’un pas dès lors pour affirmer que Foucault revient sur son texte lors de la seconde édition pour souligner ce qui apparaissait déjà dans la première, mais non pas en termes de « normes » ni peut-être de façon centrale, à savoir l’axiologie profondément politique de l’histoire des sciences, ou encore les conditions proprement politiques de l’exercice et des ruptures scientifiques dans l’histoire des idées. L’histoire des problématiques est du même coup l’histoire du pouvoir – ou de ce que Foucault appellera, deux ans après les refontes de la seconde édition de La Naissance de la clinique, « biopouvoir »12. Revient alors la question de la réflexivité que Foucault ne semble jamais accomplir tout au long de son itinéraire, la question de savoir de quelles évaluations et de quelles normes il est lui-même le résultat intellectuel, question sans laquelle on ne peut s’empêcher de regretter la dimension arbitraire de ses descriptions.

3) La question de l’histoire

Les lecteurs universitaires tireront ainsi un profit très grand de la consultation de ces volumes très érudits. Leur approche est globalement philosophique, ce qui est encore plus manifeste dans le deuxième volume. La notice lumineuse que Martin Rueff consacre à L’Archéologie du savoir (1969) l’atteste : il met d’abord en évidence le rôle des lectures de philosophie analytique dont les notes de lecture du fonds Michel Foucault à la BNF témoignent (tome 2, p. 1405), puis décrit un manuscrit préparatoire en soulignant que « ce n’est pas l’histoire qui est l’objet de [ce manuscrit] : c’est le langage, son existence, son surgissement, sa rémanence » ; et encore : « ce n’est pas aux historiens que Foucault s’adresse dans [ce manuscrit] : c’est aux philosophes du langage », mais également aux phénoménologues » (tome 2, p. 1405). Plus fermement encore, Martin Rueff soutient que « c’est avec les philosophes analytiques qu’il veut discuter pour établir la possibilité de ce qu’il faut bien appeler une ontologie du langage, puisque ce qui intéresse Foucault, ce sont les modes de formation, d’existence et de persistance des énoncés ». Résultat : « un livre sur le langage hante un livre sur l’histoire » (tome 2, p. 1406). Du coup, Martin Rueff traite tour à tour des influences wittgensteiniennes, phénoménologiques (l’ « a priori historique »), structuralistes, marxistes, mais (et c’est un choix tout à fait fort) à aucun moment du contexte historiographique pourtant central au moins dans les premiers chapitres de L’Archéologie. Tout se passe comme s’il devait passer au second plan. On voudrait discuter cette interprétation à partir d’un texte capital recueilli dans les Dits et écrits, issue d’une conférence à l’université de Keio de 1970, soit un an après la parution de L’Archéologie, sur le thème : « Revenir à l’histoire ».

Ce texte manifeste clairement que les préoccupations fondamentales de Foucault dans le travail qui était alors le sien n’étaient pas strictement philosophiques. Il faut chercher ailleurs. Son idée est d’opposer aux diverses formes de structuralisme l’histoire, non pas précise-t-il à la façon des phénoménologues ou des marxistes, mais plutôt au moyen d’un concept entendu dans le débat interne à la discipline historique, celui d’ « événement »13. On sait son importance dans L’Archéologie du savoir, et il nous semble inintelligible en termes strictement philosophique, du moins dans le contexte de L’Archéologie. Foucault tient d’ailleurs à l’inscrire dans un tel contexte historiographique, quand il écrit, dans la conférence de 1970 : « Je voudrais (…) montrer comment certaines des méthodes utilisées aujourd’hui par les historiens permettent de donner un sens nouveau à la notion d’événement. On a l’habitude de dire que l’histoire contemporaine s’intéresse de moins en moins aux événements et de plus en plus à certains phénomènes larges et généraux qui traverseraient en quelque sorte le temps et se maintiendraient immobiles à travers lui. Mais, depuis quelques dizaines d’années, on s’est mis à pratiquer une histoire dite  »sérielle », où événements et ensembles d’événements constituent le thème central. »14 Foucault fait référence ici à l’entreprise de Pierre Chaunu visant à refuser les principes d’une histoire quantitative à la Braudel, différence que ce dernier avait perçu de façon très nette