Gérard Lebrun : L’envers de la dialectique. Hegel à la lumière de Nietzsche

La dialectique serait-elle l’opium du philosophe ? On a toutes les raisons de le croire, à la lecture du cours magistral de Gérard Lebrun, publié par deux de ses […]

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Raoul Moati : Derrida / Searle : Déconstruction et langage ordinaire

Raoul Moati, collaborateur régulier de notre site, a récemment fait paraître aux PUF une analyse serrée du débat qui eut lieu entre Derrida et Searle, autour du problème de […]

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Luisa Valente : Logique et théologie.

Au printemps 2008 a paru chez Vrin ce livre de Luisa Valente, chercheur à l’Université ‘La Sapienza’ de Rome ; l’ouvrage est issu de sa thèse de doctorat écrite […]

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Florence de Lussy (dir.) : Simone Weil, Sagesse et grâce violente

Merci et amitiés weiliennes à au fr. Pascal David op. En poursuivant le défrichage des nombreuses publications consacrées à la figure et à la pensée weilienne à l’occasion du […]

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Jean-Marie Schaeffer : La fin de l’exception humaine

Jean-Marie Schaeffer a fait paraître, en 2007, un livre très profondément révolutionnaire, intitulé La fin de l’exception humaine. Grossièrement résumée, la thèse de Schaeffer pourrait être ainsi énoncée : […]

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Comment Raphaël Enthoven a réinventé l’émission de philosophie.

La philosophie est un sujet singulièrement périlleux à traiter en télévision. Difficile de montrer autre chose, à l’écran, que des couvertures de livres et des gens qui se causent. […]

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Philippe Vasset : Un livre blanc. Récit avec cartes

A travers l’exploration des zones laissées en blancs sur les cartes, Philippe Vasset se déprend bien vite de l’illusion un peu grisante de faire de la « géographie alternative […]

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Réflexions croisées sur Le Sujet qui fâche et Parallaxe de Zizek

1. L’Ecole Lacanienne de Ljubljana La spécificité du cercle de Ljubljana réside dans l’originalité de son recours philosophique et non clinique à la théorie de Lacan dans une perspective […]

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Slavoj Zizek : Le Sujet qui fâche

Parmi sa vaste bibliographie, les deux livres majeurs de Slavoj Zizek sont certainement Le sujet qui fâche et La parallaxe. Ces deux livres ont un point commun : chacun […]

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Heidegger, qu’appelle-t-on le lieu ? Les Temps Modernes juillet-octobre 2008

La revue « Les Temps Modernes » a décidé, sous la double impulsion de Joseph Cohen et Raphaël Zagury-Orly de consacrer son numéro 650 à Heidegger, exhumant pour l’occasion […]

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Jacques Derrida : La Bête et le Souverain

« La zooanthropolitique, plutôt que la bio-politique, voilà notre horizon problématique. » La Bête et le souverain, p.100. « Le double bind, c’est qu’il faudrait à la fois déconstruire, […]

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Emmanuel Levinas : Altérité et transcendance

Altérité et transcendance n’est pas un ouvrage démonstratif, c’est à dire une enquête méthodique qui, à partir de données premières, tâcherait de parvenir à la solution d’un problème donné. […]

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Entretiens

  • Entretien avec Antoine Grandjean à propos de : Métaphysiques de l’expérience, par

      Professeur de philosophie moderne et contemporaine à l’université de Lille III, Antoine Grandjean est un des meilleurs connaisseurs actuels de Kant, dont il vient de traduire aux PUF deux textes richement introduits : Sur l’échec de tout essai philosophique en matière de théodicée et Sur un prétendu droit de mentir par humanité[1]. En 2009, Antoine Grandjean avait publié un ouvrage remarquable, Critique et Réflexion, dont nous avions ici rendu compte en 2010. Plus récemment, il a consacré à la construction kantienne du concept d’empirisme une longue analyse développée avec brio dans Métaphysiques de l’expérience[2], analyse sans doute d’abord esquissée dans un collectif dirigé par ses soins en 2017, Kant et les empirismes[3].   Thibaut Gress : Antoine Grandjean, vous venez de publier aux PUF une traduction de deux petits textes de Kant[4], très richement introduite, qui fait suite à Métaphysiques de l’expérience paru en 2022. Très dense, stimulant comme rarement, Métaphysiques de l’expérience se déploie selon plusieurs perspectives, dont toutes me paraissent entrer en discussion avec un chapitre de Critique et réflexion, « circularité et réflexion », sur lequel nous reviendrons sans doute en conclusion, car il me semble que l’investigation génétique que vous avez entreprise est en tension avec vos analyses de la nature du discours kantien et de votre volonté initiale d’exclure le génétique du transcendantal. Quoi qu’il en soit, Métaphysiques de l’expérience apparaît comme un livre puissant et d’une richesse rare dont l’envergure est telle que le présent entretien ne pourra sans doute donner qu’un petit aperçu de son étendue.   A : « l’invention de l’empirisme »   Commençons, si vous le voulez bien, par l’introduction, et notamment son premier moment, qui prend le contrepied d’une idée reçue, à savoir que Kant réagirait à une sorte de corpus cohérent, que l’on pourrait qualifier d’empiriste, et contre lequel il échafauderait la réponse criticiste. Là-contre, tout comme Marx créant le concept de « capitalisme » pour mieux déterminer conceptuellement son adversaire, Kant, dites-vous, déterminerait conceptuellement l’ « empirisme » afin d’en mener l’analyse et la contestation. « Avant Kant, écrivez-vous, l’ « empirisme » n’existe pas. Les notes de ses étudiants portent d’ailleurs la marque de son invention kantienne[5]. » Et vous ajoutez aussitôt : « Kant est en effet l’inventeur de l’empirisme. Non qu’il ait donné naissance à la chose même (quoique ce point appelle discussion, puisque certains, on le verra, soutiennent que la chose au fond n’existe pas, l’invention kantienne du concept d’empirisme étant celle du seul empirisme qui soit, un fantôme tout au plus utile à des fins polémiques).[6] » Quant à l’empirisme ainsi déterminé, il serait « entendu comme cet empirisme du concept, c’est-à-dire comme cette thèse génétique qui identifie dans l’expérience la source véritable de toutes nos représentations, et qui récuse en ce sens toute possibilité d’une connaissance pure, c’est-à-dire absolument a priori, ou intégralement rationnelle, si la raison désigne le pouvoir de la connaissance a priori en général, le rationnel s’opposant ainsi à l’empirique[7]. » On voit à cet effet que l’empirisme tel que déterminé par Kant désigne une thèse génétique quant à la provenance des concepts ; mais qu’ajoute l’explicitation de ce concept à la clarté des textes d’un Locke qui, dès le début de L’essai sur l’entendement humain, affirme « mener des recherches sur l’origine [the original], sur la certitude et sur l’étendue de la connaissance humaine[8] », ce qu’il réaffirme au paragraphe suivant, en disant chercher « l’origine [the original] des idées, des notions (…)[9]. » ? Qu’est-ce qui, chez un Locke, pouvait paraître insuffisant du point de vue génétique pour rendre nécessaire une requalification de son entreprise ? La même question pourrait être posée d’ailleurs pour Hume dont la section I du Traité de la nature humaine est bien intitulée « de l’origine de nos idées ».   Antoine Grandjean : Il ne manque rien à Locke ni à Hume pour mériter le nom d’« empiriste », leur entreprise correspondant tout à fait à ce que Kant entend par là (contrairement d’ailleurs à ce que nombre de lecteurs se sont depuis efforcé d’établir contre Kant). Ce qui ne se trouve pas chez eux, c’est précisément ce nom, et le concept qu’il dénote, concept dont Kant est l’inventeur. Avant lui, « empirisme », qui est d’usage récent, ne désigne pas une doctrine philosophique concernant l’origine de nos connaissances, qui en affirmerait l’exclusive empiricité, mais quelque chose comme un charlatanisme, une revendication anti-méthodique, une pratique anti-rationnelle de la connaissance ; le terme est utilisé, sur le mode d’une imputation négative, à des fins de déconsidération de ceux que Bacon, prenant la suite des médecins grecs, caractérisait comme des « empiriques ». C’est du concept moderne d’empirisme que Kant est l’inventeur. Mais il l’invente en effet pour déterminer ce paradigme génétique que les philosophies lockienne et humienne (entre autres) défendent.   ThG : Un élément, peut-être légèrement extérieur à votre propos, me vient à l’esprit. Lorsque l’on regarde les textes de Locke et Hume, on s’aperçoit assez vite que Locke recherche the original des idées alors que Hume en reste à the origin, Locke se mettant donc en quête d’une sorte d’élément extérieur à l’esprit, dont celui-ci aurait la copie, alors que Hume ne sort pour ainsi dire jamais de la perception, puisque les impressions ne sont jamais définies comme étant celles qu’exerce sur nous un objet extérieur mais bien comme étant celles qui, des perceptions, entrent avec le plus de force et de violence. De là, d’ailleurs, sa critique de l’idée d’existence et d’extériorité de la section VI de la seconde partie, et plus encore de la seconde section du Livre IV, qui semble dire l’impossibilité de sortir de la perception et la nécessité d’enraciner l’origine dans la perception elle-même, là où Locke admet d’emblée des corps extérieurs, qui sont les originaux dont proviennent nos copies. D’ailleurs, vous marquez très bien la position de Hume pour qui « penser quelque chose, c’est faire référence à ce qui fut un jour senti. »[10] Jusqu’à quel point est-il éclairant de forger un concept commun d’empirisme pour qualifier une question génétique qui, dans les faits, est profondément hétérogène puisque divergeant radicalement sur le sens de la source, et qui se voit artificiellement unifiée, et ce bien que sous […]

