«L’Enracinement est certainement un écrit politique en raison du contexte dans et pour lequel il a été rédigé en 1943, à Londres, dans le cadre des services de la France libre. Il propose des réponses aux questions soulevées par la conduite de la résistance, de la guerre et de la future reconstruction politique de la France. À ce seul titre, toutefois, l’essai n’aurait qu’une signification historique. Or, loin que L’Enracinement ne soit plus qu’un écrit politique daté, il participe encore d’une interrogation contemporaine sur les sociétés démocratiques. Le platonisme de Simone Weil et la volonté de placer une « imprégnation spirituelle » authentique au cœur de la société questionnent la démocratie : comment lui rendre le souci des « besoins de l’âme » sans la détruire? Comment fonder la vie sociale sur quelque chose de plus absolu, de plus inconditionnel que le droit? Ce quelque chose, c’est l' »obligation », celle de satisfaire tous les « besoins de l’âme » sur le modèle dont on satisfait les besoins vitaux du corps.
Simone Weil reprend de façon critique le travail de réflexion qui a dominé les préoccupations des hommes de 1789. Ils ont mis le droit au principe de la Révolution, croyant être en mesure de poser en même temps des principes absolus. Démarche conceptuellement contradictoire qui est « pour beaucoup dans la confusion politique et sociale actuelle » selon Simone Weil. Il faudrait, par conséquent, poser les principes d’institutions nouvelles qui se situeraient au-dessus – sans prendre leur place – de celles qui protègent les valeurs traditionnelles de la République, le droit, les personnes et les libertés.
Qui dira encore que L’Enracinement est une œuvre « réactionnaire » ou « antimoderne »?»