En 1943, Simone Weil, après avoir pris la route de l’exode vers Marseille, puis celle de l’exil vers New York, a finalement réussi à se faire rapatrier à Londres dans les services de la France libre pour partager le sort de ses compatriotes. Elle y rédige son « second grand œuvre », que sa mort l’empêcha d’achever, « L’Enracinement ». En vue de la réorganisation de la France après-guerre, la philosophe formule un certain nombre de propositions politiques pour remédier à la maladie dont souffrait son époque, le déracinement. Pour porter ce diagnostic, celle qui était trop bien née, voulut se déraciner, partager les humiliations de ceux que le hasard de la naissance avait moins favorisés qu’elle, se frotter au réel. Agrégée de philosophie, elle endura successivement dans sa chair la dure condition ouvrière, puis celle du monde agricole. S. Weil affirmait haut et clair n’avoir aucune racine dans la tradition juive — « on n’hérite pas d’une religion » — même si le régime de Vichy la renvoya à son ascendance. Pourquoi celle qui prétendait être née et avoir grandi dans « l’inspiration chrétienne », le seul réel garant à ses yeux contre le désordre de l’époque, ne parvint-elle pas à franchir le seuil de l’Église, demeurant en attente, incapable pour sa part de prendre racine en ce monde ? Peut-être parce que « seule la lumière qui tombe continuellement du ciel fournit à un arbre l’énergie qui enfonce profondément dans la terre les puissantes racines. L’arbre est en vérité enraciné dans le ciel ».
Sylvie Courtine-Denamy : Simone Weil, la quête de racines célestes
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