Colloques

  • Retour au virtuel : vie et cultures numériques, par

    Conservatoire national des arts et métiers Amphithéâtre Fabry-Perot – 292 rue Saint Martin 75003 Paris Inscription recommandée : numerique-inter@cnam.fr (objet : colloque virtuel) Jeudi 9 février 2012, 9h-12h30 Ouverture : Haud Guéguen 1. Industries du simulacre et de la simulation : loisirs et services virtuels • Manuel Zacklad : La virtualisation des services relationnels M. Zacklad est Professeur titulaire de la Chaire « Expressions et Cultures au Travail » du Cnam et directeur du laboratoire Dicen (Dispositifs d’Information et de Communication à l’Ere Numérique). Ses domaines de recherches sont la sémiotique des transactions coopératives (communautés, gestion des connaissances, socio-économie des services), l’approche communicationnelle et documentaire des TIC (document pour l’Action, documentarisation, annotation coopératives…), les systèmes d’organisation des connaissances pour la coopération via le Web dans des contextes professionnels, citoyens ou culturels. • Elsa Boyer : De la perception artificielle au phantom shot E. Boyer a soutenu une thèse de philosophie intitulée « Phénoménologie et perception artificielle – La synchronisation en conflit » (Paris Ouest La Défense, 2010). Elle a récemment publié un article dans la revue Critique (octobre 2011, n°773), « Les jeux vidéo : du tribunal à l’exposition », et coordonne un ouvrage collectif sur les jeux vidéo aux éditions Bayard (Voir les jeux vidéo. Perception, construction, fiction, février 2012). Elle est chargée d’enseignement en études cinématographiques à l’Université de Lille III. • Milad Doueihi : Le virtuel, habitus de l’intelligence ? M. Doueihi est historien du religieux dans l’Occident moderne, professeur et titulaire de la Chaire sur les cultures numériques de l’Université Laval au Québec, auteur de La Grande conversion numérique (Seuil, 2008) et Pour un humanisme numérique (Seuil, 2011), chroniqueur à Place de la Toile (France culture) et auteur du blog notules.org. Jeudi 9 février 2012, 14h30-18h 2. Le temps des données Modérateur: Louise Merzeau • Arnaud Bouaniche : La réalité du virtuel A. Bouaniche est chercheur post-doctorant à l’UMR STL (Lille 3) et membre associé du CIEPFC (ENS). Ses travaux portent principalement sur la philosophie française contemporaine, de Bergson à Deleuze. Il est notamment l’auteur de Gilles Deleuze, une introduction (Pocket, 2010), et a édité, de Bergson, l’Essai sur les données immédiates de la conscience (PUF, 2007). • Bruno Bachimont : Traces et mémoire : nivellement numérique et conscience temporelle Br. Bachimont est Directeur de la Recherche de l’Université de Technologie de Compiègne, où il enseigne la logique, la philosophie et l’ingénierie des connaissances et des documents, et conseiller scientifique de la direction de la Recherche et de la Formation à l’Institut National de l’Audiovisuel (France). Il travaille sur l’archivistique audiovisuelle et numérique dans le contexte des contenus culturels, ainsi que sur les questions de mémoire et de patrimoine. Au croisement de la philosophie de la technique et du numérique ainsi que de l’ingénierie des connaissances, sa recherche vise à croiser le travail des concepts avec l’opérationnalité des techniques. • Fanny Georges : Éternités numériques (à propos des données post-mortem) F. Georges est Maître de conférences en Sciences de la communication à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris III. Elle est spécialisée en sémiotique des interfaces numériques et est l’auteure de Identités virtuelles: les profils utilisateur du web 2.0 (Questions théoriques, 2010). Vendredi 10 février 2012, 9h-12h30 3. Lieux et non-lieux du virtuel Modérateur : Haud Guéguen • Marcello Vitali Rosati : Le pouvoir du virtuel : entre dynamis et potestas M. Vitali Rosati, Docteur en philosophie avec une thèse intitulée Corps et virtuel. Pour un discours métaontologique à partir de Merleau-Pont » (Pise-Paris IV Sorbonne 2006), enseigne actuellement dans des écoles d’art et création à Paris. Il dirige avec A.- L. Brisac le séminaire Nouvelles formes d’éditorialisation et communautés virtuelles à la MSH Paris-Nord/INHA. Il est l’auteur de Corps et virtuel (L’Harmattan, 2009) et de « La virtualité d’internet », article paru dans la revue en ligne Sens-Public en 2009. • Christiane Vollaire : De Hobbes à Foucault. La virtualité du corps politique réalisée dans le corps biologique Ch. VOLLAIRE est philosophe et membre du comité de rédaction des revues Pratiques et Chimères. Ses travaux portent sur la philosophie esthétique, politique et philosophie de la médecine. Elle a publié notamment Humanitaire, le coeur de la guerre, ed. L’Insulaire (Paris, mars, 2007). • Yann Leroux : (sous réserve) Y. Leroux est psychologue, psychanalyste, membre de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines et auteur du blog Psy et Geek 😉 . Il est notamment l’auteur de plusieurs publications sur les jeux vidéos. Conclusion : Robert Damien R. Damien est Professeur de philosophie à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, directeur de l’École Doctorale « Connaissance, langage, Modélisation » et Président du conseil scientifique de l’Enssib. Ses recherches portent sur la philosophie politique, l’histoire et l’épistémologie des sciences humaines, sociales et politiques, la philosophie du conseil et de l’expertise et l’histoire et la philosophie de la bibliothèque et de la culture. Il est l’auteur de Bibliothèque et Etat, naissance d’une raison politique (PUF, 1995), La grâce de l’auteur, essai sur la représentation d’une institution publique, l’exemple de la bibliothèque publique (La versanne, Encre marine, 2001), Le conseiller du Prince, de Machiavel à nos jours, genèse d’une matrice démocratique, (PUF, 2003).

