Hommage : Alasdair McIntyre

Alexandre le Grand
Un philosophe chrétien d’envergure est décédé le 21 mai dernier : Alexandre – Alasdair en gaëlique – McIntyre. On ne peut dire que son influence ait été décisive en France, sans doute à cause de l’enracinement profond de ses premiers ouvrages dans la « nouvelle gauche » britannique des années 1950 et du contexte tachérien de ses best sellers. So british ! : un style narratif un peu étrange à nos yeux de français, des problématiques anti-libérales caractéristiques d’un ancien marxiste, des références ésotériques à Aristote et saint Thomas dans le domaine de la philosophie politique… Il mangerait du Haggis, de la panse farcie, que cela ne nous étonnerait pas.
Wikipedia fournit tout ce qu’il faut savoir sur cet auteur qui, soit dit en passant, est parvenu à devenir côté anglo-saxon l’une des plus éminentes figures de la philosophie sociale et morale du XXe siècle. Alexandre McIntyre est un grand penseur, dont je ne voudrais souligner ici qu’un seul aspect.
Ce philosophe a cherché, c’est le point de départ, à éviter le relativisme moral dans lequel nous laisse le libéralisme individualiste pour quoi chacun fait ce qui lui plaît. À défaut d’un « bien commun », McIntyre a montré qu’il était possible de fédérer des communautés d’action autour de « biens internes » qui soudent, par leur pratique collective, ce qui ne serait sinon que des agrégats d’individus cherchant chacun leur intérêt. Une association saint Vincent de Paul a sans doute pour bien externe d’occuper le temps des retraités qui s’y retrouvent, mais enfin il y a une « vertu » réelle dans l’action communautaire qui tend à une fin interne : aider les pauvres. Un club de foot peur avoir des biens externes (sauver les mamans de la présence encombrante de papas désoeuvrés), mais il y a vertu à ce que cette communauté d’hommes vise un bien interne : faire réussir une équipe. Les « traditions » à chaque fois particulières de ces communautés sont le contexte moral de ces communautés vertueuses : l’objet social de l’association, l’histoire du club et les règles du foot.
Certes, c’est un peu léger comme digue face au relativisme moral : la vertu comme visée communautaire de biens internes… mais enfin c’est mieux que rien. Pour la petite histoire McIntyre est proche d’autres penseurs dits « communautariens » (Charles Taylor par exemple) ; on l’a souvent opposé à des penseurs qui ont plutôt cherché à sauver le libéralisme de l’intérieur (Rawls jadis, Munk aujourd’hui). Les catholiques américains qui aujourd’hui, tel Rob Dreher, en appelent à un recentrement des communautés chrétiennes sur elles-mêmes, par un « pari bénédictin », pourraient bien constituer une illustration intéressante de ce que McIntyre a voulu dire. Avec toutes les limites qui vont avec : le bien commun s’éloigne, le bien communautaire devient la limite de l’exercice moral.
Mais le point que je veux souligner n’est pas dans ce résumé express et totalement caricatural de la pensée de McIntyre. Ce qui est le plus passionnant tient au côté mobile du personnage.
McIntyre partage en effet avec Schelling une particularité : tout au long de sa carrière, il n’a cessé de changer, d’évoluer, parfois même de changer de camp. De Marx à Saint Thomas, de l’athéisme au catholicisme, il a chaussé des bottes de sept lieux. Notre géant est protéiforme, liquide, mouvant. Cela rendait les choses pénibles pour un lecteur, qui ne savaient jamais si l’ouvrage qu’il venait de faire paraître ne serait pas remplacé par un autre qui dirait le contraire.
Mais aussi – et ce sera l’hommage final – cela nous dit quelque chose du grand penseur qu’a été Alexandre. Pas de formalisme. Un esprit aux aguets. Une véritable curiosité pour ce qui est plus grand, plus vrai, plus beau. Cela n’a jamais été de la versatilité mais au contraire une forme de disponibilité intérieure exemplaire.
A l’heure où, partout, des tendances scolastiques se manifestent, McIntyre a, je crois, d’abord pour nous cette vertu et ce bien interne de nous faire voir, avec force, combien l’esprit souffle où il veut et à quel point la vérité est toujours, comme Dieu, plus grande.

(Ce texte fut initialement rédigé, par son président, pour l’Association des philosophes chrétiens.)

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