Parmi les traits saillants du rire, nous retenons son aptitude à administrer une sorte de punition. Henri Bergson, reprenant une formule traditionnelle, notait ainsi que « le rire châtie les mœurs » (Le Rire I. 2). Sous cet angle, le rire véhicule de façon originale et simultanée une évaluation de l’objet du rire (évaluation dépréciative à sa façon) et une sanction immédiate, sans sursis ni délai. Par cette réalité duale, le rire constitue une conduite d’une nature bien spécifique. Le pivot de notre propos est le suivant : en tant que conduite enveloppant un jugement, le rire est lui-même passible d’une évaluation (du genre de celles qu’on applique aux punitions), une évaluation de second ordre, pour ainsi dire : le rire est approprié ou non, acceptable ou non, mérité ou non. Cela en fonction principalement de l’objet du rire. Nous nous proposons d’identifier quelques-unes des normes qui peuvent sous-tendre une telle évaluation de second ordre. Nous postulons ensuite que de tels jugements s’appliquent aussi à l’humour, en tant qu’il tend à susciter le rire dans telle ou telle situation. Les normes que cette façon de cadrer les situations permet d’identifier sont fortement contextuelles, et leur statut est d’abord positif et social : nous pouvons les décrire sans y souscrire. Nous nous demandons quels conflits de normes peuvent exister sur ce plan du second ordre, venant configurer une sorte mineure de dialectique. La présence de conflits de normes nous incite à nous demander comment ils peuvent être résolus.
Daniel Schulthess : Esquisse d’une critique de la raison humoristique
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