dans sa lecture de Séville et l’Atlantique (1955-1960), quand il écrivait : « J’ai cherché, dans La Méditerranée à exposer, bien ou mal, à imaginer une histoire globale, allant des immobilités aux mouvements les plus vifs de la vie des hommes. Pierre Chaunu n’a ni cette prétention, ni ce désir. Chez lui, la description des immobilités majeures (…), puis le récitatif conjoncturel (…) ne visent qu’à reconstituer une certaine réalité économique, découpée dans une histoire globale qu’elle traverse, mais qui la déborde de toutes parts. Je soupçonne même Pierre Chaunu d’avoir consciemment préféré le conjoncturel, plus proche de l’histoire vécue, plus aisé à saisir, plus scientifique s’il est enclos dans des courbes, que le structurel, observable à travers la seule abstraction de la longue durée. »15 Autrement dit, et c’est d’ailleurs tout le sens du propos de Foucault, les découpages de l’histoire de Chaunu implique des séries, c’est-à-dire des paradigmes de temps courts comparés et combinés, lorsque le paradigme braudélien, de son propre aveu et sans que cela empêche par ailleurs une échelle d’analyse plus restreinte, est la longue durée. Du même coup, Braudel reproche à Chaunu sa cécité à l’égard du rôle prépondérant des lieux, des routes terrestres et maritimes qui depuis Séville irriguent l’ensemble du monde capitaliste16. L’approche de Chaunu qu’il qualifie d’événementielle reste sourde à la géo-histoire braudélienne… Braudel reproche fondamentalement cette approche événementielle, au sens où les séries qu’il construit sont trop courtes : « Cependant, c’est à des mesures et à des mouvements plus courts que Pierre Chaunu arrête de préférence sa chronologie et son observation, à des périodes de vingt à cinquante ans au maximum (l’une d’elle d’ailleurs bien plus courte) et qu’il appelle de façon abusive, ou du moins ambiguë, des intercycles, alors que ce sont plutôt des demi-kondatieff. »17 La méthode sérielle est ainsi une division en multiples de la temporalité qui constitue des événements à interpréter, en rapport avec d’autres dont l’échelle est comparable.

Foucault voit autre chose dans l’entreprise de Chaunu : une anticipation de sa propre archéologie. Jugeons plutôt : « L’historien, voyez-vous, n’interprète plus le document pour saisir derrière lui une sorte de réalité sociale ou spirituelle qui se cacherait en lui ; son travail consiste à manipuler et à traiter une série de documents homogènes concernant un objet déterminé et une époque déterminée, et ce sont les relations internes ou externes de ce corpus de documents qui constituent le résultat du travail de l’historien. Grâce à cette méthode, l’historien peut faire apparaître des événements qui autrement ne seraient pas apparus. »18 Autrement dit, l’événement ne doit pas être ramené à un en deçà ou au-delà du discours, mais il est déterminé en quelque sorte dans son échelle et sa pertinence par l’archive étudiée par l’historien. Cette méthode met au jour des couches d’événements (qui sont autant de couches d’archives) : l’entrée d’un navire dans le port de Séville consignée dans un registre, baisse ou augmentation des prix, traduites par l’historien par des courbes économiques ; renversement d’une tendance économique, dont l’identification implique la mise en série des documents – bref, tout ce qui échappe aux contemporains et que l’historien doit produire à partir de l’archive : « C’est à l’historien de découvrir cette couche cachée d’événements diffus,  »atmosphériques », polycéphales qui, finalement, déterminent, et profondément, l’histoire du monde. Car on sait bien que le renversement d’une tendance économique est beaucoup plus important que la mort d’un roi. »19 L’histoire sérielle implique une multiplication des couches d’événementialités, ce qui implique, mais on l’aura bien deviné, que « les discontinuités de l’histoire vont se multiplier », l’histoire apparaissant alors « non pas comme une grande continuité sous une discontinuité apparente, mais comme un enchevêtrement de discontinuités superposées », mais aussi bien comme un enchevêtrement de durées multiples et diverses20. N’est-ce pas, reformulés en termes strictement historiographiques, les enjeux fondamentaux de L’Archéologie du savoir, mais aussi bien les outils fondamentaux qu’on a aperçu dans La Naissance de la clinique ?

