La magie, au sens de l’illusionnisme, n’avait jamais fait jusqu’à présent l’objet d’une étude philosophique. Le livre de Rémi David (né en 1984) intitulé tout simplement Philosophie de la magie1 est d’autant plus intéressant que l’auteur est lui-même illusionniste, qu’il pratique la magie et connaît son histoire. Quoi de mieux qu’un magicien qui essaie de penser son geste pour tenter de comprendre cette étrange pratique objet d’une fascination universelle ? De fait, on ne détourne jamais les yeux, quel que soit notre âge, si l’on tombe sur un spectacle de magie, on est surpris, charmés, étonnés. Mais pourquoi ?
« La magie, écrit Michel Onfray, est une théologie : elle fait apparaître des erreurs et disparaître des vérités ; elle fait croire vrai ce qui est faux, et faux ce qui est vrai ; elle montre ce qu’il faut cacher et cache ce qu’il faut montrer ; elle fait du vrai avec du faux et du faux avec du vrai ; elle met dans la lumière ce qui est dans l’obscurité et dans l’obscurité ce qui est dans la lumière. En un mot : elle ment, mais c’est sa façon à elle de dire la vérité. Ou bien alors, et c’est la même chose : elle dit la vérité, mais c’est sa façon de mentir » (Préface, 9).
Au cœur de l’illusionnisme se trouve donc des questions philosophiques essentielles, liés à la question de l’illusion, de la perception, de la croyance, du réel, ou encore du vrai et du faux. La magie semble une voie d’accès privilégiée pour nous placer au cœur de tous ces thèmes. Dans sa brève introduction, Rémi David part d’un célèbre de tableau de Jérôme Bosch reproduit en ouverture du livre intitulé « L’Escamoteur ». On y voit à droite un homme dont on suppose qu’il est un magicien effectuer le fameux tour dit des « gobelets » (plus connu sous le nom de « bonneteau »), tour dont l’auteur rappelle qu’il est « le plus vieux tour de magie qui nous soit aujourd’hui connu » (13) puisqu’on le trouvait déjà à l’époque des Égyptiens, que Plutarque le mentionne et que, d’après le témoignage de l’abbé d’Olivet, Louis XIV en personne aurait fait venir à la fin de sa vie un joueur de gobelets à Versailles et que celui-ci aurait réussi, alors qu’il était très malade et souffrait beaucoup, à le fasciner et à le faire rire. Ce tour des gobelets est encore utilisé par nombre de prestidigitateurs actuels, ce qui amène à s’interroger sur la permanence de notre fascination pour la magie à travers les siècles et la permanence de la figure de l’illusionniste, du magicien et du prestidigitateur dans la plupart des cultures.
Jérôme Bosch, « L’Escamoteur » (v. 1475-1505), Musée municipal de Saint-Germain-en-Laye.
Au pays de la magie
La première partie du livre a pour objectif de cerner conceptuellement les ingrédients qui définissent la pratique de l’illusionnisme. Qu’est-ce que la magie ? En quoi consiste-t-elle précisément ? Comment la définir ou, du moins, la caractériser ?
La magie apparaît d’abord à travers une expression oxymorique : une « fiction réelle » (21). L’auteur s’aide ici notamment de Clément Rosset et de sa problématique du « réel et son double ». Le propre du magicien est en effet qu’il donne l’illusion d’installer une réalité autre dans la réalité réelle, une sorte d’enclave dans laquelle les lois de la physique et de la perception ordinaire semblent pour ainsi dire suspendues et se plier à son bon vouloir. « Le magicien réussit en effet à fabriquer dans le réel un autre réel, qui a toutes les apparences du réel mais qui n’est pas réel » (25). Il y a ainsi ce que le spectateur perçoit, qui lui semble aller contre ses habitudes, et ce que le magicien sait, le « truc » qui est à l’origine de ce que le public perçoit et qui donne cette illusion de magie. D’ailleurs, la multiplicité des termes servant à désigner le magicien suffit à indiquer que lui aussi a des « doubles » qui dépendent du point de vue adopté (celui du magicien ou bien celui du public) : « Il pourra ainsi être désigné comme “prestidigitateur” quand, en insistant sur son adresse physique, on se place du côté du réel réel ou “illusionniste”, “enchanteur” lorsqu’on se place du côté du réel magique en soulignant la réalité qu’il parvient à créer chez le spectateur (une illusion, un sentiment d’enchantement) » (28).