La philosophie médiatique

  • Michel-Yves Bolloré, Olivier Bonnassies : Dieu – La science Les preuves, par

    Acheter Dieu – la science, les preuves. Acheter le Monde s’est-il créé tout seul ? Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies ont publié en octobre 2021 un ouvrage destiné au grand public et dont le titre est éloquent : Dieu, la science, les preuves[1]. Un livre en apparence épais, mais qui se lit en réalité assez vite, car le contenu n’est pas très dense, et émaillé de nombreuses citations, documents, photographies, qui allègent considérablement le contenu proprement dit. Le but de l’ouvrage est clair, montrer que les découvertes les plus récentes prouvent la thèse d’un Dieu créateur, lequel se trouve être celui qui est annoncé par la Bible. Il s’agit d’un ouvrage d’apologétique, sur fond de concordisme. L’ouvrage se veut un exposé complet et mis à jour des preuves de l’existence de Dieu, et s’adresse aussi bien aux croyants qui voudraient y puiser des ressources argumentatives, qu’aux sceptiques et aux athées auxquels l’ouvrage souhaite lancer un défi. Dans les milieux savants mais aussi théologiques, l’ouvrage a été accueilli de manière plutôt réservée[2]. En effet, exploiter les ressources des sciences pour justifier la foi peut-il être pertinent ? Les preuves scientifiques de l’existence de Dieu Bolloré et Bonnassies développent 3 preuves de l’existence de Dieu, qui seraient soutenues par les découvertes en science contemporaine. L’univers a un début (le big bang). Or, ce qui a un début a une cause extérieure, laquelle ne peut être que Dieu. L’univers est dès l’origine finement réglé avec des constantes physiques si précises qu’elles ne doivent rien au hasard. Il y a donc un créateur intelligent à l’origine de l’univers. Les êtres vivants possèdent, même pour les plus élémentaires, un niveau de complexité tellement grand qu’ils ne peuvent avoir surgi par hasard de l’inerte. La vie a donc nécessairement une intelligence créatrice pour origine, qui est Dieu. Il n’y a rien de bien neuf, rien en tout cas qui justifie le sous-titre de l’ouvrage : « L’aube d’une révolution ».  En reprenant la classification que Kant établit des arguments possibles pour l’existence de Dieu, on reconnaît dans la preuve 1 l’argument qu’il nomme « cosmologique » – l’univers doit avoir une cause première –, et dans les preuves 2 et 3 l’argument qu’il nomme « physico-théologique » – l’ordre interne au monde manifeste un créateur intelligent. Revenons sur la manière dont les auteurs exposent ces preuves.   La preuve par le big bang La théorie du big bang prouverait que Dieu existe. En effet, « tout ce qui a un début a un créateur »[3]  « Si l’univers a un commencement temporel, c’est aussi qu’il a une cause qui le précède… ».[4] L’entropie, qui indique la mort thermique de l’univers, le fond diffus cosmologique, qui valide la théorie du big bang, convergent vers ce fait du commencement de l’univers. Mais comment l’univers a-t-il pu commencer à partir de rien ? Il lui faut bien une cause. Dieu existe donc. De plus, on peut constater que cette thèse d’un univers qui a un début est une thèse qui a eu l’hostilité des savants athées et matérialistes, car elle accrédite l’idée de création ex nihilo présente dans la Genèse. Tout un chapitre de l’ouvrage – « le roman noir du Big bang » – est ainsi consacré à la persécution des tenants du big bang par les matérialistes et les régimes athées – en particulier communistes. C’est une véritable inquisition matérialiste qui est décrite ici par les auteurs. Que penser de cette preuve ? On peut relever deux erreurs principales. La première est de tenir la théorie du big bang pour une vérité absolue. Or, il s’agit d’une simple hypothèse, d’un modèle. Une théorie scientifique n’est pas une vérité absolue, c’est une hypothèse qui s’accorde pour un temps avec nos expériences, et qui demeure jusqu’à ce qu’une expérience nouvelle invite à la revisiter. Les auteurs semblent se représenter la science comme un ensemble homogène et en progrès, qui converge peu à peu vers la vérité en empilant des certitudes. Nous serions ainsi à l’aube d’une « révolution », puisque la science aurait à ce jour suffisamment avancé pour mettre en évidence des vérités fondamentales sur l’univers et la vie qui coïncideraient avec les données de la foi chrétienne. Le fait que la physique contemporaine soit tiraillée entre des modèles contradictoires – relativité générale et mécanique quantique –, le fait qu’il existe tout simplement des controverses – y compris au sein de la théorie du big bang, qui est en chantier et non achevée – qui font la vie de la science, échappe au regard des auteurs, qui se retranchent derrière la vision plus commode du progrès linéaire et des théories incontestables car prouvées. La seconde erreur, qui est sans doute le point clé de tout l’édifice, porte sur la confusion de trois concepts distincts. Celui d’un Créateur, celui d’un commencement de l’univers, et enfin celui du big bang. Pour les auteurs, ces concepts sont liés nécessairement. Poser l’un, c’est poser les deux autres. Exclure l’un, c’est exclure les deux autres. Pourtant, l’on peut très bien concevoir un Dieu créateur sans concevoir un commencement de l’univers. Ce sont deux problèmes distincts. Chez Thomas d’Aquin, il y a d’ailleurs cinq voies pour montrer l’existence de Dieu, mais il n’y aucun argument rationnel décisif pour démontrer un quelconque commencement du monde ; ce dernier est un article de foi. La création, chez Thomas d’Aquin, ce n’est pas le commencement, mais l’acte par lequel Dieu produit et tient tout étant au-dessus du néant. La création est donc actuelle, elle n’est pas un fait passé, et elle n’exclut pas l’idée d’un univers qui a toujours existé. Cette distinction du problème de l’existence de Dieu et du problème du commencement du monde est essentielle. En effet, puisque Dieu est présent ici et maintenant dans toute sa création, on doit pouvoir le retrouver ici et maintenant dans toute créature ; il n’y a pas besoin de chercher le fond diffus cosmologique, une fleur ou un caillou suffisent. La preuve de l’existence de Dieu n’appartient donc pas aux savants privilégiés avec leurs télescopes surpuissants. En d’autres termes, toute réalité créée pointe vers son Créateur. C’est le sens […]

Coups de cœur

  • Antoine Compagnon : Les Antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes, par