Autrement dit, la magnifique édition procurée par les éditions Gallimard fait un choix : elle a parfois tendance à privilégier l’approche philosophique, là où il est contestable qu’elle soit la plus importante[De ce point de vue, on comprend mal le fond (et du même coup la forme) des critiques formulées par Thibaut Gress à Dan Arbib [ici-même : une interprétation a toujours ses partis pris, et il est illusoire à notre avis d’en appeler à une vérité intemporelle du texte, par-delà l’interprétation qui enquête sur ses contextes d’énonciation et ses horizons de sens. Un texte ne dit rien par lui-même mais doit être restitué à ses horizons plus ou moins nombreux, que souvent il ne peut pas voir. Foucault est lui-même pris dans ces effets de contexte, d’autant plus qu’il n’a pas clairement délimité le champ d’évaluation de son propre discours. Un parti pris interprétatif n’est pas un handicap mais souvent une force, surtout quand le lecteur en est simplement averti.[/efn_note]. Foucault déclarait, en 1966, que la réflexion philosophique s’était communiquée à toutes les disciplines des sciences humaines, où s’étaient en quelque sorte abritées les questions philosophiques. Mais la démarche de Foucault est aussi bien une sortie du domaine de la philosophie, une reprise des questions épistémologiques fondamentales dans les outils et les termes des sciences humaines, dont l’histoire au premier chef. Reste à s’interroger sur l’absence de la sociologie chez lui, qui explique peut-être l’absence d’auto-réflexivité ou, comme n’a cessé de la pratiquer Bourdieu, d’auto-analyse.

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  1. Maladie mentale et personnalité, Paris, PUF, 1954.
  2. Les Aveux de la chair. Histoire de la sexualité, tome 4, Paris, Gallimard, 2017.
  3. Pour une interprétation phénoménologique de ces pages de la préface de la Naissance de la clinique, notamment sans leur rapport à la Phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty, voir Béatrice Han, « L’a priori historique selon Michel Foucault : difficultés archéologiques », dans Emmanuel Da Silva (éd.), Lyon, ENS éditions, 2014, p. 23-38.
  4. Sur le rapport de Foucault à l’épistémologie française concernant la question des discontinuités, voir Judith Revel, « Michel Foucault : discontinuité de la pensée ou pensée du discontinu ? », Le Portique [Online], 13-14 | 2004, Online since 15 June 2007, connection on 17 February 2018. URL : http://journals.openedition.org/leportique/635. Foucault a lui-même recensé La Révolution astronomique de Koyré, dans La Nouvelle Revue française, n° 108, 1961, p. 1123-1124 – recueilli dans Dits et écrits I, Paris, Gallimard, 1994, p. 1960-1961, où l’on trouve telles formules capitales pour le projet foucaldien lui-même : « ne prendre les idées qu’en ce moment de leur turbulence où le vrai et le faux n’y sont point encore séparés » ; « Kepler n’énonçait pas une vérité nouvelle sans indiquer lui-même par quel sentier d’erreur il venait de passer : ainsi était-elle sa vérité » ; « quant à l’énonciation du vrai, elle va pouvoir se charger de toutes les modulations individuelles, des aventures et des vaines rêveries » ; « en ce début de XVIIe siècle, le lieu de naissance de la vérité s’est déplacé : il n’est plus du côté des figures du monde, mais dans les formes intérieures et croisées du langage ; la vérité s’écrit dans la courbe d’une pensée qui se trompe et le dit » – Foucault allant jusqu’à parler, bien avant Les Mots et les choses donc, de la physique moderne comme d’un « paysage naturel d’une philosophie, d’un langage et d’une culture plus occupés de la vérité des choses que de leur être ».
  5. Ce caractère descriptif de l’archéologie a été identifié par Foucault lui-même, dans un entretien de 1972 recueilli dans Dits et écrits II, Paris, Gallimard, 1994, p. 409 : « Les Mots et les choses se situe à un niveau purement descriptif qui laisse entièrement de côté toute l’analyse des rapports de pouvoir qui sous-tendent et rendent possible l’apparition d’un type de discours. »
  6. Pour une recension des critiques du relativisme foucaldien, par exemple par Habermas ou Putnam, voir Mark Olssen, Michel Foucault. Materialism and Education, London/New York, Routledge, 2016, p. 75 sq.