Rémi David insiste aussi sur la notion de « pacte magique », centrale dans la pratique de l’illusionnisme. Le spectateur qui vient assister à des tours de magie sait qu’il va être abusé et qu’il y a un « truc ». C’est ce pacte que « signe tacitement tout spectateur avec le magicien dont il vient assister au spectacle » (47). L’auteur insiste alors sur cette spécificité, selon lui unique, du spectacle de la magie : alors que dans la vie « réelle », nous n’aimons pas être trompés, en assistant à un spectacle de magie, nous cherchons à être bernés et nous payons même parfois pour ça. Le plaisir de l’illusionnisme, pour le magicien, c’est de tromper et, pour le public, c’est d’être trompés : « Nulle part ailleurs une telle situation n’existe et la magie est ce seul et unique lieu du réel où l’on souhaite être dans la tromperie volontaire » (48). Je pense qu’on pourrait ici formuler, sinon une critique, du moins une nuance. En effet, l’auteur semble évacuer avec ce genre de formulation des arts comme le théâtre et le cinéma qui sont eux aussi fondés sur l’illusion et, dans une certaine mesure, le plaisir d’être trompés en croyant à des personnages et à des histoires qui sont joués et non réels. Il fait d’ailleurs lui-même le lien entre magie et cinéma en rappelant qu’aux débuts du cinéma les magiciens utilisaient beaucoup cette nouvelle technique et que Georges Méliès lui-même était magicien de formation (106-108). Il faudrait, à ce moment-là, préciser un peu les choses en disant que la magie est le seul art où nous cherchons à tromper notre perception des lois physiques habituelles avec des faits qui ne sont pas réels mais sont perçus comme tels alors que, dans le théâtre et le cinéma, nous aimons être trompés sur des personnages et des histoires qui pourraient être réels mais ne le sont pas (car ils sont joués, donc simulés). C’est, disons, la différence entre une illusion de la perception et une illusion de la vraisemblance. Mais passons sur ce point, somme toute secondaire dans l’argumentation de l’auteur.
En abordant cette question du « pacte magique », Rémi David propose une distinction entre deux types de spectateurs qui joue un rôle clé dans l’économie générale de son ouvrage et me semble à ce titre importante : il fait la différence entre le spectateur « polaroïste » et le spectateur « polaroïde » (50-52). Le premier type de spectateur est comme un lecteur de « polar ». Il veut à tout prix « ne pas se faire piéger ou bien alors se faire piéger mais bien comprendre ce qui s’est réellement déroulé » (50). Ce spectateur regarde le magicien effectuer son tour avec le désir de le prendre en défaut, de trouver le « truc », de ne pas se faire « avoir ». C’est un spectateur méfiant qui assiste à un tour de magie comme le commissaire Maigret de Simenon débarque sur une scène de crime : il cherche des failles, des indices, des preuves. Au contraire, le spectateur « polaroïde » (à l’image de l’appareil photo automatique du même nom) est un spectateur non pas récalcitrant, révolté ou énervé contre le magicien dont il n’arrive pas à percer les secrets mais parfaitement consentant. Les spectateurs de ce type « photographient chaque instant de la routine et acceptent sans douleur et même avec plaisir que l’image du réel qu’il développe soit brouillée » (51). Je pense que quiconque a assisté à un spectacle de magie dans sa vie (c’est-à-dire…tout le monde, non ?) peut se reconnaître dans cette typologie et peut-être Rémi David pourrait-il ajouter que, plus que deux catégories de spectateurs séparés, cette distinction est sans doute interne à chacun d’entre nous lorsque nous assistons à des numéros d’illusionnisme : il y a un partie de nous-mêmes (la partie « enfant », disons, pour aller vite) qui est émerveillée et fascinée et une autre (la partie « adulte ») qui entend ne pas se faire berner, qui inspecte, qui examine, qui cherche le « truc ». Le « polaroïste » et le « polaroïde » entrent ainsi en tension à l’intérieur de chacun de nous et cette tension est, me semble-t-il, inhérente à la situation même du spectateur face à un tour de magie : même un jeune enfant, une fois qu’il a compris qu’il y a un « truc », va vouloir essayer de percer le mystère.