    Antoine Compagnon occupe la chaire de littérature française moderne et contemporaine au Collège de France ; il fut professeur à la Sorbonne et professeur de littérature française et comparée à l’université Columbia. Grand spécialiste de Montaigne, Baudelaire ou encore Proust, il allie la plus haute exigence universitaire à un naturel de transmission qui fit de son ouvrage Un été avec Montaigne, publication de ses chroniques radiophoniques, un succès d’édition rare. Il se distingue aussi en tant qu’écrivain. Les antimodernes – de Joseph de Maistre à Roland Barthes, paru une première fois en 2005, est une œuvre à l’image de l’histoire intellectuelle d’Antoine Compagnon : elle s’ouvre sur un portrait conceptuel et stylistique des antimodernes, ces écrivains et penseurs à la modernité ambivalente, ni réactionnaires ni franchement conservateurs, mais à la sensibilité subversive proche paradoxalement du révolutionnaire et s’imposant pourtant en contre (contre leur temps, contre le destin de l’Occident, contre les vainqueurs et les idées victorieuses, contre in fine le plat paradis du Bien), et l’œuvre se poursuit par un travail historique sur les grands Antimodernes, à l’image des travaux universitaires de l’auteur. Antoine Compagnon montre, dans une première partie de l’ouvrage (baptisée Les idées – les deux cents premières pages environ), qu’il y a six grands thèmes constants du courant antimoderne ayant émergé au lendemain de la Révolution. Dans une deuxième partie de l’ouvrage, l’étude d’Antoine Compagnon se centre sur les grandes figures de l’antimodernité (Les hommes): Chateaubriand, Joseph de Maistre, Bloy, Péguy, Benda, Barthes, etc. La première partie est d’une lecture enthousiasmante, les clés du système antimoderne et donc du système moderne sont dévoilées avec une clarté et une précision remarquables : Antoine Compagnon déploie un style sous influence et tout est formule frappante et bien balancée. La deuxième partie est plus universitaire dans son style, descendant dans l’histoire concrète et de détail, dans les œuvres et les pages précises, elle perd en densité, éclaire moins la scène de l’histoire politique et littéraire d’un jour nouveau, mais gagne peut-être en argumentation et précisions concrètes. Nous retenons, quant à nous, la première partie comme modèle de l’enthousiasme qui manque tant au savoir universitaire quand il s’écrit et à la pose scientifique ou encore à l’esprit de sérieux des intellectuels européens. Transmettre c’est emporter avec soi au sein de sa passion, c’est rendre affectif le savoir précis et rigoureux. Antoine Compagnon témoigne là de son génie professoral. L’auteur cherche à définir les constantes affectives, intellectuelles et rhétoriques de l’antimoderne. Présentons donc les six constantes qui caractérisent l’antimodernité : « Pour décrire la tradition antimoderne, une figure politique ou historique est d’abord indispensable : la contre-révolution. En deuxième lieu, il nous faut une figure philosophique : on songe naturellement aux anti-lumières, à l’hostilité contre les philosophes et la philosophie du XVIIIe. Puis il y aurait une figure morale ou existentielle, qualifiant le rapport de l’antimoderne au monde : le pessimisme […]. Contre-révolution, anti-lumière, pessimisme, ces trois premiers thèmes antimodernes sont liés à une pensée du monde inspirée par l’idée du mal. C’est pourquoi la quatrième figure de l’antimoderne doit être religieuse ou théologique ; or le péché originel fait partie du décor antimoderne habituel. En même temps, si l’antimoderne a de la valeur, s’il compose un canon littéraire, c’est parce qu’il définit une esthétique : le sublime. Enfin l’antimoderne a un ton, un style, une voix, un accent singulier ; on reconnaît le plus souvent l’antimoderne à son style. Aussi la sixième et dernière figure de l’antimoderne sera-t-elle une figure de style : quelque chose comme la vitupération ou l’imprécation. » A. L’événement-symbole fondateur : des révolutions et de leur prédestination L’événement inaugural qui ouvre la Modernité et qui n’est bien sûr qu’une vague précédée de lames de fond historiques et philosophiques, c’est la Révolution française. Ce que prétend initier la Révolution en son acte politique et symbolique, c’est avant tout la table rase du passé et cette table rase, même si, bien entendu, comme tout phénomène historique elle peut être replacée dans une tradition intellectuelle déjà bien ancrée (celle des Lumières) et dans une multitude d’événements français, américains, anglais, etc., institue bel et bien un monde nouveau et un homme nouveau. De la même manière, si ce monde et cet homme nouveaux sont déclarés, il faudra le temps plus long de l’histoire pour qu’ils adviennent véritablement et s’inscrivent eux aussi dans une tradition culturelle vieille de plusieurs siècles désormais et de milliers de grands hommes. Mais dans la crise révolutionnaire, son acte et sa symbolique, une rupture sans précédent est déclarée : l’homme est l’acteur de l’histoire et l’immanence égale et indifférenciée est son horizon. Ainsi, s’il y a toujours une tension entre la jeunesse qui a soif et croit dans l’innovation, et l’âge qui sait la force de ce que l’histoire et les ainés conservent, ou encore entre la tendance morale progressiste et la tendance morale conservatrice, désormais un monde nouveau est lancé, c’est la jeunesse qui a pris le pouvoir. La tension demeure mais elle n’est plus strictement la même, car un monde vient de gagner qui n’avait jamais gagné pleinement, une force qui était en contre prend le pouvoir et pose désormais l’autre force en contre. Antoine Compagnon cite Thibaudet : « les idées de droite, exclues de la politique, rejetées dans les lettres, s’y cantonnent, y militent, exercent par elles, tout de même, un contrôle, exactement comme les idées de gauche le faisaient dans les mêmes conditions au XVIIIe ou sous les régimes monarchiques du XIXe. » C’est bien sûr à gros traits que le portrait est dessiné, mais l’idée est là : certaines valeurs comme l’égalité et la haine de la hiérarchie, la haine de la violence des aristocrates et de l’aristocratie elle-même, ont désormais gagné et vont innerver toutes les idées et les valeurs à venir, rejetant hors de la scène les valeurs aristocrates habituelles. Hors de la scène dominante politique et morale, certes, mais pas philosophique et littéraire : continue de se discuter dans certaines œuvres ce qui au sein de la […]

Histoire de la philosophie

  • Matthieu Raffray : Métaphysique des relations chez Albert le Grand et Thomas d’Aquin, par

    Se procurer l’ouvrage    Métaphysique des relations chez Albert le Grand et Thomas d’Aquin de Matthieu Raffray est une étude aux multiples enjeux, qui dépasse le cadre que son titre semble lui imposer. En effet, de Thomas ni d’Albert il n’est question dans les 170 premières pages du livre ; la « métaphysique » dont il est question s’élabore essentiellement dans des œuvres théologiques ; les « relations » sont principalement les relations des personnes divines de la Trinité, et la relation de création entre le Créateur et les créatures. Cette étude est donc plus riche qu’elle ne semble, et les perspectives y sont multiples. Commençons par ce qui est tout de même le cœur de l’étude : la conception de la relation que se font les deux grands théologiens scolastiques, Albert puis Thomas. Matthieu Raffray les étudie principalement à partir de leur Commentaire des Sentences, qui permet leur comparaison – et donne une longue anthologie bilingue des principaux textes y traitant de la relation (pp.175-227). Sa thèse est que les deux théologiens s’inscrivent dans une ligne strictement aristotélicienne en posant le primat de la substance sur la relation. Plus exactement, ils développent la structure bipolaire du concept de relation : d’une part, l’être de la relation est son accidentalité et donc son inhérence dans la substance (esse-in) ; d’autre part, la raison formelle (ratio) est son rapport à autre chose (ad aliquid), son caractère extatique, son être-vers (esse-ad). « La distinction fondamentale entre la nature accidentelle et la caractéristique propre de tout accident se traduit dans le cas du relatif en une double nature, inesse et adesse, inhérence et relationalité » (p.308). Ces deux pôles doivent toujours être pensés conjointement, et le risque sera d’affirmer l’un des deux unilatéralement, en omettant l’autre. Il faut insister sur ceci que la relation n’a d’autre être que la substance dont elle est un accident. Elle ne doit pas être conçue comme une entité intermédiaire entre deux substances, elle ne préexiste aucunement aux termes qu’elle met en relation, mais elle dépend d’eux qui la précèdent. Pour Raffray, cela est le fait d’une stricte fidélité à l’analyse aristotélicienne de la relation comme accident de la substance : « il n’y a pas, finalement, écrit-il, dans la métaphysique de relations ; il n’y a que des êtres relatifs : car la relativité est toujours ontologiquement postérieure à la substance à laquelle elle est attribuée. » (p.52). Ainsi l’univers d’Albert le Grand est-il décrit comme « un univers aristotélicien, composé de substances qui entrent en relation, et non de relations qui composent les substances » (p.311). Plus encore, la relation se voit attribuée l’être le plus faible (ens debilissimum), qui n’a d’autre raison que le rapport à quelque chose. Mais cette imperfection ou cette « faiblesse ontologique » est aussi sa force : elle en fait le genre le plus analogique de l’être, attribuable à toute réalité. « L’ens debilissimum, puisqu’il ne dit qu’un rapport, est le seul qui puisse convenir comme tel à tout être, au sens le plus large de l’analogie, depuis ce qui n’a d’être que comme négation jusqu’à l’ens per se. » (p.396). « La relation, finalement, se donne comme le plus petit dénominateur commun à toute réalité, précisément parce qu’elle a l’être le plus faible, et le plus souple. Elle est partout, à l’intime de l’être. » (p.450). Cette métaphysique aristotélicienne des êtres relatifs est pleinement assumée par Thomas d’Aquin. Aussi son substantialisme, souvent critiqué, doit-il être compris à la lumière de cette relationalité qui n’en est certes pas l’être, mais une caractéristique importante. En de belles pages, Raffray plaide pour « une conception ouverte et dynamique de la substance. » Celle-ci n’est pas « une réalité close et statique, tournée vers elle-même et incapable de se situer par rapport à d’autres monades aveugles. Au contraire, la relation, parce qu’elle ordonne les substances, est le principe même d’ouverture et de communication de celles-ci. L’accident relatif, tout en demeurant inhérent à son sujet, détermine son regard vers les autres et vers le reste du monde. » (p.451). Il n’est de substance sans relation, sans rapport ni ordination à quelque chose d’autre ; mais réciproquement, il faut affirmer fermement, contre tous les « relationismes » qui revendiquent le primat ontologique de la relation, qu’il n’y a de relation sans substance, en laquelle elle inhère. Voici pour la métaphysique des relations, ou plutôt des êtres relatifs, que Thomas et Albert bâtissent – pour des motifs et à des fins théologiques, comme on le verra par la suite. Il reste que cette perspective aristotélicienne fut souvent contestée et critiquée. Défendre la thèse aristotélicienne de la relation suppose de rendre compte de l’autre conception et d’en montrer l’insuffisance. Raffray la nomme « tentation platonicienne » et la décrit par le fait de « nier le caractère d’inhérence des êtres relatifs, donc le primat de la substance » et de concevoir la relation « comme un absolu, comme une forme séparée, ou comme une hypostase, un milieu entre deux sujets ». Opposé au substantialisme, tel est le « relationisme », dont le principe est la « susbtantialisation de la relation » (p.458). On fait de la relation une entité intermédiaire préexistant aux termes qu’elle constitue et met en relation. Pour reprendre la terminologie scolastique, l’accent y est mis sur le caractère extatique, l’esse-ad de la relation, au détriment de l’accidentialité ou esse-in. Le rapport entre les substances se trouve doué d’un certain être, au lieu de n’être que relatif à elles. Selon cette thèse, les relations subsistent par elles-mêmes, à l’instar des Idées platoniciennes, et les sujets concrets relatifs participent de ces relations idéales substantialisées. Raffray retrace la genèse de cette substantialisation de la relation, qui est moins platonicienne, que néoplatonicienne. Ainsi, un Porphyre écrira que « les relatifs sont la relation mutuelle des sujets, non les sujets eux-mêmes » et que « la relation qui permet l’existence des relatifs est une sorte de milieu entre les sujets » (cité p.64). « Les néoplatoniciens affirment que la relation est une entité réelle, qui existe en dehors des termes de la relation. » (p.64). Dans sa minutieuse analyse de l’histoire antique et surtout tardo-antique puis patristique du concept de relation, Raffray note l’éclipse de la véritable thèse aristotélicienne de l’accidentalité de la […]

