Le grand problème de notre temps n’est pas la vie commune mais la vie séparée. La vie ensemble est celle d’une communauté, petite ou grande, qui a un passé, un présent et un avenir communs dans lesquels chaque individu, chaque famille, chaque groupe puise ses principaux repères. La vie séparée est le contraire : c’est la vie de ceux qui ne s’aiment pas et ne veulent pas vivre en commun, parce qu’ils estiment ne rien partager les uns avec les autres. Sauf peut-être le fait d’être des hommes. Mais ce fait apparaît bien léger face au souvenir des luttes passées, aux haines mutuelles, aux rancunes indélébiles, à la volonté de faire prévaloir sa légitimité ou son droit dans l’exclusion ou la négation de celui de l’autre.
La tolérance est inutile quand il y a vie en commun, dans ses solidarités et ses discordes. Elle est indispensable lorsqu’il y a vie séparée. La tolérance doit ainsi répondre à la question suivante : comment empêcher ceux (individus ou groupes) qui se rejettent mutuellement, pour des raisons multiples – passées ou présentes, de propriété, de légitimité contestée, de rivalité des histoires, de religion, de culture, etc. –, de se penser et de se poser dans la négation l’un de l’autre ? Comment, par conséquent, penser et établir la coexistence ?
Yves-Charles Zarka : Jusqu’où faut-il être tolérant? Traité de la coexistence dans un monde déchiré
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