Un troisième point fondamental à penser dans la pratique de la magie, après le rapport entre fiction et réalité et la question du pacte entre le magicien et le spectateur, est la question du rapport entre le langage et l’action. Car l’illusionniste, dans beaucoup de tours, ne se contente pas de montrer des gestes, mais il utilise également la parole. Rémi David rappelle la règle d’or du magicien, son tetrapharmakôn en quelque sorte, les quatre préceptes qu’ils doit suivre tout le temps : « Faire ce qu’on ne dit pas, dire ce qu’on ne fait pas, ne pas faire ce qu’on dit, ne pas dire ce qu’on fait » (88). Il y a donc, d’un côté, ce qu’on fait et ce qu’on dit et, de l’autre ce qu’on ne fait pas et ce qu’on ne dit pas : jamais le dire et le faire ne doivent entrer en adéquation, en coïncidence ou en correspondance, l’un doit masquer l’autre et réciproquement. Quel statut accorder, par exemple, aux mémoires et aux écrits des magiciens ? Rémi David analyse notamment à ce propos les Confidences d’un prestidigitateur (1858) de Jean-Eugène Robert-Houdin (1805-1871), l’autobiographie d’un des plus grands illusionnistes français du XIXe siècle (à ne pas confondre avec le prestidigitateur américain Harry Houdini, 1874-1926, grand spécialiste, comme chacun sait, des numéros d’évasion dans les situations les plus improbables). Il montre de façon précise comment, finalement, les mémoires de Robert Houdin sont en eux-mêmes une fiction pure qui suit la construction d’un roman picaresque avec narrateurs emboîtés, rebondissements improbables et invention d’un maître (Torrini) qui n’a jamais existé historiquement. On retrouve ici la figure du « double », déjà évoquée précédemment :
« Bien plus qu’un maître, Torrini constitue plutôt une sorte de figure magnifiée du double, un double de Robert-Houdin tel qu’il s’est peut-être lui-même rêvé, menant une vie romanesque, une vie faite d’aventures et de risques, une vie autrement plus mouvementée en somme que celle qu’il devait mener au moment de l’écriture du texte, dans sa vaste propriété du “Prieuré”, entouré d’automates et de portes qu’il concevait pour se refermer automatiquement derrière lui. Inventant ainsi sa propre figure du double, Robert-Houdin en fait en définitive un véritable “personnage conceptuel” – pour reprendre l’expression de Gilles Deleuze –, un personnage qui porte à lui seul tous les concepts et toutes les idées qu’il peut avoir lui-même sur la magie » (83-84).
Les mémoires de Robert-Houdin sont donc peut-être son plus beau tour. On serait tenté d’ajouter qu’avec un prénom composé (Jean-Eugène) et un nom composé, il était sans doute « destiné », à un moment ou à un autre, à se forger un double…
Débordement de la magie
La seconde partie du livre a pour but de montrer comment les techniques de la magie et de l’illusionnisme sont présentes (parfois beaucoup plus qu’on ne le croit) dans le champ social et politique et comment on passe de la magie comme spectacle à la « magie instrumentalisée » (95), c’est-à-dire utilisée pour des causes parfois très peu avouables. L’auteur passe alors en revue des nombreux exemples de collusion entre magie et pouvoirs (économiques, politiques ou médiatiques) :
« L’historien Marcello Carastro rappelle ainsi qu’Hérodote présentait déjà les magi comme des figures intrigantes, des conseillers de palais. Les affinités électives entre pouvoir et magie sont bien ancrées, au point d’ailleurs que la magie qui manipule le spectateur peut se voir elle-même à son tour manipulée, instrumentalisée par le pouvoir en place » (95-96).