Actualité éditoriale des rédacteurs

  • Raoul Moati : Sartre et le mystère en pleine lumière (partie II), par

    La première partie de la recension se trouve à cette adresse. D : L’inertie des significations et du langage On peut certes questionner ce sens de fondement absolu donné au projet dans l’Être et Néant. Par exemple : le projet conditionne-t-il vraiment l’affectivité ? Ne peut-on pas contre Sartre et avec Henry ou Richir distinguer plusieurs niveaux dans la compréhension de l’affectivité (l’affectivité, l’émotion, le sentiment[1]) ? Considérer que le projet lui-même se déploie au sein d’une opacité plus profonde du rapport de soi à soi ? Est-il à ce point unifié, affirmé, marqué ? Le terme de projet est-il finalement nécessaire ? Suis-je une recherche ? Une question ? Une surprise ? Un rythme que j’impulse aux formes que j’emprunte ou un vide, un écho qui les traverse, y instille des processus de métamorphoses qui me sont opaques ? Ces objections – plus tard adressées à Sartre par une philosophie française (Derrida, Deleuze, Foucault) cherchant à penser une singularité plus incertaine, furtive et tremblante – sont d’une autre manière assumées dans l’évolution de l’œuvre du philosophe, en particulier dans la Critique de la raison dialectique[2]. Sartre prend conscience de l’inertie non seulement des choses mais des significations et du langage avec tout ce qu’il comporte de pensée pré-organisée (ce que Flaubert appelle la bêtise). Pour prendre les termes de Moati, le langage est idéal, mais le discours n’en est pas moins une réalité, qui parle parfois sans moi dans ce que je dis, plus fort que moi. Le pratico-inerte[3] exerce des effets de retour sur le projet qui cherche à le dépasser et peut le faire dévier.  Les mots que j’emploie finissent par me leurrer sur ce que je poursuivais, voire à transformer mon projet. Plus profondément, la liberté n’est donc pas souveraine et s’arrache toujours sur fond d’un pratico-inerte qui risque de la dévorer de l’intérieur. Dans cette même perspective, Sartre prend par ailleurs à travers la psychologie connaissance d’altérations possibles de la liberté elle-même, de pathologie affectant la possibilité même de l’être dans le monde, les modes d’attachement, d’implication de la conscience au monde. La question n’est donc plus celle d’une liberté absolue mais d’une individuation[4]. De la façon dont la liberté peut se regagner elle-même sur fond de tout ce qui la menace et la travaille. De ce que je peux faire de ce qu’on a fait de moi, et pourquoi pas, de la façon dont ce qu’on fait de moi me permet de trouver d’autres sens de mon projet. E : La psychanalyse existentielle Ces évolutions donnent peut-être aussi un sens plus concret à la psychanalyse existentielle et à ce qu’elle peut apporter. Mais il faut pour cela d’abord revenir à la description qu’en fait Sartre. En quelle mesure parler de psychanalyse, comment comprendre le passage par l’intervention d’un tiers, s’il n’y a pas d’inconscient auquel un autre devrait donner sens ? Le point est que le projet est certes vécu dans la translucidité mais par la même non connu. Je me vis comme projet mais ne peux sortir de cette adhérence pour comprendre la façon dont le projet conditionne mes actes, sous-tend et module toute ma relation au monde. Sans l’intervention d’autrui, il ne m’est donc pas possible de sortir du prisme que projette le projet sur le connaître. Mais à quelle méthode peut bien recourir l’analyste ? Le postulat de Sartre est chargé. Le projet fondamental, rappelle-t-il, est bien la modalité première et unique selon laquelle mon existence est donnée à elle-même. Il marque toutes mes actions, toutes les manifestations de moi, de la manière dont je vis mon corps. Il constitue ma signature dans le monde, mon style, la modulation que j’apporte aux formes que je revêts, la vibration que j’impulse à mes habitus, l’empreinte dont mon existence marque l’en soi. Il signe donc aussi mon attitude empirique et peut en quelque sorte être lu de manière régressive à partir d’elle, à partir de ce que manifestent ma gestuelle, les inflexions de la parole, ma tenue, etc. Celles-ci peuvent guider le « psychanalyste » dans la recherche du thème commun que mes différentes activités « symbolisent ». Si un patient souffre de troubles d’identification, pourquoi s’identifie-t-il précisément à Napoléon plutôt qu’à César, et un certain aspect de la vie de Napoléon? L’autre question évidemment est celle du but de cette psychanalyse. Quelle guérison ? Ce ne peut pas être de ne plus souffrir (la souffrance et la réceptivité à la souffrance est liée au projet) mais plutôt de se libérer du projet. Là encore, on pourra trouver un peu dramatique la façon dont Sartre fait d’un instant décisif de facture très kierkegaardienne la modalité de la « conversion » plutôt que d’ouvrir l’effectivité de la psychanalyse existentielle à un travail plus progressif de latences. Mais la façon dont est conçu le projet existentiel laisse peu de place aux transformations subtiles. On pourra se demander au nom de quoi inviter à cette transformation, de quel critère. Sartre qui est décidément un insupportable sophiste pense que sa charlatanerie permettra de se libérer de projets fondamentaux faisant de la mauvaise foi leur structure cardinale et de discriminer parmi nos attitudes fondamentales celles qui peuvent s’accommoder de l’authenticité. La psychanalyse existentielle que Sartre tente au sujet de Flaubert récuse l’interprétation marxiste paresseuse faisant de celui-ci[5] un réaliste bourgeois banal (n’importe quel bourgeois n’est pas Flaubert). Mais plutôt que de comprendre l’œuvre de Flaubert comme l’expression d’un projet unique, elle tente d’analyser la façon dont Flaubert tout au long de sa vie ne cesse de se réapproprier les contraintes qui font sortir ce projet de ses gonds. Un thème la traverse certes : celui de l’irréalité. Flaubert n’a pas de place à prendre. Il souffre de n’être rien de déterminé, de son irréalité, de son manque à être, et choisi de l’assumer, de le revendiquer, d’abord en voulant être comédien. Elle répond à sa désunité intime mais l’expose à de nouvelles contraintes, liées à la structure même du monde littéraire. Flaubert déteste le réalisme, mais ne cesse non plus d’être hanté par la banalité quotidienne au sein de laquelle il devra injecter sa trace, son style comme […]