  7. Dits et écrits I, op. cit., p. 583.
  8. Ibid., p. 584.
  9. Par exemple, et de façon célèbre, dans Surveiller et punir (1975), dans le tome 2, p. 288-289 : « Il faut plutôt admettre que le pouvoir produit du savoir (et pas simplement en le favorisant parce qu’il le sert ou en l’appliquant parce qu’il est utile) ; que pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre ; qu’il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir. Ces rapports de ‘‘pouvoir-savoir’’ ne sont donc pas à analyser à partir d’un sujet de la connaissance qui serait libre ou non par rapport au système du pouvoir ; mais il faut considérer au contraire que le sujet qui connaît, les objets à connaître et les modalités de connaissance sont autant d’effets de ces implications fondamentales du pouvoir-savoir et de leurs transformations historiques. En bref, ce n’est pas l’activité du sujet de la connaissance qui produirait un savoir, utile ou rétif au pouvoir, mais le pouvoir-savoir, les processus et les luttes qui le traversent et dont il est constitué, qui déterminent les formes et les domaines possibles de la connaissance. »
  10. Dits et écrits I, op. cit., p. 590.
  11. Dits et écrits II, op. cit., p. 411.
  12. Comme l’écrit Frédéric Gros dans la notice « biopolitique » de l’Encyclopædia Universalis [en ligne], consultée le 1er février 2018, http://www.universalis.fr/encyclopedie/biopolitique/ : « Ce terme, apparu en 1974 dans une conférence prononcée au Brésil sur  »la médecine sociale », est largement repris et défini en 1976, simultanément dans l’œuvre publiée (La Volonté de savoir) et le cours public au Collège de France (leçon du 17 mars,  »Il faut défendre la société », 1997). Foucault parle à cette époque plus généralement de  »biopouvoir ». Cette notion lui sert à distinguer une forme  »traditionnelle » d’une forme  »moderne » de pouvoir exercé sur la vie, marquant par là une importante césure dans l’histoire des techniques par lesquelles la conduite des hommes est dirigée, leur comportement agi, leur corps investi. » Du coup, instruit par les variantes indiquées par les notes de l’éditions Pléiade, on est fondé de penser que Foucault a modifié son texte pour mettre en évidence la description qu’il anticipait en 1962 du biopouvoir décrit beaucoup plus tard. Christiane Sinding nous incite à le penser, lorsqu’elle écrit (« La méthode de la clinique », dans Luce Giard (éd.), Michel Foucault. Lire l’œuvre, Grenoble, Jérôme Millon, 1992, p. 64) : « Dans Naissance de la clinique l’apparition d’une conscience médicale collective et normative peut sembler un thème secondaire de l’ouvrage, mais sa réapparition ultérieure sous la forme du concept de  »bio-pouvoir » oblige le lecteur à prendre garde à l’émergence de ce thème dès 1963. »
  13. Dits et écrits II, op. cit., p. 273. Sur le retour du concept d’événement chez Foucault et plus largement dans l’ensemble de l’historiographie et des sciences sociales, voir François Dosse, Renaissance de l’événement. Un défi pour l’historien : entre sphinx et phénix, Paris, PUF, 2010. Je remercie Pierrick Brizard pour m’avoir fait comprendre les enjeux d’un tel retour en historiographie contemporaine, ainsi que les enjeux de la critique contemporaine des méthodes des Annales.
  14. Dits et écrits II, op. cit., p. 276.
  15. Fernand Braudel, « Pour une histoire sérielle : Séville et l’Atlantique (1504-1650) », Annales, n° 3, 1963, p. 543 ; repris dans Ecrits sur l’Histoire, Paris, Flammarion, 1969, p. 135-153.
  16. Ibid., p. 546.
  17. Ibid., p. 548.
  18. Dits et écrits II, op. cit., p. 277.
  19. Ibid., p. 278.
  20. Ibid., p. 278-279.
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