Les collusions sont parfois stupéfiantes :
« Dans un article intitulé “Irak around the clock” et publié dans le New York Times le 30 mars 2003, le journaliste Frank Rich rapporte une curieuse anecdote. Au Qatar, pour une des conférences de presse données dans le contexte de l’intervention américaine en Irak, le Pentagone a fait appel aux services d’un illusionniste : David Blaine. Celui qui se présente lui-même comme le “Michael Jordan de la magie” et qui s’est fait connaître par différents coups, comme notamment donner l’illusion d’arracher son propre cœur à la télévision, a donc coopéré avec l’administration George W. Bush dans les années deux mille. Sans qu’à ma connaissance on sache exactement ce qu’il a réalisé ni ce qui lui a été précisément demandé, le fait même me semble intéressant à noter en soi et souligne qu’entre illusion et illusion collective, la frontière est mince, en particulier dans un contexte de guerre où […] des preuves falsifiées ont pu être présentées au Conseil de sécurité des Nations Unies pour justifier une intervention militaire » (98).
Ainsi, l’épisode des fameuses « armes de destruction massive » dont on n’a jamais retrouvé de trace ni de preuve tangible et qui étaient brandies par le secrétaire d’État Colin Powell pour justifier l’intervention américaine en Irak à l’époque, cet épisode peut s’interpréter au fond comme un grand numéro d’illusionnisme politique. Le fait qu’un illusionniste professionnel ait collaboré à l’époque avec les autorités américaines renforce la possibilité (et sans doute la nécessité) de cette interprétation : il s’agissait de faire littéralement « apparaître », aux yeux de l’opinion, des armes qui n’avaient aucune existence réelle.
Rémi David propose également des analyses très intéressantes sur le phénomène négationniste à la lumière de la problématique de l’illusionnisme. Rappelant que Céline évoquait déjà les « magiques chambres à gaz » (expression citée par l’historien Pierre Vidal-Naquet dans son livre Les Assassins de la mémoire, 1981), il défend ainsi l’idée selon laquelle « les chambres à gaz deviennent un matériau pour l’écriture d’une fiction réelle qui vise à mettre en œuvre un effet de magie, à savoir une disparition, grâce au recours à plusieurs techniques de prestidigitateur » (116). Dans ses « explications », Robert Faurisson jouerait ainsi sur le jeu des causes et des effets en ayant pour objet non pas le présent de la perception immédiate mais un passé plus lointain de quelques dizaines d’années. Si les chambres à gaz ont bien eu lieu, c’est pour gazer les poux, si les fours crématoires ont existé, c’est non pas pour exterminer les Juifs, les Tsiganes et quelques autres mais pour des raisons sanitaires, pour éviter la diffusion du typhus, etc. On connaît la chanson. Mais il est vrai qu’analyser ce discours en le mettant en perspective avec la magie est, pour le coup, très éclairant et permet de comprendre l’opération d’escamotage qui se joue dans le négationnisme. Ce discours attire et séduit parce que, précisément, il a le charme de l’illusionnisme et prétend « révéler » ce qu’en fait il masque, travestit et cache, introduisant une brouillage permanent entre le vrai et le faux. Les choses ont bien eu lieu mais pas comme vous pensez et pas pour les raisons que vous pensez. « Le mélange de vrai et de faux est énormément plus toxique que le faux pur », notait Valéry quelque part dans ses Cahiers. Dont acte : c’est une bonne définition de l’illusionnisme que l’auteur aurait pu citer et qui convient particulièrement au discours négationniste.
Il y a pourtant une différence de taille : c’est que, dans le cas de « débordement de la magie », c’est-à-dire dans les cas où elle est utilisée à des fins de propagande et de falsification des faits, il n’y a aucun « pacte magique » qui relie l’émetteur du discours et le récepteur ou spectateur de ce discours. Celui qui se rend dans un spectacle de magie sait que c’est de la magie et qu’il y a par conséquent un « truc » derrière ce qu’il va percevoir. Même s’il n’arrive pas à percer le mystère, il sait qu’il est trompé et, comme je l’ai dit, il est prêt à payer pour ça. Au contraire, les techniques d’illusionnisme utilisées à des fins de manipulation des masses sont utilisées sans référence aucune à un « pacte magique » originel : le spectateur prend pour argent comptant ce qu’il voit et ce qu’il entend et considère que c’est la vérité. Là est le problème central et là réside, précisément, la mystification.