Le livre par l’auteur

  • Françoise Pochon-Wesolek : Descartes, penseur pré-critique ou platonicien ?, par

    Dans le prolongement de notre précédent livre, Descartes à la lumière de l’évidence mentionné ici, nous continuons à interroger différents commentateurs de la pensée de Descartes, et plus particulièrement Jean-Luc Marion, au crible du rôle central qu’occupe selon nous dans sa pensée l’expérience intellectuelle de l’évidence, à distinguer radicalement de la certitude. Nous prenons ainsi nos distances avec les interprétations, qui y voient une onto-théologie ou qui surévaluent le rôle de l’ego en le transformant en un Je transcendantal à la manière kantienne. Au contraire il nous semble que certains rapprochements avec la philosophie de Platon peuvent éclairer d’un nouveau jour la recherche cartésienne de la vérité. I : Le cogito, l’ego, la substance pensante Le cogito et la formule « pour penser, il faut être » Notre thèse est que l’expérience du cogito n’est pas le fruit d’un quelconque raisonnement, mais une évidence qui correspond à l’impossibilité absolue d’affirmer que je n’existe pas au moment même où je suis conscient de penser. Nous ne suivons donc pas Martial Gueroult, lorsque, dans son Descartes selon l’ordre des raisons, il affirme que le cogito est conditionné par le principe « pour penser, il faut être ». Ce principe selon lui permettrait au cogito de ne pas être une simple observation psychologique personnelle et lui permettrait ainsi d’accéder à l’universalité. Or c’est l’évidence qui par elle seule donne une nécessité absolue au cogito au moment même où il est vécu. On peut considérer au contraire ce principe « pour penser, il faut être » comme une « nature simple commune » sous-jacente à des raisonnements, mais qui n’intervient pas en tant que telle dans l’évidence du cogito. Loin que le cogito se déduise de cette assertion générale, c’est plutôt à partir de lui qu’elle s’explicite. De plus, contrairement à ce que soutient Martial Guéroult, elle n’a aucun statut particulier, qui lui permettrait d’échapper au doute par opposition aux autres « natures simples ». Toutes les « natures simples », de même que l’expérience du cogito, échappent au doute, quand l’esprit les considère attentivement, et redeviennent douteuses si l’esprit s’en détache. Seule la découverte du Dieu pourra garantir la pérennité de toutes ces vérités. Dans cette perspective nous nous opposons également à Ferdinand Alquié, qui distingue dans La découverte métaphysique de l’homme chez Descartes le cogito « logique » du Discours de la Méthode du cogito « existentiel » des Méditations. Peut-on parler d’inconscient psychique ? Tout d’abord il faut s’interroger sur le type de conscience qui accompagne l’expérience du cogito. Celle-ci nécessite une conscience aiguë du caractère indubitable de ce qui est alors vécu. Cependant un savoir inné est sous-jacent à cette expérience, comme celui du sens du mot « exister », sans qu’il soit nécessairement explicite et donc conscient. D’autre part il ne saurait s’agir dans le cogito d’une conscience réflexive, saisissant objectivement le je comme un moi, puisque le cogito n’a de sens que s’il se révèle à lui-même comme sujet. Il faut remarquer à ce propos que Descartes donne un sens particulier au concept de « réflexion », qu’il utilise pour distinguer une mémoire consciente d’une mémoire inconsciente. Elle est à l’œuvre dans la première, comme conscience capable de « sentir » qu’elle pense, quand elle perçoit, et bien entendu quand elle pense quoi que ce soit, et elle est également capable de se situer dans le temps. C’est la « réflexion » en ce dernier sens qui accompagne le cogito. Que faut-il maintenant penser à propos de la substance pensante, dont Descartes affirme qu’elle pense toujours. Est-ce à dire qu’il faille l’assimiler à la conscience, niant ainsi qu’il puisse exister un inconscient psychique pour Descartes ? Tout d’abord il faut remarquer que Descartes n’affirme jamais que le cogito puisse nous donner une connaissance entière de ce que nous sommes. D’autre part même si toutes nos pensées déterminées sont accompagnées de conscience, cela n’implique pas que toute notre pensée, en tant qu’activité de penser soit consciente. Descartes évoque à ce sujet toutes les pensées que nous avons eues avant notre naissance ou que nous avons en dormant et dont nous n’avons aucun souvenir. La res cogitans pense toujours, mais ceci n’implique pas que telle ou telle faculté soit à l’œuvre pour actualiser consciemment telle ou telle pensée. Ainsi on peut même dire que les idées innées sont des pensées non conscientes, tant qu’elles ne sont pas découvertes par l’esprit y étant attentif. Enfin l’esprit ne peut être conscient que d’une partie très limitée des pensées qui l’habitent, dans la mesure où l’attention, par l’étroitesse de son champ, ne peut se porter que sur peu de pensées à la fois. L’ego principe ou fondement ? L’interprétation de la philosophie cartésienne par Jean-Luc Marion est assez bien résumée dans cette citation de son livre Sur le prisme métaphysique de Descartes : « la primauté passe, ici, résolument de l’étant premier (à connaître) à la connaissance elle-même (éventuellement fixée en un étant) ; inversement, l’étant comme tel (et même comme premier) disparaît. » Selon nous, loin de partir de principes abstraits et transcendantaux qui permettraient de connaître et imposeraient leur ordre, Descartes commence par des réalités qu’on pourra connaître avant les autres, parce qu’effectivement il y a un ordre de la découverte. Et cet ordre est imposé par les choses mêmes qui se donnent dans l’intuition à l’esprit qui les découvre, ordre qui peut justement correspondre à l’articulation ontologique de ces existences mêmes devenues évidentes, comme dans le cas du rapport de l’ego à Dieu. C’est uniquement en ce sens qu’on peut dire que l’ego est premier. On ne peut pas dire non plus que Descartes se détourne de la pensée de l’esse, puisque c’est la question concernant le degré d’être de cet ego, et son imperfection vécue dans l’expérience du cogito, qui va permettre d’ouvrir la question de l’esse dans sa perfection et permettre de découvrir ainsi l’Être par excellence qu’est Dieu. Contrairement aux « notions communes » qui par leur évidence et leur « généralité » peuvent servir de […]

La philosophie politique

  • Cohen-Levinas, D., de Launay, M., and Sfez, G. (eds.) : Leo Strauss, judaïsme et philosophie, par

    Se procurer l’ouvrage   Leo Strauss, la « question juive », et le problème théologico-politique.   Si Leo Strauss doit une part de sa renommée à la redécouverte de la pertinence et de l’actualité de la pensée politique prémoderne, il n’a eu de cesse de présenter ce « rationalisme grec » (ou « classique », suivant l’usage anglais) accompagné de son « autre », de son alternative fondamentale, la Révélation hébraïque. L’alternative fondamentale au rationalisme ancien n’est pas le rationalisme moderne car celui-ci ne serait qu’une des réponses possibles à cette problématique plus radicale du face-à-face entre la Raison et la Révélation en tant que telles ; de même, la Révélation abrahamique en toute sa pureté telle que Leo Strauss le conçoit est nécessairement hébraïque, puisque le Christianisme est lui aussi, à ses yeux, déjà une tentative de synthèse des deux pôles (il n’en va pas forcément de même pour l’Islam, qui se présente à maints égards, aux yeux de Strauss, comme une sorte d’ersatz du judaïsme).  Toute sa pensée a été d’une certaine manière une réactivation de la question posée par Socrate à Ménon : « qu’est-ce que la vertu ? », la question fondamentale que pose la philosophie politique, équivalent classique de la question kantienne « que dois-je faire ? », mais dont la modernité aurait escamoté les deux sources, grecque et juive, pourtant irréductiblement opposées l’une à l’autre : [S]i nous cherchons la réponse [à la question de savoir ce qu’est la vertu] la plus élaborée et la moins ambiguë à cette question vraiment vitale, nous nous tournerons vers l’Ethique d’Aristote. Nous y lisons entre autres choses qu’il existe une vertu de haut rang appelée la magnanimité – l’habitude de prétendre à de grands honneurs pour soi-même accompagnée de la compréhension que l’on en est digne. Nous y lisons également que le sens de la honte n’est pas une vertu : le sens de la honte convient aux jeunes gens qui, à cause de leur immaturité, ne peuvent éviter de se tromper, mais non aux hommes mûrs et bien-élevés qui font toujours purement et simplement la chose juste et appropriée. Si merveilleux que soit tout cela – un message fort différent nous est parvenu d’une source très différente. Lorsque le prophète Isaïe éprouva sa vocation, il fut submergé par le sentiment de son indignité : « je suis un homme aux lèvres souillées au sein d’un peuple aux lèvres souillées. » Cela revient à une condamnation implicite de la magnanimité et à une défense implicite du sentiment de la honte. La raison en est donnée dans le contexte : « Saint, saint, saint est le seigneur des armées ». Il n’y a pas de dieu saint pour Aristote et en général pour les Grecs. Qui a raison, les Grecs ou les Juifs ? Athènes ou Jérusalem ? Et comment procéder pour découvrir qui a raison ? Ne devons-nous pas admettre que la sagesse humaine est incapable de résoudre cette question et que toute réponse se fonde sur un acte de foi ? Mais est-ce que cela ne reviendrait pas à la défaite totale et ultime d’Athènes ? Car une philosophie fondée sur la foi n’est plus une philosophie. Peut-être fût-ce ce conflit irrésolu qui empêcha la pensée occidentale de se tenir jamais en repos.[1] La réponse à la question fondamentale de toute philosophie pratique : « comment faut-il vivre ? » avec son corrélat théorique, « qu’est-ce que la vie bonne ? », est donc subordonnée, aux yeux de L. Strauss, à celle qu’on voit énoncée à travers cette alternative : « Qui a raison, les Grecs ou les Juifs ? ». Cette question épistémico-existentielle, qui traverse toute l’œuvre straussienne de façon tantôt explicite, tantôt implicite, est proprement constitutive des limites de la connaissance que l’homme peut avoir de sa nature, de sa situation et de son destin. Mais, si la métonymie « Jérusalem », dans cette alternative, signifie toute la tradition révélée abrahamique, elle désigne en tout premier lieu non seulement la révélation judaïque originaire, mais aussi par extension le peuple lui-même à travers lequel cette révélation a été faite. Ce qui rend ce peule en lui-même le symbole ou même l’incarnation historique concrète de la première des deux options dans l’alternative fondamentale, aux yeux de L. Strauss, mais aussi ce qui rend ce peuple pris ensemble avec les autres peuples et dans ses relations avec eux le signe de cette alternative gnoséologico-politque fondamentale dans son ensemble. Voilà donc pourquoi le « problème juif », ou la « question juive », a été pour Strauss à son tour une métonymie pour le problème théologico-politique en général. Que cela soit du point de vue autobiographique ou du point de vue proprement conceptuel, donc, la « question juive » a été pour L. Strauss un, sinon le point d’entrée vers sa problématique principale, la querelle des Anciens et de Modernes et le problème théologico-politique. L’idée même de l’existence du peuple juif en tant que « peuple élu » est une extension de l’idée de la validité de la Révélation, et la place de ce peuple à la fois parmi les nations (« goyim ») et dans la modernité est l’objet de la « question juive », qui est donc une extension de la question théologico-politique dans son universalité. Cette « question » se pose en amont de ses multiples « réponses » possibles : théocratique/juive orthodoxe, chrétienne, libérale/républicaine-assimilationniste, antisémite, sioniste, etc. Strauss retrace et reconstitue ce point d’entrée et son rapport à cette question (la question juive en particulier et la question théologico-politique plus largement) dans sa fameuse « Préface » de 1962 à la traduction anglaise de son premier livre, Spinozas Religionskritik (1930), qui est une véritable autobiographie intellectuelle. C’est cette même année qu’il donna sa conférence « Pourquoi nous restons juifs » à l’association des étudiants juifs de l’Université de Chicago. Celle-ci est la plus concrètement politique et le plus frontal de ses traitements de la question. Elle est aussi l’une des analyses les plus abouties et cohérentes de la condition du peuple juif dans le monde moderne et donc de la question juive, et aussi, en passant, le plaidoyer le plus conséquent en faveur de la solution sioniste à cette question. « Pourquoi nous restons juifs » – Strauss, le problème juif et le sionisme. Qu’est-ce que la « question juive » (ou le « problème juif ») selon Strauss ? Celle […]

La philosophie dans tous ses états

  • Colloque : L’œuvre de François Roustang, par

    20 et 21 mars 2020   Université de Paris – IHSS – Centre d’études du Vivant Amphi Buffon – 15 rue Hélène Brion – 75013 PARIS   Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles Inscriptions : centre_etudes_du_vivant@univ-paris-diderot.fr   François Roustang fut-il l’homme des multiples ruptures que ses biographes décrivent à l’envi, ou bien plutôt l’homme d’une exigence unique et constante : formuler et ciseler, par une écriture classique et paradoxale à la fois, une dimension de l’expérience humaine presque insaisissable du fait de sa présence, constante elle aussi, dans le maillage des relations qui nous font « vivants », pour reprendre un terme qu’il affectionnait ? François Roustang a traversé bien des pratiques et bien des contextes de pensée. Ces traversées lui donnaient une acuité nouvelle pour approcher les relations qui font que la vie se fige ou qu’elle supporte au contraire les paradoxes dont elle tient sa densité. Il se demandait si et comment les sciences contemporaines du vivant confirment les intuitions des psychiatres et des philosophes du dix-neuvième siècle. Il connaissait la multiplicité des méthodes thérapeutiques qu’il confrontait à l’hypnose : l’École du paradoxe, la psychologie systémique, la psychanalyse, la pensée chinoise. De même il fréquentait assidûment les philosophes occidentaux, qu’il s’agît du Socrate de Xénophon et de Platon, de Hegel, de Husserl, de Wittgenstein. Il avait aussi appris l’espagnol en traduisant Ignace de Loyola. Pour faire œuvre écrite, il avait besoin aussi de s’entourer d’œuvres picturales et de lire constamment des textes littéraires : Casanova, Faulkner, Michaux. Le colloque « L’œuvre de François Roustang » explorera ces conditions de l’œuvre. Vendredi 20 mars 2020 INTRODUCTION Jean-Claude Ameisen, directeur du Centre d’études du vivant Qu’est-ce que l’hypnose ? Portraits de François Roustang thérapeute     9h30 > 13h   Françoise Cibiel, psychothérapeute et éditrice, La disjonction Sylvie Lepelletier-Beaufond, médecin-hypnothérapeute, « Il ne s’agit plus de moi. » François Roustang écologue Nuria Bonvin-Mullor, psychiatre et psychothérapeute de liaison, Hôpital du Valais, Apprendre à désapprendre d’apprendre Jean-Marc Benhaiem, directeur du Diplôme universitaire d’hypnose médicale, Université Paris 6, La pratique de François Roustang     14h30 > 18h   Jean-François Billeter, sinologue, professeur honoraire de la Faculté des lettres, Université de Genève, Roustang et la Chine Vincent Descombes, philosophe, EHESS, Mes conversations avec François Roustang Monique David Ménard, Directrice de recherches honoraire, Université Paris Diderot, Mes combats avec la pensée de François Roustang Clément Rosenthal, artiste, Portraits de François   Samedi 21 mars 2020     9h30 > 12h30   Isabelle Alfandary, présidente du Collège international de philosophie et Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle, Lecture d’Influence Ali Benmakhlouf, philosophe, Paris Est-Créteil, Institut Universitaire de France, Les vérités socratiques de François Roustang Jacques Donzelot, sociologue, Université de Nanterre Paris-Lumière, Le Socrate de François Roustang et celui de Michel Foucault     14h > 18h   Pascal Nouvel, philosophe, Université de Tours et Centre d’études du vivant, Du magnétisme animal à l’hypnose. Chronique d’une querelle philosophique Marcus Coelen, psychanalyse et médecine, Columbia University et Faculté de médecine La Charité, Berlin, « …or, cela se pense ». Hypnose et psychanalyse Éric Bonvin, psychiatre-psychothérapeute, directeur général de l’Hôpital du Valais et Faculté de biologie et médecine, Université de Lausanne, Du corps animé à être vivant   COMITÉ D’ORGANISATION Jean Claude Ameisen, Ali Benmakhlouf, Monique Chemillier-Gendreau, Monique David-Ménard, Pascal Nouvel

Regards croisés

  • Olivier Rey : Leurre et malheur du transhumanisme, par

    Le mouvement transhumaniste a semble-t-il, malgré le déluge de critique qui s’abat sur lui un peu partout dans le monde et notamment en France dans le champ intellectuel, au moins la vertu de redonner une sorte de second souffle à certains discours en perte de vitesse. Ainsi, en va-t-il apparemment du discours religieux et singulièrement chrétien dans notre pays de même que de la pensée communiste et marxiste en général. Le transhumanisme paraît agir sur eux de la même manière que sur ce personnage grabataire décrit par Saint-Simon ; l’annonce que des vues contraires aux siennes commençaient à se répandre dans tout Paris eut l’effet de le remettre sur pied en quelques heures, redonnant au mourant de la veille une énergie renouvelée qui faisait crier au miracle ses partisans, dont la plupart l’imaginaient déjà mort et enterré. Ainsi les universités catholiques et autres Collèges des Bernardins multiplient-ils ces derniers temps comme des petits pains les congrès et séminaires consacrés au transhumanisme, de même que les penseurs marxisant montent avec virulence au créneau pour dénoncer cet ultime avatar du capitalisme qu’il incarnerait. Si l’on ajoute à ces deux courants de pensée le courant plus marginal, mais non dépourvu de dignité, des amateurs de chasse, pêche et autres traditions tauromachiques défendu brillamment par Francis Wolff[On peut consulter un entretien à [cette adresse.[/efn_note] on a fait à peu près le tour des idéaux pour lesquels la confrontation aux thèses transhumanistes semble faire l’effet d’une deuxième jeunesse. C’est précisément dans ce sillon du christianisme requinqué par le transhumanisme que s’inscrit la parution récente, parmi de nombreuses autres du même tonneau, du livre du « philosophe-mathématicien » Olivier Rey intitulé Leurre et malheur du transhumanisme[Olivier Rey, Leurre et malheur du transhumanisme, Desclée De Brouwer, 2018[/efn_note]. En moins de 180 courtes pages, le chercheur au CNRS assène ce qu’il faut bien considérer comme son « avis » à propos du transhumanisme. Après qu’un commentaire plutôt élogieux et partisan en eut été publié [sur ce site-même, il m’a semblé qu’un regard un peu moins enthousiaste pouvait être porté à son sujet, afin en quelque sorte d’équilibrer le jugement. L’ingénieur critique de la mesure Olivier Rey, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, incarne de toute évidence à merveille, dans le très actuel champ intellectuel catholique le rôle sur mesure du penseur brillamment à contre-emploi. De la même manière qu’il y a des médecins célèbres pour critiquer les excès de la médecine, ou d’anciens adeptes des jeux d’argent intraitables dans leurs propos sur les ravages de l’addiction, Olivier Rey campe avec brio le rôle du Polytechnicien de formation dénonçant à présent, en quasiment toute chose, la place excessive accordée à la mesure et au calcul. On ne saurait, comme on le voit, trouver posture intellectuelle plus avantageuse. Quand je dis que la pensée de Rey s’inscrit dans le cadre du christianisme envisageant le transhumanisme, je veux dire que l’on se rend compte assez vite que son ouvrage ne fait que mettre en lumière et expliciter les principaux points de désaccord qu’une certaine conception religieuse peut opposer au transhumanisme. Tout au plus Rey se contente-t-il de rajouter quelques points de vue plus personnels, mais on ne peut pas dire qu’il y ait une véritable originalité dans son propos. Maints ouvrages écrits par d’autres penseurs chrétiens ces derniers temps constituent de semblables variations sur le même thème. Leur force principale est toujours la même : pointer du doigt avec acuité une certaine « démesure » liée à la pensée transhumaniste, tout en faisant valoir à rebours la dimension de finitude humaine que mettrait en avant le christianisme, insistant sur la dimension blessée de la nature humaine et le caractère vain et orgueilleux de vouloir la « réparer ». Et leurs défauts principaux sont également tous les mêmes, avec quelques variantes : la plupart des penseurs chrétiens se contentent de donner un point de vue chrétien sur le transhumanisme en ne prêtant strictement aucune attention aux arguments que les penseurs transhumanistes ont pu eux-mêmes mettre en avant, en ne prenant jamais la peine élémentaire de discuter pied à pied leurs argumentations. A cet égard l’ouvrage de Rey est sans doute plus calamiteux encore que bien d’autres puisqu’il ne cite par exemple jamais le désormais classique From Chance to Choice d’Allen Buchanan, qui constitue pourtant un des foyers argumentatifs les plus connus et puissants en faveur du transhumanisme. Rey, la plupart du temps, en guise d’analyse des penseurs transhumanistes se contente de citer quelques « techno-prophètes » comme Ray Kurzweil ou le désormais incontournable Laurent Alexandre, au sujet desquels de nombreux transhumanistes appellent pourtant à prendre avec grande distance les propos. Mais il est évidemment plus facile de citer quelques déclarations tonitruantes et controversées de personnages singuliers, plutôt que de se confronter aux pensées construites de ceux, plus sérieux et moins tapageurs, que l’on n’a tout bonnement pas pris la peine de lire. La pensée de Rey est en somme sur bien des points comparable à une critique chrétienne du marxisme qui, dans les années 80, se serait contentée de citer quelques propos fracassants de Georges Marchais pour discréditer à bon compte et sans trop d’efforts l’idéal opposé du communisme. Argumentation faible De manière générale, le défaut majeur de ces ouvrages rédigés par les penseurs chrétiens contemporains tient à la grande facilité avec laquelle eux-mêmes réussissent à pointer du doigt les contradictions et faiblesses théoriques de la pensée adverse tout en restant bien malencontreusement aveugles à discerner les leurs propres. Or, ce genre de faiblesse est très vite décelable. Rey en fournit un exemple saisissant, dès le premier chapitre de son livre, lorsqu’il compare l’argumentation transhumaniste à la célèbre métaphore de Freud : « Un homme qui a prêté un chaudron se plaint, après avoir récupéré son bien, d’y découvrir un trou. Pour sa défense, l’emprunteur prétend premièrement qu’il a rendu le chaudron intact, deuxièmement que le chaudron était déjà percé quand il l’a emprunté, troisièmement qu’il n’a jamais emprunté de chaudron. Chacune de ses justifications, prises isolément, serait recevable, mais […]