Analysant les discours politiques contemporains, Rémi David propose ainsi une liste assez précise des procédés et des techniques propres à l’illusionnisme qui sont utilisés sans vergogne, et encore une fois sans pacte magique aucun, par les communicants avec le consentement des politiques, à tel point qu’on pourrait se demander si ce qu’on appelle aujourd’hui « communication » et qui joue un rôle si écrasant dans les débats politiques actuels n’est au fond rien d’autre qu’un panel de techniques de prestidigitation. L’auteur forge ainsi le néologisme de « prestilinguateur » (134) pour désigner tous ceux qui ont recours aux techniques suivantes empruntées à la magie : les fakes (mouvements secrets ou fausses déclarations), les parenthèses d’oubli (idée selon laquelle « aucun spectateur ne peut suivre une action qui se déroule et, dans le même temps, revenir plus de trois étapes en arrière » (134)) ou bien encore la misdirection(détournement de l’attention du spectateur).
Je voudrais, pour donner une idée des réflexions de Rémi David sur ce point, insister sur un exemple qu’il donne sur le détournement d’attention. Lors de la conférence de presse du 8 janvier 2008, le président de la république Nicolas Sarkozy provoque un coup de tonnerre en annonçant une suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques de télévision. Dans son discours, il insiste sur la « révolution culturelle » qu’il propose à travers cette mesure sans précédent. Il parle en termes de conviction :
« Je le dis, et je le pense : le service public, son exigence, son critère, c’est la qualité. Sa vocation, c’est offrir au plus grand nombre un accès à la culture. […] Je souhaite donc que le cahier des charges de la télévision publique soit revu profondément, et que l’on réfléchisse à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques. […] Il faut savoir ce qu’on veut, on veut changer ou on veut continuer. Je veux changer […]. Il me plaît beaucoup que la gauche, qui n’a jamais osé faire cela, qui en a toujours parlé sans en tirer aucune conséquence, regarde ce que c’est qu’un gouvernement qui décide d’un certain nombre de priorités ».
Nicolas Sarkozy effectue, à travers cette déclaration, ce que l’auteur appelle une « action en transition », technique de prestidigitation qui consiste à jouer sur « le décalage entre l’intention affichée par le magicien et l’intention réelle qui est la sienne » (137).
En effet, cet éloge soudain de la grandeur des missions du service public a de quoi pour le moins surprendre de la part d’un président de droite qui ne s’était pas jusqu’à présent distingué par le souci de la culture et de l’éducation populaire par la télévision. En fait, notre attention a été détournée, car, comme on l’a très vite dit à l’époque (et l’intéressé n’a, par la suite, jamais voulu le reconnaître, du moins en public et officiellement), « tout laisse à penser qu’il ne s’agit en réalité nullement, pour Nicolas Sarkozy, de défendre un service public de qualité mais plutôt de rendre inaperçue la véritable intention qui est la sienne : faire un cadeau aux entreprises privées, et notamment aux chaînes de la TNT, qui connaissent alors des difficultés et sur lesquelles se reporteront toutes les annonces publicitaires… Un tour de passe-passe dont on ne peut que reconnaître la grande qualité d’exécution, la parfaite maîtrise des techniques utilisées et des effets produits » (139). L’auteur explore aussi le monde des médias à la lumière des techniques de prestidigitation pour montrer comment ceux-ci contribuent également à construire ce qu’il appelle « un réel magique véhiculaire » (153-172).
Rémi David réussit donc, à travers cet ouvrage dont je n’ai pu donner qu’une petite idée ici, un tour de force car en moins de deux cents pages il arrive à brosser un tableau clair, précis, rigoureux et très bien informé des principales problématiques liées au thème de la magie. En plus d’être un praticien de l’illusionnisme, il connaît très bien l’histoire de la magie et les grands magiciens contemporains qu’il éclaire souvent par des références philosophiques (Debord, Deleuze, Rosset) de sorte que même le lecteur qui est un néophyte en la matière pourra beaucoup apprendre à la lecture de son livre et mieux comprendre ce qui est en jeu lorsqu’il assiste à un spectacle de magie. La seconde partie du livre, complémentaire de la première, sur le « débordement de la magie » est également très intéressante en ce qu’elle nous montre que la magie n’a pas seulement un sens et une valeur comme spectacle mais également comme instrument d’analyse critique de la politique intérieure et internationale ou bien des médias. Le magicien ne fait pas seulement rêver, il fait réfléchir et nous aide ainsi à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons.